Alors qu’à quelques heures du coup d’envoi de la Coupe du monde, le Brésil se ronge les ongles en attendant le début de la compétition, partagé entre indignation et passion, et que le reste de la planète prévoit déjà ces soirées bières-pizzas-cacahuètes en se frottant les mains, les Bleus gambadent sur les terrains verts de la félicité : manifestations de joie collective, selfies, belles histoires et tournée de départ triomphante. Celle-là, de demie, elle est pour les Bleus, à n’en pas douter !
Depuis la qualification pour la Coupe du monde, une chose a changé au royaume de France : Clément d’Antibes a fait la paix avec son pays. Le peuple bleu est heureux. Cette équipe a du cœur. Et elle lui ressemble. Bien sûr, le peuple français est heureux d’une qualification qu’il n’attendait plus, c’est évident. Mais surtout une qualification acquise à la française : revenus de nulle part, aux forceps, quasiment offerte par Mamadou Sakho à lui seul. Par un petit qui en a bien bavé. Parce qu’il est faux de dire que le France n’aime que les seconds. Elle aime surtout les gagnants qu’on n’attend pas, quand justement ils ont failli tout perdre.
Et voici donc qu’un groupe est né. Façonné par son capitaine, emblématique. Un joueur dont on disait qu’il n’était pas le plus technique, mais qu’il était un vrai général sur le pré. Comme avec son Aimé Jacquet, ce gars si humble, critiqué, martyrisé, mis au pilori avant de soulever le trophée, le tacticien Deschamps, le Basque à la tête dure, ajoute à la besogne non seulement la compétence mais également une belle dose de chance incroyable – quasi mystique – que seuls les gars du terroir peuvent prétendre posséder.
N’en jetez plus : La France valide. Pourtant ce n’est pas fini.
Prendre la Bastille.
Valbuena, Schnederlin, Griezmann, Matuidi, Sakho, Debuchy, Cabaye, Giroud, Koscielny… la liste n’est pas exhaustive. Un groupe de joueurs dont une grosse partie du noyau est composée de garçons qui ont connu beaucoup de difficultés – qu’elles soient d’ordre professionnelles ou personnelles – tout au long de leurs carrières et qui ont dû lutter contre un système post-98 « A la française » qui privilégiait la puissance au jeu.
Le lutin ou le nain Valbuena – selon qu’on l’apprécie ou pas – a connu de nombreuses difficultés pour s’imposer à Marseille après son transfert en provenance de Libourne Saint-Seurin. Il a travaillé, tenu tête, toujours été bon en bleu à chaque fois qu’il a été appelé. Il s’est imposé et s’est même payé le luxe de devenir un des plus anciens joueurs de l’effectif marseillais. Schnederlin, d’abord réserviste, s’est juste farci des matchs de 3e division anglaise avant de remonter avec Southampton pour enfin devenir un des meilleurs milieux de Premier League, alors qu’il partait de Strasbourg très jeune. Griezmann fait rêver la Real Sociedad après avoir été constamment refoulé par les centres de formation hexagonaux parce que jugé trop frêle. Matuidi, lui, a simplement explosé les limites de son potentiel à force de travailler au contact des plus grands. Sakho, capitaine du PSG à 17 ans, pour qui le foot était un moyen de faire vivre sa famille, est parti disputer le titre avec Liverpool dès sa première saison et son doublé envoie la France au Brésil. Debuchy, Cabaye, l’école lilloise mûrie aux tartes Balmont. Giroud, de Grenoble à Tours en passant par Montpellier, le titre de champion de France jusqu’à s’imposer à Arsenal. Quasiment même son de cloche pour son compère Koscielny, avec chaque fois du talent, de la besogne et des adaptations éclairs. Et ce ne sont que quelques exemples.
Ce groupe a un ADN, besogneux, affamé. Il est rehaussé de talent, comme Benzema par exemple. Des talents qui ne sont plus des petits princes, mais bel et bien des membres d’un groupe auquel ils doivent se mettre au diapason, puisque désormais en minorité. Retour de la cohésion, du plaisir, de l’envie. Collons-en 8 à la Jamaïque tant qu’on y est !
La France libérée.
Cette France-là se sent bien. Pourquoi ? Tout d’abord parce qu’elle est libérée : libérée de l’ombre de Domenech qui ne cessait de planer depuis des années, malgré l’intermède Blanc. Libérée de Knysna aussi. Et de plusieurs joueurs qui s’étaient octroyé l’ambiance du groupe, Ribéry en tête. Dans cette optique, la décision d’écarter Nasri a été la bonne. Le « Petit Prince » , malgré ses très bonnes performances avec Manchester City, n’appartient pas au profil de joueurs décrit dans le paragraphe précédent. Mais encore mieux. La France, cette « fille de la providence », bénéficie aussi du destin qui lui sourit et qui décidément lui veut du bien : dehors Ribéry donc. Oui dehors T’i Franck. Le lascar metteur d’ambiance, la fraîcheur de 2006 devenue bien trop lourde en bleu, que ce soit sur le terrain, en voulant souvent faire la décision seul, ou en dehors. L’ambianceur : un gars qui vous noue vos lacets, vous balance des bouteilles d’eau à la gueule et vous cache vos clés de voiture. Personnellement, au taf, vous le supporteriez combien de temps ?
Alors, oui, cette demie, elle est pour nous. Parce qu’en plus de ça, la France, elle se sent bien. Dans ses racines, dans son âme. ses tripes. La « comédie » « Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? » n’était qu’un signe avant- coureur : tout le monde est français, à partir du moment où tu mets les mains dans le cambouis, que tu es respectueux et poli, que tu manges du camembert. Que t’en chies.
Alors une fois le bus de Knysna littéralement pété en deux, les bleus s’en donnent à cœur joie : centaines de drapeau bleu-blanc-rouge qui flottent aux vents des stades français, à la limite du malaise, TF1 qui fait une presque bonne pub (si ce n’est la voix de Christian Jeanpierre), Téléfoot qui fait presque de bons reportages (si ce n’est Christian Jeanpierre lui-même). Et puis lâchons-nous carrément: les Blancs du groupe France se font des mèches de choristes jusqu’à la petite moustache pour certains, tatouages pour faire actuel. Les Blacks restent un peu plus casual quand les Rebeus mettent des lucarnes et font le lien. Le présent devrait faire peur. Mais a priori non. Tout le monde est heureux. Alors en avant Jeannine.
Va nous la chercher cette demie ! Parce qu’une demie c’est beau, c’est bien, c’est héroïque, c’est si proche et à la fois si loin de ce trophée qu’on voulait. Une demie au Brésil, ce pays qui nous aime et nous déteste à la fois, qui nous admire tout de même, c’est beau. C’est Alain Delon, Copacabana.
C’est français quoi.