Arrivé il y a un an au Bayern Munich, Alphonso Davies était destiné à prendre la succession de Ribéry et Robben en fin de carrière. Depuis octobre, le Canadien surprend surtout par son nouveau positionnement, plus bas, et est devenu le joker du Bayern de Hans-Dieter Flick.
Aux Whitecaps de Vancouver, Alphonso Davies s’était révélé au football mondial avec l’identité d’un pur ailier de débordement : gaucher à gauche, plus dribbleur et centreur que buteur (même si adroit face au but), technique et vif, léger et physique. Plus jeune joueur de l’histoire en United Soccer League (ou « USL », deuxième division nord-américaine.) avec l’équipe réserve des Whitecaps à 15 ans en mai 2016 puis second plus jeune joueur débutant en MLS à 15 ans en septembre 2016 après le légendaire Freddy Adu. Alphonso Davies manquait de discipline sans ballon mais se montrait trop doué pour ne pas jouer tout le temps. Surtout ailier, capable de faire tomber tous les latéraux droit qu’il a rencontrés pendant deux ans avec finesse, changement de rythme et dribble. Parfois latéral, une dizaine de fois la saison passée, capable d’attaquer l’aile comme une moto qui esquiverait les bolides à contresens sur l’autoroute avec accélération, jolie conduite de balle et vitesse pure. De 2016 à 2018, son émergence sensationnelle le destine à incarner plus qu’une menace teenager pour les défenseurs de MLS. Il en est devenu le pire cauchemar.
En bleu et blanc, cette évolution se traduit par sa conversion d’une cible offensive de l’équipe en son moteur du jeu, de bouts de matchs en des prestations qui ressemblent souvent à un étalage de fondamentaux. Sur son côté dans le camp adverse, Davies sait tout faire. Il est celui qui brosse le centre et les coups de pied arrêtés, ajuste la passe en profondeur, dribble comme un ailier, enclenche la combinaison et utilise intelligemment le ballon. Mais aussi par la mutation de silence en beaucoup de bruit : l’Europe le suit. Son coach Carl Robinson (ex-milieu Gallois des Wolves et Sunderland) a rencontré le Bayern et Arsenal en 2017 et admis l’intérêt de Manchester United et Liverpool. Au bout de sa seconde saison à 17 ans, 31 matchs de MLS (sur 34), huit buts et dix passes décisives, il marque Zlatan, alors au Los Angeles Galaxy. Commentaire : « Je lui vois un avenir brillant ».
Le rouge et blanc frappé de la feuille d’érable sera le trampoline d’un joueur mystérieux en moteur de la popularité du football au niveau national. N’étant pas citoyen canadien mais résident permanent jusqu’en juin 2017, il n’était pourtant pas en mesure d’être sélectionnable par l’équipe principale. Depuis, Steve Reed, président de l’Association canadienne de soccer, en parle comme d’une pièce manquante : « Nous avions besoin de notre propre Sidney Crosby (la star canadienne de l’équipe de hockey des Penguins de Pittsburgh, considérée comme l’un des meilleurs joueurs de tous les temps) pour le soccer au Canada. »
Le cadeau de Flick
Arrivé au Bayern en janvier 2019 – il a signé en juillet 2018 mais a dû attendre ses 18 ans pour travers l’Atlantique – pour sur le papier, prendre les places de Ribéry et Robben, il assume un an plus tard non seulement un nouveau statut, mais incarne aussi deux ères modernes en Europe. D’abord, celle où les ailiers de débordement avec le goût pour « manger la ligne », ces ailiers « de race », jouent plutôt plus bas, en tant que latéraux, comme Dani Alves, Jordi Alba, José Luis Gaya, Antonio Valencia ou Alessandro Florenzi, quelques temps après que les défenseurs centraux se soient emparés du poste, type Ramos ou Branislav Ivanović. Alors qu’Alphonso Davies s’impose au Bayern à 19 ans et que son évolution tactique lui permet de jouer un rôle toujours plus important dans l’animation ambitieuse des Bavarois, la hype Davies à son comble, attire l’attention de toute l’Europe. Une hype exagérée ?
Au-delà d’être un changement tactique conséquence de plusieurs blessures en défense centrale, poussant Alaba, titulaire habituel dans le couloir gauche à se recentrer, l’idée de Hans-Dieter Flick, mise en pratique quelques fois précédemment par Niko Kovač, est à la fois bonne et efficace. Car Davies épouse parfaitement le rôle qui lui est confié. Dans une animation offensive souvent concentrée sur les flancs et les centres pour atteindre la surface adverse, les capacités physiques et la qualité technique du numéro 19 ont un vrai impact.
D’une, au cœur d’un Bayern dominant à travers l’utilisation du ballon et qui construit essentiellement sur le côté droit, Davies s’occupe régulièrement tout seul du couloir car Coutinho ou Perišić ont l’habitude de rentrer dans l’axe plutôt que d’élargir. Isolé côté opposé avec beaucoup d’espaces à avaler devant lui ou un 1 vs 1 à gérer, il peut compter sur la couverture de Tolisso, Goretzka, Alcántara ou Martínez.
De deux, dans un Bayern qui construit dans l’axe et face à une défense adverse fixe et donc une présence accrue sur son côté « faible », il peut fixer puis inviter Coutinho ou Perišić à prendre la profondeur dans le dos du latéral rival.
De trois, après un changement d’aile ou un Bayen qui construit dans l’axe, les intérieurs offrent des lignes de passes courtes et des appuis comme des rampes de lancements pour s’immiscer dans la profondeur.
