Lundi soir, Cristiano Ronaldo a remporté son troisième Ballon d’Or. Avec Lionel Messi, il est devenu le symbole d’un football où le talent a laissé place au marketing.
Cristiano. Messi. Messi. Messi. Messi. Cristiano. Cristiano.
Voilà à quoi ressemble le palmarès des sept derniers « FIFA Ballon d’Or » (marque déposée). Et à quoi ressemblera très probablement le palmarès des sept prochaines années, tant les deux meilleurs attaquants de la Liga écrasent toute la concurrence. Depuis 2008 et le premier sacre de Cristiano Ronaldo, les deux attaquants ont toujours occupé les deux premières places du classement, à l’exception de 2010 (Andrés Iniesta avait fini deuxième, derrière Lionel Messi). Certes, ces deux joueurs sont exceptionnellement bons. Mais comment est-ce possible d’écraser à ce point, et avec une telle régularité, des joueurs qui ont fait une année au sommet ? Cette année, un gardien champion du monde qui a révolutionné son poste. L’année dernière, un artiste en Ligue des champions et en sélection nationale. En 2010, un homme qui a réussi l’exploit de gagner toutes les compétitions qu’il a jouées. Tous, balayés par les deux rivaux les plus célèbres du monde.
Alors, pourquoi ?
On pourrait accuser la primauté donnée aux joueurs offensifs, qui laisse Lev Yachine seul au panthéon des gardiens. Dans cette même veine, on pourrait proclamer la victoire d’un football où, comme au basket, la statistique serait toute-puissante. C’est juste pour expliquer la défaite de Manuel Neuer. Mais, que l’on sache, Andrés Iniesta, Wesley Sneijder, Franck Ribéry, ne sont pas des défenseurs ? On pourrait aussi accuser le mode de scrutin de la FIFA. Faire voter des journalistes, des joueurs et des entraîneurs. Étrange mariage de la carpe et du lapin qui, comme par hasard, coïncide avec le début de l’écrasante hégémonie des deux titans. C’est juste. Mais la cause principale n’est pas là.
On vend du Cristiano Ronaldo comme du soda
Le Ballon d’Or original, décerné par France Football, racontait une belle histoire avant de sacrer le meilleur joueur d’Europe puis du monde. On se souvient des débats enflammés qui avaient entouré le trophée « immérité » de Fabio Cannavaro en 2006. Explication : Cannavaro était le capitaine, et donc le symbole, d’une Italie qui était âprement allée chercher la Coupe du monde malgré les scandales dans son championnat. Jolie histoire, trophée mérité.
Cristiano Ronaldo et Lionel Messi ont eux aussi un storytelling. Le surdoué de Rosario (Argentine) pris sous son aile par le Barça et l’enfant de Madère (Portugal) qui s’entraîne d’arrache-pied pour être le meilleur. Seulement, voilà. Ces deux histoires parfaitement calibrées qui emportent tout sur leur passage sont des campagnes publicitaires. Ronaldo et Messi sont tous les deux devenus des marques. On vend du Cristiano Ronaldo comme d’autres vendent du soda. Et d’ailleurs, ces marques ont même un logo.
Même la rivalité entre les deux hommes est devenue un argument publicitaire. Le bosseur contre l’artiste, le génie contre l’égoïste. La mécanique est si bien huilée que les deux ont une armée de partisans, prêts à toutes les joutes verbales pour les défendre. Tout débat dans les commentaires d’un site internet de foot finira immanquablement par attirer ces hordes de trolls. Exactement comme les gamins dans les cours d’écoles qui s’écharpent pour défendre leur console de jeux favorite.
Vive l’incertitude !
Cette image calibrée au millimètre, ni Andrés Iniesta ni Franck Ribéry n’ont les moyens de se l’acheter. Et pour cause : ils restent de banals joueurs de foot. Humains. Avec leurs hauts et leurs bas, leur faiblesse, leurs incertitudes. Être un produit marketing, ça se mérite. Il faut toujours être au top. Ne jamais se blesser. Ne jamais se mettre à dos les consommateurs. Ne jamais céder à son humanité, comme l’a tant de fois fait Franck Ribéry.
Cette transformation du football est inquiétante. En voulant gommer sa part d’incertitude, le marketing est en train de tuer le football. Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, ces robots capables de planter un but par match et de vendre des dizaines de milliers de maillots chaque année, en sont les symboles. Tout extraordinaires qu’ils soient sur le terrain, ces joueurs ne peuvent plus être considérés comme les autres. Car ce sont les premières marques déposées à jouer au football. Et quand le football se joue à un contre un, ce n’est plus l’Allemagne qui gagne. Et c’est bien triste.