« Bien jouer, les gens savent ce que c’est. Il ne faut pas chercher plus loin. Il y a des matchs où même si leurs équipes perdent, les spectateurs applaudissent à la fin. Le public sait parfaitement reconnaître le bon football. Les gens ne sont pas stupides et les footballeurs jouent pour eux. » Ce paragraphe pourrait faire sourire s’il n’était pas prononcé par l’un des plus grands entraîneurs du continent sud-américain. En effet, Francisco Maturana surnommé « Pacho » a tout simplement transformé le jeu et la culture football de son pays. Accumulant les titres nationaux et continentaux, il est notamment le premier entraîneur à avoir permis à une équipe colombienne de remporter la Copa Libertadores en 1989 (avec l’Atlético Nacional de Medellin). De plus, il est l’homme qui a permis à la sélection nationale de Colombie de dominer cet immense continent au début des années 90. Revenons ensemble sur l’une des plus belles générations que ce pays ait porté : le grand crû 1993-1994. Portrait tactique d’un coach et d’une équipe pour qui la manière importe autant que le résultat.
Note au lecteur : Étant donné que nous sommes dans l’analyse de matchs assez anciens, la qualité de la vidéo et donc des images sélectionnées n’est pas toujours optimale. Merci pour votre clémence. Remercions tout de suite le support footballia.net sans qui rien ne serait possible.
UN ENTRAINEUR AU PARCOURS ATYPIQUE
Francisco « Pacho » Maturana alias « El Profesor » n’est pas un joueur de football reconverti entraîneur comme les autres. Pendant son début de carrière, Maturana a poursuivi ses études et exercé le métier de dentiste à côté de sa passion pour le football. Les études qu’il a mené ainsi que les rencontres footballistiques qu’il a pu faire ont participé à la construction d’une idée du football bien précise qu’il retrace dans la revue « The Blizzard » dont voici la traduction de quelques extraits : « Ces coachs m’ont simplement enseigné ce que j’aime et ce que je n’aime pas dans le football. Quand je jouais, il n’était pas vraiment question de joie. Je ne prenais pas beaucoup de plaisir durant les matchs parce que j’étais demi-centre et mon rôle était de stopper le numéro 9 adverse. Tu ne peux pas vraiment aimer le football comme cela. Ainsi, ce que j’ai essayé de faire, en tant que manager, c’est d’être plus ambitieux et de nous enthousiasmer tous.«
Pour affiner sa vision du football, Francisco « Pacho Maturana » s’est appuyé sur une personnalité quelque peu oubliée en Europe : Ricardo De Léon (Lire la « Pyramide Inversée » de Jonathan Wilson pour aller plus loin sur ce personnage). Ami et proche de Rinus Michels lorsque celui-domine l’Europe dans les années 70, il introduit de nouvelles notions tactiques et stratégiques durant ses périples d’entraîneur en Amérique du Sud. « El Profesor » raconte comment ces idées sont venues jusqu’à lui : « De Léon fut le manager du Defensor Sporting, un petit club uruguayen où Luis Cubillas a joué. Plus tard, Luis Cubillas a rejoint l’Atlético Nacional et a commencé à répandre ses idées. Il fut le premier qui apporta cette toute nouvelle manière de jouer en Colombie. Je ne l’ai jamais rencontré durant cette période mais à chaque fois que j’ai été traversé par les doutes, que j’ai eu besoin d’une clarification sur quelque chose, j’avais l’habitude de l’appeler et il m’apportait son aide. Ainsi, mon équipe s’appuyait sur ce que j’ai appris de ces trois hommes : De Léon qui avait les idées, Mojica qui les a étudié, et Cubilla qui fut l’homme principalement responsable de leur implantation en Colombie. » Tout en minimisant son propre rôle, cette citation illustre comment les idées footballistiques circulaient dans les années 1970-80. Les Pays-Bas, petit pays d’Europe par la taille mais immense par son influence footballistique a donc participé à révolutionner la manière de jouer en Amérique du Sud et tout particulièrement en Colombie.