De quatre, dans un Bayern toujours dominant qui construit dans l’axe, Davies mord la ligne à gauche, comme l’ailier devant lui qui s’en rapproche et amène avec lui le latéral au marquage. Servant d’appui, Davies peut dérouler dans le boulevard libre derrière.
Enfin, plus haut sur le terrain, quasiment en bout de circuit, fruit du jeu de position du Bayern qui a attiré l’adverse d’un côté et isolé Davies de l’autre, il a l’opportunité de prendre le dos du latéral ou de partir en raid de dribbles à l’intérieur. Une grande variété d’opportunités offensives sont offertes à Alphonso Davies. Mais plus que de multiples invitations à, « push forward », à des déboulements ou des chevauchées fantasques répondant à des consignes, ce sont des offrandes assignées à mettre en valeur les qualités de « Phonzie ».
Le troisième but du Bayern Munich à Chelsea en Ligue des Champions, incarne parfaitement le troisième « pattern », dans le schéma suivant : Davies reçoit le ballon du côté gauche, joue sur le relais Philippe Coutinho à l’intérieur entre les lignes, plonge immédiatement vers l’avant pour combiner avec le brésilien. Puis monté avec des fusées à la place des chevilles, il s’envole seul sur le côté adresser un centre propre pour Robert Lewandowski dans la surface. Deux mois avant, Fribourg avait subi la même foudre. Mais ce match Stamford Bridge représente le véritable instant x pour l’international canadien (17 sélections, 5 buts), qui a prouvé tous ses talents offensifs. En partant de plus bas, Davies ne perd pas en situations d’un contre un et de centres, gagne même des espaces pour se projeter (extrêmement !) rapidement vers l’avant et permet au Bayern de briser facilement le rythme de jeu, en plus d’avoir un défenseur gauche capable de participer au jeu de position mit en scène par Flick. De quoi en faire une arme offensive redoutable. Au sein de la Bundesliga, le Canadien est même le leader des dribbles réussis par match (3,6) devant Filip Kostic et Jadon Sancho (2,9 et 2,6). Et défensifs, aussi.
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Malgré son repositionnement plus bas, Alphonso Davies a donc conservé son identité. S’il est un formidable attaquant, il a beaucoup plus de problèmes quand il doit se contenter d’un rôle purement défensif. Difficile à contenir indépendamment de l’adversaire face à lui, il montre toujours les crocs et tente de mordre. Un atout, quand son équipe étouffe l’adversaire dans le dernier tiers adverse, car cela se dévoile pratique pour couper la transition offensive rivale dès les points de références. Un danger, à mi-terrain et plus bas, car ses prédispositions vers l’avant l’éloignent de son alignement et ouvrent des espaces dans son dos. Un danger ou un problème ?
Jusqu’à présent, le Canadien utilise sa vitesse pour rattraper ses adversaires et ne pas se faire pointer du doigt, comme un cheat code GTA lui permettant de résister à l’épreuve des balles, et permettant au Bayern d’être invincible dans la profondeur. Si au Bayern, le défenseur dur sur l’homme à la Carvajal, a peu de situations de défense placée à gérer par match, il doit tout de même développer un cerveau tactique à la Darijo Srna. Fusée comme Jordi Alba et marathonien comme Dani Alves, il démontre une évidente fiabilité et intelligence sur transition défensive. Alphonso Davies éblouit même. Quand il est interrogé à propos de Davies, Muller est aussi clair que muet lors des Euro : « Il possède un physique et un sprint comme on n’en avait pas encore au Bayern, mais ce qui est encore plus impressionnant, c’est tout ce qu’il a appris tactiquement en un an. Il est arrivé comme ailier, mais il livre comme arrière gauche des prestations de classe mondiale. » À la Albert Ferrer, époque Barça de Cruyff.
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D’autre part, l’ère de la polyvalence. Depuis le passage de Pep Guardiola entre 2013 et 2016, c’est l’une des singularités du Bayern Munich. Au milieu et devant, les joueurs peuvent permuter et assumer tour à tour la récupération haute du ballon et des courses offensives, cela basé sur l’intelligence tactique des joueurs. Mais la polyvalence est aussi derrière, au sein de la défense. David Alaba, formé en tant que milieu relayeur avant d’être replacé arrière gauche par Louis van Gaal, à tantôt jouer défenseur central, tantôt milieu défensif. Joshua Kimmich, milieu défensif à Leipzig a aussi évolué en tant que latéral droit et défenseur central. Les centraux Jérôme Boateng, Niklas Süle et Lucas Hernandez, eux aussi ont émergé à un autre poste pour améliorer le niveau général.
Et, depuis son arrivée il y a un an, Davies et sa polyvalence autorisent plusieurs possibilités. Toutes dans le couloir gauche : devant un latéral, derrière un ailier ou même seul. Dans une vision d’une flexibilité tactique plus grande, l’expérience, par séquences, peut se tenter en tant que milieu relayeur. Mais surtout, ailleurs, devant tout le monde. Aux Whitecaps de Vancouver, le néo-bavarois a déjà occupé ce poste d’avant-centre. Avec Gnabry, Coman et Joshua Zirkee, le secteur offensif des Allemands est jeune, prometteur et ambitieux. Mais est-ce en direction de ce laboratoire bavarois que l’Europe ouvrira grand les yeux dans quelques années, voire quelques mois, lorsque Davies explosera en pointe ? C’est le projet Alphonso Davies.