“Back in the old and good days” : trop souvent cette expression accompagne les paroles de supporters anglais, cantonnés aux pubs à défaut de pouvoir se payer un billet pour aller au stade. La Premier League épicentre du football mondial : ses clubs historiques et ses matchs spectaculaires font d’elle le championnat le plus suivi au monde. Les droits TV ont explosé ces dernières années, comme le merchandising, et si les retombées économiques ont été favorables aux clubs anglais les supporters ont parfois du mal à se retrouver dans ce football moins anglais que « business ». Longtemps football et subculture anglaise étaient indissociables, il y a une éternité même. En cause ? Un football de plus en plus mondialisé, et de moins en moins british. La lueur d’espoir cette année c’est ce « petit » club, typiquement anglais, du Sud-Est de l’Angleterre : Brighton & Hove Albion Football Club. Du bleu, du blanc, et une vraie raison de suivre la Premier League cette saison.
Après 34 ans d’absence les Seagulls (les mouettes) ont fait leur grand retour en Premier League et après 6 journées l’équipe du Français Anthony Knockaert se classe 16ème, juste devant West Ham. L’actuel manager Chris Hughton aurait évidemment espéré un tout autre début de saison mais qu’importe : ce club insuffle un vent de fraîcheur, comme Leicester il y a deux saisons, dans un championnat qui n’a d’anglais plus que le nom. La vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille pour ce club du Sussex de l’Est.
En proie à des difficultés financières en 2008, l’institution trouve son sauveur en la personne de Tony Bloom. Ancien joueur de poker et fan avant tout, ce président dénote dans le milieu. Parfois chauvin, Tony Bloom nous réconcilie avec un football anglais trop aseptisé. Cette success story rappelle à quel point il est rare de nos jours de voir des fans à la tête de clubs anglais, pour la plupart aux mains de gestionnaires d’actifs trop soucieux de créer de la valeur.
Un club anglais bien géré : oui, c’est possible
Tony Bloom n’est pas seulement un joueur de poker, un supporter un peu fou qui rêvait de devenir propriétaire de son club de cœur, c’est également un fin dirigeant. La stratégie du club dépareille en Angleterre. Même si les moyens du promu sont colossaux par rapport à ses homologues français, il n’est pas question pour Tony de claquer des sommes astronomiques. Brighton capitalise sur des joueurs expérimentés et revanchards, et non pré-retraite, pour entourer de jeunes joueurs en devenir. Tony se garde bien de dévoiler son jeu. Alors que les autres clubs anglais bombent le torse et se tirent la bourre à base de transferts démesurés, les Seagulls travaillent dans l’ombre, intelligemment.
Avec le dernier budget de Premier League, tout de même démesurément important, Brighton fait figure de petit poucet par excellence. Et ce n’est pas les 215 millions d’euros de droits TV touchés sur trois années pour sa montée qui vont y changer quelque chose. À titre de comparaison, en France c’est une enveloppe de 5 millions d’euros qui est allouée aux promus. Un gouffre. Hormis sa gestion si Brighton bénéficie d’un impressionnant capital sympathie auprès des fans, c’est que ce club apparat comme l’authentique symbole d’une ville au carrefour des subcultures anglaises : un club anglais, un vrai.
« I wanna be adored »
Il fait malheureusement bon de faire le déplacement pour les supporters adverses au Falmer Stadium de Brighton, à l’American Express Community Stadium de son nom officiel. Nouvelle antre de Brighton depuis 2011, ce stade n’est pas connu pour sa chaude ambiance il est vrai, mais pour son sens de l’accueil. Les Seagulls aiment cultiver cette image de club sympathique et typiquement british : la bière coule à flot, les fûts sont changés régulièrement. Tout est mis en œuvre pour que l’expérience du supporter soit la plus authentique possible. Parfois son côté trop familial lui joue des tours et lui vaut de s’attirer des railleries mais dans une ville écolo et militante, tout est bon pour se différencier, dénoter, diviser.
