Les superlatifs ne manquent pas pour qualifier l’impact de l’élimination espagnole dès le premier tour du Mondial. Comment une sélection qui a régné sans partage sur le monde pendant 6 ans a-t-elle pu s’effondrer ainsi ? Autopsie en deux actes.
Coup du dauphin / Manque d’intensité
Au sujet de la première défaite contre les Pays-Bas, les diagnostics diffèrent, et l’analyse se doit d’être mesurée : La Roja maitrise son sujet jusqu’au 1-0, et s’effondre en dix minutes, à cheval sur les deux mi-temps. Les deux buts sont relativement similaires dans leur construction : Un long ballon venu du « coin » de la ligne médiane, une défense pas irréprochable, mais surtout deux miracles techniques : un coup du dauphin de Van Persie sur l’égalisation et un enchainement de haute volée de Robben sur le deuxième but.
Une explication qui ne doit pas occulter les lacunes de l’Espagne, dans son comportement défensif, et dans son animation offensive.
Sur les deux buts, on peut pointer du doigt le comportement des joueurs latéraux, notamment de Silva qui laisse à chaque fois trop d’espace à Daley Blind pour centrer. Mais Piqué est largement fautif : sur les deux buts, c’est lui qui couvre, il prend le bouillon en 1 contre 1 face à Robben sur le 2-1.
Dès la 8e minute, une séquence illustrait les errements défensifs de l’Espagne en général, et de Piqué en particulier. Bien pressé par Silva, Janmaat allonge. À la retombée, bien qu’il soit protégé par Ramos et Busquets, le défenseur catalan renvoie le cuir d’où il vient d’un coup de boule « sakhien ». Retour à l’envoyeur de de Jong vers Alba, qui lui – esseulé – tente le contrôle poitrine : la prise de balle est une offrande pour Robben et elle provoque la première occasion de Sneijder.
Il va sans dire que l’Espagne a la qualité technique pour bien utiliser le ballon et déséquilibrer les blocs par la qualité des transmissions. Pourtant, son jeu était relativement pauvre contre les Pays-Bas et Diego Costa fut à de nombreuses reprises recherché en profondeur « tout seul », étant trop souvent l’unique option capable de pourvoir un appel vertical. Ce manque de solutions, n’était pas forcément inhérent aux profils. C’est l’intensité dans les transmissions qui a manqué à l’Espagne. Enchaîner des séquences de passes, réduire les touches de balle, et surtout : bouger.
C’est l’absence de ce mouvement perpétuel qui empêche les Espagnols de trouver les appuis entre les lignes d’un bloc néerlandais dont la piteuse première mi-temps face à l’Australie aura prouvé l’inégale compacité. Ce manque de mouvement, comme la façon dont Silva gaspille une occasion de 2-0, donne de l’eau au moulin de l’analyse la plus basique que l’on peut produire sur l’échec espagnol : les champions de tout manquaient d’appétit. Et donc de conviction.
Pour autant, dès que la Roja a mis les ingrédients pour déstabiliser le bloc de Van Gaal, elle y est parvenue. Dès qu’elle a mis de l’intensité dans les transmissions, elle a créé le danger, en dépit de ce relatif manque de mouvement.
Il se passe 2 minutes entre l’occasion ratée par Silva et l’égalisation de Van Persie… La Roja a manqué d’autorité après l’ouverture du score, et n’aurait jamais dû laisser la possession se rééquilibrer.
Exploits techniques à la retombée de longs ballons, négligence défensive, manque d’intensité dans l’animation : Assez pour procéder à une telle remise en question lors du second match ?
La sortie de Xavi
Pour le deuxième acte de cette mise à mort, face au Chili, Del Bosque a tranché dans le vif : Piqué est remplacé en défense centrale par Javi Martinez ; mais c’est surtout au milieu que la bombe tombe : Xavi dehors. Le sélectionneur espagnol le remplace numériquement par Pedro et passe dans un « vrai » 4-2-3-1 avec une ligne Iniesta–Silva–Pedro derrière Diego Costa.
Facile à dire après le résultat, on va quand même le dire : la sortie de Xavi du onze fut un échec total. Face à une équipe joueuse et « presseuse » (ce n’est rien de le dire) comme le Chili, le compromis n’était pas la solution.
Intégrer Diego Costa au ballet ibérique était déjà un défi de taille pour Del Bosque. Avec Pedro et sans Xavi, son équipe a définitivement perdu son assise dans la construction. Le double pivot Busquets–Xabi Alonso n’est pas en mesure de se projeter et les deux « nouveaux » Pedro et Diego Costa sont beaucoup plus des joueurs de profondeur que d’appui, en dépit du profil complet du Catalan.
