L’Atlético n’a pas raté son rendez-vous avec l’Histoire. Solide dans ses temps faibles et conquérante dans ses temps forts, l’équipe de Diego Simeone est allée chercher au Camp Nou (1-1) son titre de championne d’Espagne. Seule une victoire du Barça pouvait ramener le trophée en Catalogne, et l’Atléti n’a pas perdu.
Le sixième affrontement de la saison entre les deux équipes aura accouché d’un cinquième match nul, permettant à l’Atléti de remporter son dixième titre de champion d’Espagne. Le premier à échapper aux deux mastodontes depuis 10 ans. L’enjeu du match n’était pas forcément tactique -les deux coachs n’ayant plus grand-chose en stock pour se surprendre- mais plutôt mental. Un déplacement du premier chez le second, dans un choc où le titre pouvait changer de main en un but. Forcément dans une telle partie d’échec, la différence ne peut venir que de faits de jeu totalement imprévisibles.
Blessures et angle impossible
Le premier fait du match est la blessure dramatique de Diego Costa à la 13e minute. Elle intervient sur une situation typique dans un tel affrontement : une attaque placée du Barça qui se casse les dents sur le mur défensif de l’Atléti qui explose en contre, et la cuisse de Costa qui lâche sur le sprint qui aurait pu créer un 3 contre 3 très intéressant pour les Madrilènes. Arda Turan cède à son tour sur une béquille de Fabregas 5 minutes plus tard. Adrian et Raul Garcia les remplacent poste pour poste, comme lors du quart retour de Ligue des champions.
Le deuxième fait de jeu de la première mi-temps est évidemment l’ouverture du score. Sans vraiment créer de décalage, le Barça va prendre les commandes grâce à un miracle technique d’Alexis Sanchez. L’appel de Pedro embarque Godin et permet à Messi de plonger dans sa zone, bien que suivi par Miranda, mais on ne peut pas vraiment considérer que le décalage ait été créé. Il faut une frappe parfaite : à la fois puissante et précise, dans un angle impossible – d’Alexis pour ouvrir le score. Le Barça marque son dernier but de l’ère Martino en utilisant les recette « guardioliennes » les plus classiques : contact interligne et mouvements multiples.
Les touches de l’Atlético
Avant qu’Alexis n’ouvre le score, la première demi-heure était plutôt équilibrée, l’Atléti n’ayant pas trop souffert de ces deux changements. Si Adrian a remplacé Costa en pointe, la présence de Raul Garcia permettait de compenser l’absence de Costa physiquement (Raul Garcia devenant à son tour la cible des longs ballons) alors qu’Adrian pouvait faire (dans l’axe) valoir ses qualités, similaires à celle d’Arda : vivacité, combativité, justesse technique.
Le Barça pressait relativement haut et dur (le tampon de Fabregas sur Arda en est une belle illustration) et s’offrait ainsi une belle maitrise territoriale sur l’Atlético. La distribution beaucoup plus longue de Pinto allait aussi dans ce sens, après le naufrage européen du Calderon.
En face, pour ne pas passer son temps à défendre, l’Atléti a proposé un condensé des différentes options qu’elle a utilisées cette saison. Pour trouver l’équilibre entre repli et pressing, les Colchoneros se sont notamment appuyés sur un compartiment du jeu assez rarement au cœur des débats tactiques : les touches.
C’est d’une remise en jeu que vient la première situation, qui rappelle l’égalisation de Stamford Bridge, avec Juanfran qui dédouble et qui est à la réception d’une passe fouettée dans la profondeur. Juste avant, les Colchos avaient déjà gagné 30 mètres grâce à leur pressing et une touche très longue de Felipe Luis le long de la ligne.
Cette façon de jouer les touches s’inscrit dans le cercle vertueux du pressing et du gagne-terrain de l’Atléti qu’on pourrait décrire comme suit, du point de vue madrilène :
– Jouer les touches le plus verticalement possible quand elles sont dans notre camp
– Protéger le ballon pour pousser l’adversaire à le sortir à nouveau, et ainsi gagner 30 mètres
– Démarrer une attaque placée rapide après la touche
– Trouver la verticalité par la justesse technique, ou par le jeu long si l’adversaire presse
– Le mettre à son tour sous pression lorsque le ballon est dans son camp, pour en reprendre la possession
– Presser dur sur les remises en jeu dans le camp l’adversaire pour gagner du terrain
– Etre compact pour gagner les seconds ballons quand l’adversaire allonge, ou le pousser à le faire sortir en touche.
– Jouer la touche le plus verticalement possible…
Presser avant la touche pour en obtenir une, et profiter de ce moment où le hors-jeu ne compte plus pour gagner du (beaucoup de) terrain, attaquer la profondeur, et faire reculer l’adversaire. Grâce à cette approche, l’Atlético a obtenu 2 fois plus corners de plus que le Barça (8 à 4). C’est sa supériorité dans les coups de pieds arrêtés qui lui a finalement offert la Liga, grâce au but de Godin.
