Quand les deux meilleures défenses de Ligue des champions se rencontrent, il ne faut pas s’attendre à une orgie. Fidèle au pragmatisme qui a fait sa légende, Mourinho a posé un plan ultra-défensif, et a atteint son but. Même si son équipe n’en a pas marqué.
À qui la possession entre les deux plus grosses défenses ce cette saison en Ligue des champions ? La question principale de l’avant-match posait déjà les bases d’une bataille tactique et mentale dont le spectacle produit, allait provoquer moult jérémiades chez les partisans dudit « beau jeu ».
Pour ceux qui essaient de comprendre le plan, sans paradigme imposé, la tentation de citer Pablo Correa -sur le football, le théâtre et le spectacle- est grande. Mourinho est venu chercher le 0-0 et n’a changé de système que pour passer du 6-3-1 au 7-2-1. Le contexte était donc relativement inédit pour l’Atlético : Cette année, en Ligue des champions, seule la modeste Austria Vienne avait moins possédé le ballon que l’équipe de Diego Simeone.
L’organisation de Chelsea
Hazard et Eto’o blessés, Ivanovic suspendu, le Mou a donc dû pour proposer une équipe cohérente composer face à l’autre grande formation de contre-attaque cette saison en Europe. Willian a pris place à gauche, alors que Ramires occupait un poste de faux ailier droit pour donner encore plus de consistance à l’assise défensive des Blues. Derrière, Azpilicueta retrouvait son poste de métier, arrière droit, alors que le taulier Cole, très peu utilisé cette année, jouait (défendait) à gauche.
Mourinho a présenté un 4-5-1 des plus défensifs, tendance 6-3-1, dans la veine de ce qu’il avait posé sur les pelouses de l’Emirates ou, plus tôt dans la saison, à Old Trafford. Le back four est resté comme à son habitude très compact latéralement et était protégé par une sorte de trivote à la sauce britannique : Mikel-Lampard–David Luiz. Torres est resté loin devant, Willian et Ramires ont tenté péniblement d’assurer une transition qui était à peine un objectif pour les Blues, tant ils étaient venus chercher ce qu’ils ont obtenu.
Attaque-défense et matchs dans le match
En relance, les options de l’Atlético ont vite été réduites par le milieu très fourni des Anglais. Sur les flancs, Willian et Ramires s’occupent de Felipe Luis et Juanfran, et quand les latéraux jouent en retrait dans l’axe, les décrochages de Diego sont perturbés par la surveillance rapprochée d’Obi Mikel. La seule option pour l’Atléti : sauter la construction et chercher directement les 3 du 4-2-1-3 (Koke–Raul Garcia–Diego Costa). Au risque de buter sur une défense resserrée et intraitable dans le duel.
Alors, la transition de Chelsea est quasi-inexistante et aucun football (d’attaque) n’est produit, mais à la manière –habituelle- de son hôte du soir, les Blues neutralisent déjà la possession adverse par la qualité de leur repli, et en resserrant ses lignes.
Diego comprend vite qu’il doit décrocher au-delà du premier rideau pour toucher le ballon. Koke est contraint au même mouvement, ce qui transforme l’organisation de l’Atléti en une sorte de 4-4-2 diamant avec Diego en pointe haute et Mario en pointe basse, Koke et Gabi devant lui, le tout derrière un duo d’attaque Raul Garcia-Diego Costa.
Etant donné que Mario Suarez et les deux stoppeurs ne prennent que peu de responsabilité dans la construction, alors que seul Torres n’est pas derrière le ballon en phase défensive, Chelsea est en surnombre dans toutes les zones du (semi) terrain : 3 contre 3 dans l’axe, 1 contre un 1 chaque côté, et 4 contre 2 dans la boite.
