Bien avant l’influence et le pouvoir actuel des barras bravas en Argentine, les tribunes de Boca Juniors et River Plate étaient surtout le territoire de deux femmes : La Gorda Matosas et La Raulito. Elles ont été les supportrices les plus célèbres des deux plus grands clubs d’Argentine pendant presqu’une quarantaine d’années. Entre fanatisme, passion et drames, elles ont marqué un avant et après dans la culture des tribunes argentines. La Grinta vous propose de découvrir ces deux personnages d’exception à quelques jours d’une série de 3 Superclasicos en 11 jours.
La Gorda Matosas
Haydee Lujan Martinez, plus connue sous le surnom de la Gorda Matosas est née en Espagne en 1933 et a été la seule femme à avoir été leader de la tribune populaire de River. Elle doit son surnom au défenseur uruguayen Roberto Matosas qui lui avait offert son maillot dans les années 1960. Après avoir perdu ses parents à l’âge de 5 ans, elle a depuis toujours germé un esprit de rébellion. La légende raconte qu’elle a commencé à supporter River Plate le jour où son oncle l’emmena voir un Superclasico. Elle ne connaissait alors rien au foot mais elle choisit le club qui portait les couleurs qu’elle aimait le plus : le rouge et blanc de River Plate. La Gorda Matosas était ce qu’on pourrait appeler une insulte à la féminité. Grossière, malpolie et garçon manqué, elle assistait à tous les matchs des Millonarios vêtue d’un maillot floqué Matosas numéro 6 et un bob aux couleurs de River.
Lors d’un long entretien avec un journaliste de Clarin, elle s’est confiée. Plus jeune, elle était tombée amoureuse. Au moment de se marier, son fiancé de l’époque ne s’opposait pas à son fanatisme pour River mais après le mariage, il souhaitait lui interdire d’assister aux rencontres du club de Nuñez pour qu’elle s’occupe du ménage. Furieuse, elle pausa un lapin au jeune homme le jour du mariage et avait désormais pris l’habitude de dire que « River était son ami, son petit ami, son amant et que ça lui suffisait amplement ». La Gorda Matosas possèdait une agence de loterie dans la ville de La Plata et pouvait ainsi financer ses déplacements pour aller supporter son équipe decœur. Un grand nombre de ses clients étaient d’ailleurs des joueurs du Millonario comme Labruna, Alonso, Mas, Fillol…des idoles du Monumental.
La Gorda Matosas était également populaire pour sa haine viscérale de Boca Juniors. Elle détestait Maradona, elle disait de lui que c’était « une saleté » et un peu à la manière de Harry Potter, elle évitait de nommer le club de la Ribera et préférait faire référence à Boca en ces termes : « les maudits », « les porcs » ou les « innombrables ». Son rejet de Boca était tel qu’en 1976, elle était dans la tribune de Colon avec les couleurs du club de la ville de Santa Fe pour éviter que Boca ne soit champion.
C’est elle qui lançait les chants dans le virage de River jusqu’à l’ascension des « Borrachos Del Tablon », la barra de River, dans les années 80. Malgré son rôle de leader de tribune perdu, elle continua à être l’étendard des Millonarios et était même plus populaire que certains joueurs. Elle signait des autographes et était très appréciée par le peuple riverplatense.
La Gorda Matosas fumait beaucoup, beaucoup trop. Elle passa ses dernières années avec une infection pulmonaire. Le docteur l’avait interdit d’aller au stade, de voyager pour voir River et d’augmenter son stress lors des matchs mais elle s’en fichait. Finalement, c’est l’amour de sa vie qui aura eu raison d’elle. En rentrant de Santiago pour la demi-finale de la Libertadores de 1996, elle se fera hospitaliser pour un énième problème pulmonaire. Après s’être échappée de l’hôpital pour assister au match retour, elle décédera le 4 juillet 1996, quelques jours avant la finale remportée par River. Elle ne verra pas le second sacre continental de la bande à Francescoli. Son dernier souhait résume son amour pour River : elle a demandé à ce que ses cendres soient éparpillées sur le gazon du Monumental.
La Raulito
Maria Esther Duffau est née la même année que la Gorda Matosas dans le quartier pauvre de Villa Urquiza. Sa mère est morte le jour de sa naissance d’une tuberculose et son père était alcoolique. Il l’abandonnera à ses 6 ans. La Raulito était une fille de la rue. Ce qu’elle aimait, c’était fumer, boire des bières et aller supporter Boca Juniors.
Elle doit son surnom à connotation masculine à ses ruses pour échapper à la police lors de ses nombreuses cavales. Elle se coupait les cheveux et adoptait l’identité d’un homme en portant des habits masculins. Sa fausse identité l’a aidé à survivre dans la rue. Elle jouait très bien au foot, à tel point que des recruteurs de Boca, qui ne connaissaient pas sa véritable identité féminine, lui ont même proposé d’intégrer le centre de formation.
Elle a passé sa vie entre les centres de rééducation, les prisons et les hôpitaux psychiatriques. Elle s’échappait tout le temps de ces établissements car elle préférait la rue, la liberté et surtout Boca Juniors. La Raulito aimait dire que « personne ne l’a fait supportrice de Boca, elle savait toute seule que ces couleurs allaient lui donner beaucoup de joie ». Elle assistait à tous les matchs et entrainements de Boca et était le symbole de la passion populaire du club xeneize. Tout le monde la connaissait, joueurs, journalistes et supporters. Pour pouvoir assister aux matchs, elle distribuait des journaux ou lustrait les chaussures pour quelques monnaies. Sa vie a toujours été difficile à tel point qu’un film lui est consacré en 1975. La Raulito a toujours eu des problèmes de santé. Un jour, elle a eu besoin d’un don du sang pour pouvoir être opérée mais émis une seule condition : que les donneurs soient tous des supporters de Boca. Elle vécut pendant presque 30 ans dans un hôpital psychiatrique jusqu’à ce que le gouvernement de l’époque lui loue une chambre dans une maison de retraite.
En 2006, elle fut la protagoniste d’un documentaire à sa gloire mais un an plus tard, en 2007, son état de santé commença à s’aggraver après s’être cassée la ceinture abdominale en tombant et La Raulito finira pas décéder en 2008 à l’âge de 74 ans. Son corps fut enterré au cimetière officiel du club et de nombreux joueurs et dirigeants furent présents pour ses funérailles. Elle avait accès gratuit aux installations du club et était invitée à tout les asados (barbecues) du groupe pro.
La Raulito et La Gorda Matosas ont été réunies une seule fois dans les années 1990 sur le plateau télé de la présentatrice vedette argentine, Susana Gimenez. Ce jour-là, elles ont failli en venir aux mains. Un peu comme Mamie Hooligan du Kop de Boulogne, elles ont toujours porté haut les couleurs des deux plus grands clubs d’Argentine à une époque où les femmes n’étaient pas aussi présentes dans les tribunes qu’aujourd’hui. Elles ont été, d’une certaine manière, des pionnières.