Le rouge et le noir du club de Vitoria dans la ville de Salvador de Bahia au Brésil étaient des couleurs toutes tracées pour la Brigada. Cette petite association de supporters née en 2012 défend avec ferveur ses idées antifa, soutenant en tribune les combats féministes et anticolonialistes. Parole à Poli Rebouças et Jesus Guaré de la Brigada Marighella.
Le nom de la torcida organizada (association de supporters) n’a pas été choisi par hasard. Carlos Marighella est un militant d’extrême gauche né à Salvador assassiné par la police en 1969. Moins connu que Ernesto Che Guevara, il est tout de même l’auteur d’un célèbre manuel sur la guérilla urbaine. La création de la Brigade Marighella en 2012 surgit suite à la publication d’une biographie sur Marighella. « Peu après le titre de la Coupe du Brésil des moins de 20 ans, une biographie est sortie sur Carlos Marighella qui explique que son équipe de coeur, c’était Vitória. Du coup on a eu l’idée de lui rendre hommage avec une Torcida. Il a vécu à Rio et São Paulo et il a supporté les clubs populaires du Flamengo et du Corinthians. La légende raconte que la semaine de son assassinat, il était super heureux de l’évolution de Vitória dans le championnat bahianais. Alors qu’à l’époque, c’était compliqué de supporter un club en vivant dans un autre état », confie Jésus Garé.
Côté tribune, ils sont 71, positionnés à côté de la plus grande asso de Vitória, la Torcida Uniformizada Os Imbatíveis : « On a un étendard de 4 par 4 qu’on déploie sur des bambous (pratique courante au Brésil, ndlr). À cause d’une loi absurde, on n’a pas le droit d’entrer avec sans la déclaration et l’autorisation auprès de la police. On doit s’enregistrer juridiquement… ce qu’on veut vraiment éviter. Du coup, on ne peut prendre l’étendard que quand nos amis de la Torcida Imbatíveis nous mettent un de leur bambou à disposition, puisqu’ils ont les autorisations. On a d’autres drapeaux, plus petits et qu’on peut rentrer sans problème. » Évidemment, c’est le visage de Carlos Marighella qu’on retrouve le plus en tribune : « Parmi toutes les différences idéologiques qu’on peut avoir au sein de la brigade, Marighella est celui qui met tout le monde d’accord. Certains membres s’identifient au Che, d’autres à Trotsky, Sankara, Staline ou Fidel. » Les supporters de la Brigade ne sont donc pas vraiment à droite. Mais il n’y a pas que la politique. « On admire beaucoup Dejan Petkovic, parce qu’il est socialiste, et qu’il a été un énorme joueur de notre club pendant 2 ans ». On ne doute pas que c’était un excellent footballeur.
On l’aura compris, c’est la politique qui est au coeur de cette asso, mais Poli, l’une des femmes de la Brigade, en relève tout de même les nuances : « Certains membres appartiennent à des partis, d’autres sont autonomes ou encore anarchistes. On a des membres qui s’engagent dans les mouvements noirs, féministes, LGBT, ou étudiants… et dans le foot on se reconnait dans le combat contre le football moderne. On est donc très attentifs aux actes racistes, machistes, homophobes et on se positionne toujours. » S’ils n’ont pas leurs propres chants, préférant suivre ceux de leur ami des Imbatíveis, ils « restent silencieux lorsqu’il y a des chants homophobes, misogynes et machistes ».
Le réseau antifa est relativement étendu au Brésil, même si les Torcidas les plus populaires, qui rassemblent des milliers de supporters, sont apolitiques. Sur le profil Facebook de la brigade, on trouve majoritairement des posts sur le communisme et sur les actions antifa de différents clubs brésiliens. « Notre politique, c’est de laisser le club de côté quand le sujet est grave. On respecte tout ceux qui luttent contre le capitalisme, l’oppression, le fascisme, le patriarcat et le colonialisme. Des collectifs présents sur le web tentent de fédérer les associations de supporters antifa. On fait partie par exemple d’AGIR (Arquibancada Ampla, Geral e Irrestrita – Pour une Tribune large, générale et sans restrictions), un collectif qui regroupent des asso antifascistes. »
Bien sûr, les femmes sont présentes à la Brigade, elles forment un noyau qui s’appelle « Brigada Dandara ». Là encore, le nom choisi n’est pas anodin. Dandara est une guerrière afro-brésilienne du XVIIe siècle, femme de Zumbi dos Palmares, véritable légende noire anticolonialiste au Brésil. « On a envoyé l’une des supporters à la première rencontre nationale des femmes des tribunes et elles voudraient organiser la même chose chez nous à Bahia. Les filles participent aux discussions du club, on a proposé des quotas pour les femmes à la direction du club. »
Aux côtés de la Torcida Uniformizada Os Imbativeis, qui « diffuse aussi parfois l’image de Carlos Marighella même s’ils se déclarent apolitiques« , la Brigada n’est donc pas prête d’arrêter de porter une identité révolutionnaire forte.