Après le 1-0
Menés à 10 minutes de la mi-temps, les Colchos se trouvaient dans une situation extrêmement périlleuse. Tiraillés entre le besoin de préserver ce déficit de -1 ou risquer d’en prendre un deuxième en se découvrant. C’est sûrement à ce moment-là qu’ils ont montré le plus de cran.
S’ils ont souffert pendant les 5 minutes qui ont suivi le but, les Colchos sont ensuite sortis gagnants du terrain grâce aux recettes décrites plus haut. En se procurant plusieurs corners et en faisant preuve d’une grande efficacité dans le 1 contre 1 en défense haute (notamment Felipe Luis sur Messi à 4’14’’ dans la vidéo ci-dessus), les Madrilènes ont préservé leur chance de revenir le couteau entre les dents en deuxième mi-temps. C’est peut-être pendant cette séquence, entre le 1-0 et la mi-temps que l’Atléti est allé chercher sa Liga.
Revoilà le pressing en 4-3-3
En de nombreux points, cette partie a rappelé le ¼ retour de C1 au Calderon. Ce jour-là, c’est le pressing tout-terrain qui avait permis à l’Atlético d’étouffer le Barça. Les blessures de Costa et Arda vont dans ce sens : à partir de leurs sorties, l’Atlético s’est trouvé avec le même onze que lors de sa qualification européenne.
La séquence du match qui illustre le mieux ce mimétisme est l’entame de la seconde mi-temps, qui va voir l’Atléti avoir immédiatement l’ambition d’occuper le camp barcelonais en pressant tout terrain grâce au 4-3-3 défensif de Diego Simeone. Ce système est immédiatement payant, David Villa trouve le poteau après 45 secondes, et le Barça perd sa solidité défensive, à l’image de l’alignement douteux de Mascherano. Dans la continuité de cette séquence de panique, Godin vient resserrer le bloc quand le Barça balance, et Raul Garcia vient mettre Adriano sous pression, obtenant une nouvelle fois, une bonne touche dans les 22. La touche donnera un nouveau corner, fatal au Barça.
Continuant sur leur lancée après le but, les Colchoneros, boostés mentalement par l’égalisation, se paient le luxe de dominer le Barça à la fois territorialement et dans la possession pendant les dix premières minutes de la seconde mi-temps. Le Barça est sans solution face à cet Atléti compact qui ne défend qu’en avançant.
L’entrée de Neymar / Fabregas axe gauche
Forcément, le contexte a rendu la dernière demi-heure complètement folle et irrespirable. Le Barça a continué à pilonner l’Atlético par la droite, avec de plus en plus de présence dans la surface. La défense de l’Atléti est apparue assez vulnérable après l’heure de jeu.
Tout au long de la partie, les actions du Barça se sont irrémédiablement terminées sur la droite. Alves a centré 15 fois, Adriano seulement 5. Quand le Brésilien reçoit le ballon, de l’autre côté Juanfran suit toujours la course de l’ailier gauche, qui repique souvent vers l’axe. Quand le ballon arrive de la droite, le latéral espagnol est systématiquement le joueur le plus bas sur le terrain. L’Atlético a toujours plus ou moins défendu de cette façon, ne faisant pas de l’alignement une priorité. Les Matelassiers peuplent la surface, couvrent les appels et protègent leur gardien, jouant tous les duels et n’opérant jamais de « remontée » pour mettre les attaquants du Barça hors-jeu. D’ailleurs cette année le Barça en a toujours concédé entre zéro et deux face à eux, ce qui est très peu.
Cette stratégie devient dangereuse quand le ballon n’est pas dégagé au deuxième poteau, et revient sur un blaugrana, naturellement couvert par cette défense très basse et à la forme diagonale.
Si ce plan a fonctionné jusqu’alors cette année pour l’Atlético, il aurait pu lui coûter le titre.
L’action sur laquelle ce « défaut d’alignement » est le plus explicit est évidemment le but refusé à Messi. Cette attaque est la première qui suit l’entrée de Neymar. Le passage axe gauche de l’ancien Gunner n’est pas forcément étranger à cette désorganisation des Madrilènes. En laissant Neymar prendre la largeur, Adriano prend le rôle d’Iniesta, et Iniesta celui de Messi, entre les lignes. Par ce changement, Martino a gagné en présence dans la surface, et a intégré Fabregas aux « plongeurs » sur les centres d’Alves, ce qu’il ne pouvait pas faire axe droit.
Juanfran éloigné du point chute du ballon, aurait pu être le coupable malheureux d’un terrible désastre. Et Martino le coach revanchard dont l’histoire aurait changé à Barcelone… Mais le drapeau s’est levé. Évidemment il ne s’agit pas ici de contester la légitimité du titre de l’Atléti, mais plutôt de constater, que des mois de travail peuvent toujours s’évaporer sur des micro-détails…