C’est ainsi qu’avec Once Caldas, puis l’Atlético Nacional de Medellin, il remporta la Copa Libertadores en 1989, la Copa Interamaricana l’année suivante avant de prendre les rennes de la sélection nationale. En s’appuyant sur ce noyau dur de joueurs issus de l’Atlético, il construit une sélection de qualité qui se qualifie au Mondial 1990 (alors qu’ils n’étaient plus présents depuis 1962), et qui en 1993-1994, avant le mondial aux États-Unis, reste sur 24 victoires consécutives. Dès lors, comment s’anime son équipe sur le terrain ? Quels sont les principes et les cheminements mis en place en phase offensive ?
COMPOSITION ET ANIMATION
DE L’AMOUR DU JEU EN 1 TOUCHE DE BALLE : CONSERVER LE BALLON POUR MIEUX EXPLOSER EN PHASE OFFENSIVE
Francisco « Pacho » Maturana, opte pour un 4-4-2 assez proche d’un diamant durant cette période. Mais s’attarder sur le système ici serait une perte de temps car l’une des grandes caractéristiques du collectif Cafeteros, c’est la liberté de déplacement de tous les joueurs, notamment ceux situés dans le secteur offensif. Les décrochages et permutations sont fréquents. En phase de sortie de balle, les défenseurs centraux sont sollicités pour faire tourner le ballon, pour assurer la conservation de celui-ci. Même s’ils ne sont pas souvent pressés par l’adversaire, ils ne prennent pas d’immenses responsabilités à la relance et c’est souvent les latéraux ou les milieux Gomez, Alvarez ou bien même Valderrama qui décrochent à tour de rôle pour assurer les premières passes.
(Le défenseur central dispose du ballon et cherche un relais sans grande prise de risque à travers son latéral gauche, qui n’est pas encore orienté de ¾ pour voir le jeu. On perçoit déjà à l’image la supériorité numérique dans cette zone avec 4 Colombiens pressés par 3 Argentins sans grand succès pour ces derniers)
(Pérez, d’un superbe extérieur du pied droit envoie le ballon directement dans les pieds de Valderrama, hors champ)
(L’image arrêtée ne laisse pas voir la merveille de contrôle orienté sous pression effectué par Valderrama. Celui-ci lui permet de se dégager du marquage pour servir Valencia qui attaque immédiatement la profondeur dans le dos du défenseur Argentin)
Au-delà de ce cheminement très rudimentaire, cette séquence permet d’insister sur la première qualité qui saute aux yeux du téléspectateur lorsqu’il regarde les matchs : la qualité technique très élevée partagée par la globalité des joueurs sur le terrain. Personne n’hésite à donner en jeu court ou en jeu long à son partenaire car quelle que soit la zone du terrain, le ballon est rarement perdu bêtement sous la pression.
Nouvel exemple ici :
(Les Colombiens sont en bleu à l’image. Ce sont pas moins de 8 joueurs, très proches les uns des autres, qui réalisent des passes à priori « faciles » dans le but d’aspirer l’adversaire)
(Alors qu’il est sous la pression de 2 joueurs roumains, Valderrama opte pour la solution la plus difficile : la passe verticale entre deux joueurs. Dans la seconde qui suit, il se propose entre lesdits joueurs telle une luciole insaisissable)
(Dans cette zone qui fourmille de joueurs roumains proches les uns des autres, les Colombiens se faufilent. Après un « une-deux » c’est un délicieux « appui-remise-ouverture côté » qui est réussi au cœur de la densité)
(Alors qu’Herrera, le latéral, a pu gagner des mètres balle au pied grâce à la fixation de nombreux joueurs dans l’axe par ses coéquipiers, il propose un autre « une-deux » cette fois sur le côté droit)
(Le « une-deux » est réussi et l’espace dans le dos du latéral peut être attaqué pour finaliser l’action par un centre. Tout le décalage s’est fait par du jeu au sol, du déplacement combiné associé à une belle qualité technique)
Ce cheminement à travers tout le terrain met en avant des qualités fortes mais aussi des principes de jeu très chers à l’entraîneur colombien. D’abord, l’équipe fait toujours son possible pour faire circuler le ballon en une touche de balle pour disposer d’un temps d’avance sur l’adversaire. Ensuite, les Colombiens apparaissent comme des maîtres du jeu dans les petits espaces : alors que la plupart des équipes réalisent quelques passes de fixation pour aller chercher l’espace libre derrière, les Colombiens cherchent à redoubler le plus possible, le plus longtemps possible, presque jusqu’à l’abus et ce sous les vivas des supporters qui restent ébahis par cette maestria technique sous le soleil de Pasadena. Enfin, les latéraux jouent un grand rôle dans la progression du ballon zone par zone. Ils n’hésitent pas à gagner des mètres balle au pied, à initier des dédoublements. Dans la mode des latéraux offensifs d’Amérique du Sud des années 90, on pense souvent à Roberto Carlos et Cafu. Il ne faudrait désormais pas oublier Herrera et Perez.