Cette exigence d’authenticité trouve son sens dans l’histoire d’une ville teintée de militantisme et, aussi, de chauvinisme. Brighton est l’un des épicentres de la subculture anglaise : les Mods. Milieu des années 60’, des jeunes sur leur bécane se font remarquer pour leur goût des sapes, de la musique et de la bagarre : il est bon de faire une virée en bande dans Brighton, comme mis en scène dans le film Quadrophenia de Franc Roddam (1979). Que ce soit sur ses plages ou dans son stade l’héritage des différentes subcultures anglaises ne peut laisser insensible aucun fan de football : chemise ou jacket Ben Sherman et les Stone Roses en boucle.
Brighton fait de la résistance
Dimanche lors de sa victoire contre Newcastle, 1-0, Brighton a aligné 4 joueurs britanniques, c’est peu mais à la fois beaucoup lorsque l’on connait les difficultés des clubs anglais dans ce domaine. Trop peu de joueurs anglais sont titulaires dans les grands clubs et les Three Lions en font désormais les frais. Presque de façon militante, les Seagulls tentent tant bien que mal de garder une tradition de joueurs britanniques : comme pour rappeler que cette ville est à part.
Depuis quelques années les observateurs tirent la sonnette d’alarme : le championnat anglais se meurt. Selon un rapport de l’Observatoire du football, près de 70% des joueurs sont étrangers. Le premier contingent ? Les Français of course. Il y a une éternité, en 2013, Arsène Wenger établissait un terrible constat, toujours d’actualité hélas : « Je crois que nous vivons dans un monde global. La vraie question pour le football anglais est de savoir s’il a la capacité de produire des joueurs avec les qualités escomptées. »
Une fatalité ?
Le coach des Gunners impuissant face à la capacité des clubs à former de jeunes talents « made in Britain » ? Ou face à leur volonté ? Prenons un exemple. Les clubs anglais, de par leur toute puissance économique, peuvent s’offrir n’importe quel grand joueur de Ligue 1, de Serie A, de Liga. Ainsi deux possibilités s’offrent à lui : avoir un « bon » joueur vite et tout de suite, performant immédiatement ou tabler sur un jeune du centre de formation, à polir, à intégrer progressivement dans le groupe pro, quitte à en pâtir sportivement ? Le choix est vite fait pour les dirigeants et actionnaires : quitte à surpayer (l’argent coulera encore plus à flot la saison suivante, donc tant pis) ils privilégieront l’immédiateté économique et sportive.
Pendant un temps il s’est dit que le Brexit allait changer quelque chose pour la Premier League. Quand les clubs s’inquiétaient de voir leurs joueurs étrangers obligés de partir, d’autres y voyaient un moyen de repenser le football anglais et de trouver d’autres axes de croissance et de développement autours des centres de formation et ainsi revenir au football d’autrefois. Mais la Premier League n’est pas une industrie banale, oui une industrie. Ce que la Premier League rapporte en termes de retombées économiques pour la Grande-Bretagne fait d’elle un acteur économique à part entière, presque majeur : too big to fail ? Plus d’un an après, le vote rien n’a changé en Premier League.
« Les anglais ont inventé le football, les français l’ont organisé, les italiens le mettent en scène », selon Serge Uzzan. Si les Anglais ont inventé le football ils sont aussi ceux qui l’ont transformé, déformé, dénaturé : le football de haut niveau, professionnel, n’a plus rien de semblable avec son petit frère le football amateur. Il existe pourtant des irréductibles qui se souhaitent authentiques et respectueux du ballon rond, de la tradition. Si cette petite ville était surtout connue surtout pour ses plages et ses mouettes, elle le sera un peu plus cette saison pour ses Seagulls, celles du Falmer Stadium cette fois. Et ce n’est pas Eric qui nous contredira.
God save Brighton
Bonjour
Je ne comprends pas pourquoi vous attribuez cette citation à Cantona alors que j’en suis l’auteur