Cette forteresse ne laisse que deux options à l’Atlético pour inquiéter Schwarzer : Frapper de loin face à un axe garni par 7 joueurs, ou centrer, et se retrouver à nouveau en sous-nombre. La sortie de Diego (qui aura tiré 6 fois de loin) pour Arda apportera une force de percussion supplémentaire à l’Atléti, mais l’obligera plus que jamais à centrer, la rendant encore plus prévisible pour Chelsea. Le cahier des charges de Mikel ne s’en est trouvé que simplifié, le Nigérian n’ayant plus qu’à garnir l’axe, transformant définitivement Chelsea en 7-2-1. Voire en 9-1. Qu’importe.
Privée de profondeur, l’équipe de Diego Simeone est mal à l’aise dans le rôle de celle qui doit construire ses attaques placées. La puissance de ses attaquants est neutralisée, et son animation forcément beaucoup plus latérale que d’habitude.
Le bus magique – la cohérence de Mourinho
En peuplant à la fois la surface, l’axe du terrain et les flancs en phase défensive, Mourinho a atteint son objectif, sacrifiant au passage la capacité de son équipe à marquer en contre-attaque, faute de nombre. Il avait déjà évolué plusieurs fois de cette façon cette année.
À la fin du match, après la pluie d’insultes dont il se fiche bien d’être la cible, il faut poser les bonnes questions. Combien de fois l’adversaire de Chelsea a-t-il véritablement créé le décalage ? Combien d’occasions, au sens propre du terme ? Mais surtout, la plus importante : Les Blues sont-ils en bonne position pour atteindre la finale ?
À cette question-là, la réponse n’est pas forcément oui. Chelsea n’a pas marqué à l’extérieur et si l’Atlético parvenait à le faire à Stamford Bridge, elle serait dans une position idéale pour contrer à son tour.
C’est là que résident à la fois la prise de risque et la cohérence de Mourinho. Il n’a pas marqué à l’extérieur et devra tabler sur un second clean sheet à la maison. Mais il a commencé à poser les bases de ses certitudes défensives dès le mois d’août, lorsque –déjà– il était fustigé pour avoir posé un 6-3-1 « duprazien » à Old Trafford.
Privé de son atout offensif majeur (Hazard) et de la cible permanente des six-mètres (Ivanovic), puis de son gardien et son capitaine sur des coups du sort, Mourinho a dû tabler sur un objectif réaliste pour aborder le retour dans une position non-pas favorable, mais abordable. Du moins plus abordable que le précédent, après un match aller imparfait défensivement. On ne l’y reprendra pas.
Doté d’un effectif moins fort sur le plan individuel que ses principaux concurrents à l’échelle continentale, Mourinho doit avancer. Il n’est pas là pour divertir. Il est là pour gagner, du moins, se qualifier, et il fait en sorte d’y parvenir.
D’une certaine manière, quand l’un joue en 2-3-5, et l’autre en 7-2-1, Pep Guardiola et José Mourinho font la même chose : ils prennent des risques pour créer le surnombre. Seule différence : Il ne le font pas au mêmes endroits du terrain. Mais les deux le font pour gagner. Mourinho devra assumer cette approche au retour et produire plus de football. À moins d’aller aux tirs aux buts. La qualité des prestations accomplies lors des matchs retour en huitièmes et quarts, lui donne des raisons d’espérer. D’autant plus qu’Hazard sera de retour.
Hier, c’est Chelsea qui a imposé sa loi à l’Atlético. Mourinho n’a jamais eu à passer au plan B. Les Blues n’ont pas plus couru que les Colchoneros et se sont créés seulement 2 corners de moins. Aucune des deux équipes n’a véritablement été dangereuse, dans un match cadenassé.
À contre-emploi dans le rôle du possesseur, l’Atléti a été pris à son propre piège, avant d’aller à Stamford Bridge, sans Gabi. Le technicien portugais a d’ailleurs bien analysé la situation après la rencontre : « D’habitude, l’Atlético frustre ses adversaires. Ce soir, c’est nous qui l’avons frustré ».