D’autre part, il y a un homme qu’on ne voit pas à l’image mais dont le rôle est capital pour sortir le ballon et ne pas s’affoler sous la pression : c’est Óscar Córdoba, le gardien de la sélection.
Effectivement, la Colombie produit dès les années 90 une grande génération de gardiens de but dont René Higuita puis Córdoba sont les têtes d’affiche. Là encore, il ne faudrait pas penser que le jeu au pied des gardiens s’est développé dans les années 2000-2010. Certes moins répandu qu’aujourd’hui (l’ouragan Guardiola est passé par là), certains pays disposaient déjà de portiers à l’aise dans ce secteur. Il n’est pas rare de voir Córdoba se proposer à ses coéquipiers pour ressortir le ballon. De plus, il n’hésite pas à crocheter les attaquants trop sûrs d’eux qui se présenteraient à lui. A l’image du fantasque Higuita, l’erreur fait aussi partie de leur jeu mais n’atténue pas leur prise de risque soutenue par l’entraîneur : « Quand René commit cette erreur contre le Cameroun, tout le monde le blâma, il était la victime idéale. (…) Après le match, j’étais avec Pedro Zape, un autre grand gardien colombien et il me dit : il n’a que 23 ans, qui à son âge n’a pas fait d’erreur ? » Et quatre ans plus tard, Pedro m’a dit exactement dit la même chose quand Hagi mit le lob à Óscar Córdoba. Regardez Neuer maintenant, il est un fantastique gardien, mais vous pensez qu’il n’a jamais fait d’erreur ? » Córdoba a été champion d’Argentine, champion avec Boca, et il a remporté la Copa América avec la Colombie en 2001 sans concéder de but. Tout le monde fait des erreurs cela fait partie du processus d’apprentissage. »
Et il insiste sur l’importance de son portier pour mener à bien son projet de jeu : « Nous voulions jouer avec une ligne défensive haute au sein d’un système très compact. Dans notre système, si notre gardien reste dans sa surface, il y aura beaucoup d’espace pour que l’adversaire en profite, mais s’il monte avec le reste de l’équipe il pourra réduire cet espace et créer une connexion à travers l’équipe.«
Dans le football que veut déployer Pacho Maturana, mentionnons le rôle déterminant des 2 attaquants de ce 4-4-2 dans la construction des actions.
(Suite à une touche du latéral droit, Valderrama dévie en une touche derrière lui)
(Nouvel échange en une touche de balle entre Asprilla et Valderrama qui débouche sur une ouverture dans l’axe)
(Deux passes en une touche de balle de moins de 10 mètres chacune auront suffi à mettre le latéral gauche colombien dans de très bonnes conditions : il peut attaquer l’espace balle au pied face comme il sait si bien le faire)
Autre séquence où s’illustre le jeu des attaquants :
(Alors que le ballon circule dans la confusion depuis quelques secondes, Rincon utilise le corps obstacle pour absorber la pression et ressortir de la densité au sol. Le joueur face à lui sait déjà qu’il va lui remettre en une touche)
(Les Cafeteros savent faire des miracles dans de tous petits espaces : ici ce sont pas moins de 4 Argentins qui ne sont pas suffisamment bien placés ni dans le bon tempo pour stopper le déploiement de cette action. Valderrama peut être trouvé entre les lignes)
(Toujours par la passe courte, Valderrama tente de servir Asprilla redescendu assez bas. Celui-ci, grâce à sa vitesse de course et sa qualité de prise de balle fait la différence sur ses rivaux)
(Malheureusement pour la Colombie, alors que l’action a permis de mettre deux coéquipiers en position presque idéale pour finaliser l’action Asprilla va s’entêter dans ses dribbles et perdre le cuir)
Le Toque définit grâce à ces images comme un enchaînement de passes courtes coordonnées en une touche de balle permettant de mettre l’adversaire hors tempo et hors de position est sublimé dans les pieds colombiens. Dans cette démonstration collective, Valderrama est tout simplement au-dessus du lot !
