Événement dans le Calcio il y a un mois. Le club d’Ancône est devenu le premier club à être acheté par ses supporters. Le pensionnaire de Lega Pro a été cédé gratuitement et à hauteur de 88% à l’association Sosteniamolancona. Du jamais vu, alors que Taranto (Serie D) vient de lui emboîter le pas, ouvrant des perspectives jusque là inimaginables en Italie.
Le 22 juin dernier, deux événements ont lieu simultanément dans le foot italien. D’un côté, Parme est déclaré en faillite ; de l’autre, le nouvel Ancona 1905 est cédé à ses supporters. La faillite, le club des Marches, sur la côte adriatique, l’a connue en 2010, comme de nombreux clubs italiens. De Serie B, l’institution centenaire a dû repartir en Eccellenza (cinquième division). Coup dur pour le club qui avait vu passer Dino Baggio, Eusebio Di Francesco, Mario Jardel, Goran Pandev ou encore Max Vieri, le frère de Christian. Une tragédie banalisée par un scénario qu’ont connu 100 équipes professionnelles sur les 20 dernières années. Comme toujours dans ces cas-là, il ne reste plus que les derniers fidèles à se remémorer les glorieux souvenirs, ici une finale de Coupe d’Italie perdu en 1994.
Les supporters sont les premiers et souvent les seuls meurtris par ces drames. Alors les tifosi biancorossi se sont mobilisés et ont créé l’association Sosteniamolancona, qui a acquis 2% des actions du nouvel Ancona 1905. Le but : avoir un droit de regard sur la gestion du club, à l’image de ce que réclame le Conseil National des Supporters de Football (CNSF) en France. C’est le moment ou l’idée d’actionnariat populaire commence à émerger en Italie, suivant l’exemple anglais des trusts. Soutenue par Supporters Direct Europe, l’association nationale Supporters in Campo (supporters sur le terrain) voit le jour en juin 2013 pour aider les tifosi à organiser leur représentativité dans les clubs. Sosteniamolancona fait partir de ses membres fondateurs.
Les tifosi (re)prennent le pouvoir
Lors de la saison du renouveau en Eccellenza, Ancône rafle tous les titres possibles : championnat, Coupe d’Italie régionale et Coupe d’Italie nationale des amateurs. Mais le plus important est ailleurs : l’association naissante et le club signent un accord pour conférer aux tifosi l’élection de deux membres au conseil d’administration et les biens identitaires (dénomination sociale, couleurs, siège) indépendamment des parts possédées par Sosteniamolancona. Ce n’est que le début d’une aventure inédite appuyée par la mairie et un entrepreneur local, Andrea Marinelli, qui reprend l’Ancona. Désormais, cinq ans après la faillite et son arrivée, le président Marinelli se retire et décide d’offrir la propriété du club à l’association de supporters. Grand seigneur, l’entrepreneur paie de sa poche l’inscription au championnat de Lega Pro (troisième division) cette saison et assure son soutien économique pour les trois prochaines années.
Le projet, axé sur la participation des tifosi et la formation des jeunes, n’a plus rien d’utopique. Même les sponsors du précédent championnat, conclu à la sixième place, ne quittent pas le navire, preuve d’une certaine continuité. Voilà l’Italie plongée dans une nouvelle ère, sur les traces des précurseurs d’Angleterre, à l’heure ou le Calcio s’éloigne toujours plus de ses supporters, entre stades vides et scandales à répétition. Pour se convaincre qu’il s’agit sans doute d’une tendance future, Taranto (Serie D, peut-être repêché en Lega Pro) a lui aussi été acquis par ses supporters, deux semaines après l’Ancona, après avoir vécu une histoire identique. Ces deux cas atypiques vont être scrutés par le reste du pays. Dans tous les cas, en termes de gestion, les supporters ne pourront pas faire pire que les autres. Dans le seul championnat de Lega Pro (divisé en poules régionales), 90 points ont été retirés pour des défauts de paiement.
La route est encore longue et le vrai défi commence. La campagne d’autofinancement vient de se lancer. Si leur slogan clame « la passion ne peut être reléguée », il en faudra beaucoup pour revenir à l’affluence moyenne de 5000 spectateurs d’avant faillite. La balle est entre leurs pieds.