Ainsi, les solutions pour passer de la relance à la construction sont trop peu variées pour l’Espagne pendant cette première demi-heure qui lui fut fatale. Les séquences sont trop courtes et trop brouillonnes, en dépit d’un bon pressing. La verticalité ne lui apporte rien et l’Espagne est plus prévisible que jamais. Meilleure illustration : l’ouverture du score chilienne.
Quand Ramos gagne son duel avec Alexis sur un dégagement de Bravo, le second ballon est pour Alba. Combien de solutions pour le latéral barcelonais à la retombée ? Deux : Xabi Alonso et Busquets. En réalité zéro tant le circuit est lisible. Là, l’absence d’une option supplémentaire fait mal, et le contre chilien est impitoyable.
Sortir Xavi est une chose, et le choix peut se justifier par le déclin athlétique, mais le régulateur blaugrana, n’était-il pas tout aussi cuit à la fin de la saison 2012 ? S’en priver est une idée, mais pourquoi ne pas avoir tenté Fabregas ?
Avec son double pivot, Iniesta–Silva et Xavi (ou Cesc, donc) l’Espagne possède un véritable cœur du jeu à 5. C’était particulièrement explicite sur l’action qui amène le penalty face aux Pays-Bas. Paradoxalement, c’est en ajoutant des profils similaires footballistiquement et morphologiquement que la Roja est la moins prévisible. Dans cette configuration, les solutions de redoublement de passes sont multiples et l’apport de Xavi en faux 10 multiplie les solutions pour ressortir le ballon. À condition qu’il y ait du mouvement…
La compromission de Del Bosque / la solitude d’Iniesta
Coupable concession de Del Bosque après un carton presque anecdotique lors du premier match. À l’instar de Guardiola entre les deux tours de la demie contre le Real, on peut l’accuser d’avoir « flanché » sous la pression populaire, le score large (5-1) faisant fleurir les diagnostics à l’emporte-pièce. Pedro ! Koke ! Pourquoi pas Raul Garcia ?
« Le style ne se négocie pas », déclarait Xavi il y a peu au sujet de la verticalité. Si on a moins envie de lui donner raison dans le contexte catalan, sa citation prend tout son sens avec cette déroute espagnole.
Injecter de la verticalité au Barça est une évidence : Sa faiblesse défensive l’impose et le club catalan possède(ait) les profils pour percuter et verticaliser le jeu (Neymar, Alexis, Cesc… Messi). La problématique est complètement différente pour l’Espagne qui a les moyens individuels derrière (Ramos, Javi Martinez) de baser son équilibre sur une possession défensive disproportionnée. Et pas forcément les moyens offensif de miser sur des différences créées dans le duel, plutôt que par le mouvement, la passe et l’appel.
Del Bosque a légitimement remplacé Piqué par le (désormais) défenseur basque, mais il a en même temps privé son milieu du 3e relais qui lui assurent sa fluidité dans les transmissions. Et sa capacité à maîtriser les débats.
Iniesta a rapidement pris les choses en main, mais ce n’était pas bon signe : il s’est retrouvé en seul homme à même d’assurer le lien entre (toutes) les lignes : Il devait jouer à la fois son propre rôle et celui de Xavi. La mission était impossible et le jeu est devenu lisible pour le Chili. Les prises à deux de Sampaoli se sont chargées d’achever les chances de la Roja d’être dangereuse. Après le 1-0, l’Espagne a eu encore plus du mal à sortir, et la polarisation forcée du jeu sur Iniesta s’est accentuée. Xabi Alonso s’est souvent trouvé en sous-nombre et a vécu un cauchemar au milieu de terrain.
En diagnostiquant mal les causes de la défaite initiale, Del Bosque a agrandi la plaie, et précipité le désastre.
Pire, il s’est compromis face à la pression populaire et celle de la presse.
Les causes non-tactiques
On ne peut pas tout expliquer tactiquement, et d’autres causes viennent justifier le décès. Forcément au premier rang : le niveau de forme. Qui explique en partie les lacunes défensives, offensives et un éventuel manque de fraîcheur mentale, poussant à faire les mauvais choix.
Illustration avant l’ouverture du score, sur une séquence très positive du premier quart. Sur cette action, Pedro s’insère dans la construction et le redoublement de passe casse le pressing Chilien. Mais même après avoir dépassé l’agressif premier rideau sud-américain, la Roja fait les mauvais choix, à l’image de Silva ici, qui cherche Costa dans l’axe (2 contre 4) au lieu d’écarter vers Alba et Iniesta à gauche.
On peut également repenser à l’inquiétante réaction de Vincente Del Bosque après le coup de sifflet final face au Pays-Bas. Le sélectionneur semblait totalement abattu et résigné, seulement concerné par l’idée de consoler ses joueurs. Comme si son équipe était déjà éliminée.
Malheureusement, il n’y a pas grand chose à disséquer dans leur jeu offensif. En tout cas drôle de coupe du monde, après l’Espagne, c’est l’Angleterre qui sort 🙁