Totalement libre sur le terrain, il vogue au gré de ses inspirations dans n’importe quelle zone où ses partenaires sont susceptibles de le trouver. A chaque fois qu’il touche le ballon, il se passe quelque chose sur le terrain. Il est de ces joueurs qui doivent préserver toute l’humilité des entraîneurs : ils voient et font ce qu’aucun coach ne peut imaginer sur tableau noir. Le football appartiendra toujours aux footballeurs…
Le premier but de la démonstration colombienne face à l’Argentine (5-0 au final) vient illustrer notre propos :
(Ce premier but part d’une touche côté gauche à destination de Valderrama. Au milieu de 3 joueurs Argentins, il parvient à se retourner et s’offrir de l’espace de jeu)
(A peine sorti de la densité, une passe associée à un enchaînement de bons déplacements suffit à faire la différence : Asprilla embarque son adversaire par un appel de la droite vers l’axe ce qui libère la zone dans son dos. Rincon n’a pas perdu de temps et s’est projeté immédiatement dans l’espace. La passe de Valderrama est évidemment parfaite)
(Face au but, Rincon ne tremble pas, élimine le gardien d’une sublime feinte et finit dans le but vide)
Au-delà du génie d’un seul homme, ce cheminement illustre aussi l’harmonie et l’intelligence de déplacement de tout un collectif. Asprilla et Valencia sur le front de l’attaque proposent énormément d’appels autant en appui qu’en profondeur. Alvarez, Gomez et Valderrama savent se trouver sans se regarder.
Indéniablement, le pari effectué par Maturana de s’appuyer sur un noyau de joueurs qu’il a auparavant entraîné et évoluant ensemble en club a facilité la création d’automatismes et d’une identité stylistique.
Ainsi, dans ce grand orchestre cafeteros, que retenir de cette phase offensive ? Cette équipe exècre le jeu long, parfois jusqu’à la caricature. A sa décharge, notons qu’elle est globalement très faible dans le domaine aérien, ainsi que dans la réception des seconds ballons. Ainsi, les Colombiens cherchent surtout à gagner du terrain par la passe courte ou mi-longue en s’appuyant beaucoup sur le jeu dos au but des attaquants. Par ailleurs, fixer l’adversaire avec beaucoup de joueurs côté ballons redoublant les passes permet ensuite de créer des situations de dribble en 1 contre 1 sur le côté opposé. Dans ce cadre, si Rincon, Asprilla ou Valencia sont trouvés dans ces conditions dont ils raffolent, ils sont quasiment inarrêtables. Leur vélocité accompagnée d’une bonne technique les rend presque injouables dans ces situations. Toutefois, précisons que cette équipe a souvent besoin d’énormément d’occasions pour marquer. Le cas du fameux 5-0 contre l’Argentine n’est pas révélateur de la véritable efficacité de cette équipe devant le but. D’ailleurs, lors du premier match de Coupe du monde contre la Roumanie, c’est leur faiblesse abyssale dans la finition qui explique en bonne partie leur défaite (même s’il faut dire aussi qu’Hagi a su les martyriser le peu de fois où il a touché le ballon).
Ainsi, le paradigme « conservation-explosion » semble bien résumer le style d’une équipe et d’un coach où tout tourne autour du ballon : « On nous enseigna [Avec Ricardo De Léon] que la chose la plus importante était le ballon alors qu’avant tout le monde pensait que le plus important c’était l’adversaire. Si tu as le ballon, tu détermines les conditions du jeu et si tu ne l’as pas, on nous apprend comment faire pour le récupérer le plus vite possible. »
MATURANA EN AVANT GARDE : L’UN DES PREMIERS MAITRES DE LA DEFENSE DE ZONE EN AMERIQUE DU SUD
Si ses mentors européens et sud-américains lui ont permis de construire son identité offensive, ces derniers ont été tout aussi enrichissants sur le volet défensif. Que ce soit à travers le courant de pensée incarné par Ricardo De Léon et ses acolytes ou même le vécu des matchs européens qu’il a pu avoir (l’AC Milan de Sacchi notamment), il a tenté d’imposer une forme de « modernité » défensive incarnée à travers la défense en zone.
(Le bloc colombien présente une bonne compacité et ne se laisse pas déstructurer par les courses des adversaires changeant de zone)
(Le bloc colombien se caractérise par la volonté de ne pas rester trop bas. Il se situe en général à un niveau médian. Dans ce cadre, l’alignement défensif est important et on perçoit avec cette image la discipline que s’impose les Cafeteros : les joueurs ont les épaules bien orientées pour anticiper le jeu long, l’alignement quant à lui ne permet pas à l’attaquant adverse d’attaquer l’espace par surprise)
(En phase défensive, lorsque le bloc est en position médiane, l’équipe prend plus la forme d’un 4-4-2 à plat. L’objectif prioritaire reste de ne pas permettre des passes dans les interlignes axiaux. Ainsi, à chaque transfert de jeu, le bloc coulisse le plus vite possible)
(Nouvelle illustration assez nette du positionnement du bloc colombien et de la proximité entre la ligne des défenseurs et des milieux. Une fois sur le côté, l’objectif est de les enfermer contre la ligne en provoquant l’erreur technique)
Si Maturana a su instaurer suffisamment de discipline pour rendre difficile à l’adversaire la pénétration par l’axe, il n’est pas un fervent partisan d’un pressing tout terrain. Celui-ci se met en place par séquence en fonction du contexte du match. C’est probablement plus une volonté collective des joueurs qu’une consigne clairement travaillée. Néanmoins, ils se révèlent plutôt efficaces dans ce domaine puisque leurs déplacements se coordonnent très naturellement.
(Même si les images ne permettent pas toujours d’avoir des plans larges, on peut remarquer ici l’initiative de Valencia d’aller cadrer haut le défenseur central. Celui-ci va tenter d’éliminer par une passe latérale)
(Le second défenseur central est immédiatement cadré par l’autre attaquant colombien. Résultat, il réalise une remise à son collègue de l’axe qui ne semble pas préparé à subir un tel harcèlement. Dos au jeu, sans prise d’info et avec deux fusées face à lui, les chances de conserver le ballon sont maigres)
(Contre la ligne, harcelé par un adversaire, il décide d’allonger le jeu)
(Le dégagement du défenseur argentin atterrit directement sur Perea qui peut donner à son partenaire Alvarez pour relancer une offensive. On remarquera également la hauteur de la ligne défensive, située proche du rond central et qui présente un bon alignement)
Dans le football d’aujourd’hui où la volonté de récupérer le cuir le plus vite possible définit en partie les grandes équipes, cette sélection colombienne peut apparaître anachronique. Pourtant, ce que laisse percevoir les images, c’est une grande confiance collective dans les capacités à remonter le ballon même si celui-ci est récupéré à 50 mètres du but adverse. A l’image d’un Quiqué Sétien aujourd’hui, la Colombie aime prendre son temps pour construire les actions. Pour autant, quand le contexte l’impose ils sont tout de même capables de mener des attaques rapides de haute volée.
(Récupération du ballon en bloc médian au niveau du côté gauche par Perez)
(Après avoir récupéré le cuir, le défenseur poursuit son action, alors que 3 milieux de terrain se préparent également à déséquilibrer le bloc adverse)
(Rincon, joue sur Valderrama et suit également son action en passant dans le dos du milieu roumain. Les joueurs de couloir continuent leur projection et l’un des deux attaquants, entouré en rouge, prépare un déplacement)
(Valderrama nous propose encore sa spéciale : la passe courte parfaitement dosée entre les 2 joueurs et dans la course de Rincon. Asprilla, quant à lui, prépare déjà une course diagonale pour finaliser cette transition)
Cette petite séquence n’est qu’un extrait parmi d’autres de remontées de balle parfois exceptionnelles. Là encore il faut souligner le rôle des défenseurs latéraux, primordial pour attaquer les couloirs à la récupération. Le principe apparemment simple du « passe et suit » et « passe et va » est parfaitement intégré et assimilé par tous les membres de l’équipe et cela s’en ressent énormément dans la fluidité des actions.
Pour autant, le véritable anachronisme de cette équipe sur le plan défensif est visible à travers le niveau d’engagement et l’envie démesurée de se jeter sur tous les ballons. Défendre en zone n’a pas fait perdre aux Cafeteros le goût du duel. Les fautes pour excès d’engagement sont très nombreuses. Le téléspectateur reste littéralement bouche bée, quand le jeune Diego « El Cholo » Simeone, alors porteur du numéro 10 argentin et déjà alors réputé pour son engagement, se fait découper tout au long du match par les joueurs colombiens au point d’en être blessé… Les Cafeteros aiment trop le ballon pour accepter de courir trop longtemps derrière l’adversaire…
CONCLUSION
Lorsqu’on observe le football déployé sur le terrain, lorsqu’on pense à l’influence néerlandaise parvenue au delà de l’Atlantique, une citation de Johan Cruyff vient immédiatement à l’esprit : « Jouer au foot, c’est très simple, mais jouer un football simple est la chose la plus difficile qui soit. » Cette sélection colombienne semble avoir réussi à comprendre et à interpréter cette superbe citation sur le terrain à travers tous ses redoublements de passe, ses déplacements combinés, cette envie de jouer collectivement. Maturana vient alors nous expliquer l’une des clés permettant de pratiquer un tel football : « La concentration est la clé de l’intensité tactique [cognitive], donc, quand tu es capable d’avoir six ou sept joueurs qui travaillent, courent ensemble, harmonieusement, cela donne l’impression que tout le monde court. Mais ce qui est réellement en train de se passer, c’est que tous les joueurs bougent juste sur 10 mètres. Plus il y a de joueurs impliqués dans un mouvement, moins il y a de joueurs qui doivent bouger. L’intensité tactique n’a rien à voir avec la condition physique mais à tout à voir avec la concentration. » Pour autant, au-delà du contexte hors football parfois sulfureux autour de ce groupe, cette magnifique génération n’a rien gagné et a réussi à se faire éliminer au 1er tour de la Coupe du monde 1994 où on la disait presque favorite. C’est une génération plus obscure, celle de 2001, qui apportera le 1er titre de cette sélection toujours sous la direction d’ « El Profesor« . Ainsi, quand on lui demande s’il n’a pas trop de regret de n’avoir rien remporté avec Valderrama et consorts, si la victoire à tout prix n’aurait-elle pas eu plus de saveur, le sage préfère se retirer en philosophant : « Dans le football, personne n’est né pour gagner, mais si tu fais de ton mieux et que tu es capable de prendre du plaisir en jouant, le résultat n’est pas le plus important. Si tu perds, c’est aussi parce que l’autre équipe est meilleure, et parfois, tu dois l’accepter, dans la vie, il y a d’autres personnes qui sont meilleures que toi. Et parfois, ce n’est pas qu’une question de défaite mais de manière de perdre. Si tu perds alors que tu as cru dans ton propre jeu, le peuple va comprendre cela. »
Pour aller plus loin et retrouver les citations en langue originale voir :
https://www.theblizzard.co.uk/article/dentist-medellin
https://fr.fifa.com/worldcup/news/maturana-bien-jouer-aujourd-hui-continuer-demain-2222203
l’Espagne aura réussi ce que Maturana aurait adoré faire avec la Colombie