Jeu de position, Johan Cruyff, préparation physique, le pressing du Barça de Pep Guardiola, le côté mental du football, Peter Bosz, Jordi Cruyff et la formation. Dans une interview au média portugais Tribuna Expresso courant janvier, Albert Capellas a abordé tout cela. L’Espagnol, âgé de 52 ans, est le sélectionneur des moins de 21 ans du Danemark. Auparavant, il est passé par la formation de Barcelone et a coordonné l’académie du club catalan, puis il a rejoint le Vitesse Arnhem, Brøndby, le Maccabi Tel Aviv, le Borussia Dortmund et le Chongqing Lifan (D1 Chinoise).
Vous êtes retourné au pays de Laudrup (il fut entraîneur adjoint de l’équipe principale de Bröndby puis entraîneur des U17 entre 2014 et 2016 avant de prendre en main les U21 de la sélection danoise en 2019). Comment cela s’est-il passé ?
Il y a quelques années, j’ai travaillé à Bröndby, qui est aussi le club d’où vient Laudrup. Je connaissais donc déjà des membres de la fédération danoise parce que j’ai collaboré avec eux sur certaines thématiques par le passé. Quand ils m’ont présenté la possibilité d’entraîner les U21, je n’y ai pas réfléchi deux fois. Premièrement, parce que c’était le début d’un projet avec une bonne génération de footballeurs. Et puis ce n’était pas comme arriver dans une fédération et un pays où je ne connaissais personne. Je suis venu dans un pays où il y avait une certaine sécurité, parce que j’étais soutenu par des gens qui me connaissaient, parce que je connaissais déjà le championnat, beaucoup de joueurs, d’entraîneurs et le niveau. Il y avait beaucoup d’avantages. Je n’allais pas commencer de zéro.
Cinq victoires en cinq matchs dans votre groupe de l’Euro U21. Vous êtes le premier étranger à la charge de la sélection. Que vous ont-ils demandé ?
La première chose qu’ils m’ont demandée, c’était que l’équipe joue d’une certaine façon. La fédération danoise avait une idée très claire de comment elle voulait voir ses équipes jouer au football. Ils m’ont demandé de respecter cette vision, pas seulement pour les U21, mais pour toutes leurs catégories inférieures aussi. Ils essaient de trouver un modèle de jeu et un style très clair. Ils sont venus me chercher parce qu’ils savaient déjà que je jouais aussi de cette manière. Il était donc très simple de leur dire que oui, nous étions sur la même longueur d’onde. Aussi, s’ils sont allés chercher un entraîneur étranger, c’est pour découvrir de nouvelles choses. Au-delà d’une certaine manière de jouer, ils cherchaient l’inspiration d’un entraîneur extérieur. Et que j’apporte tout mon savoir pour, si possible, essayer d’améliorer le modèle de jeu. En tenant en compte que je viens de Catalogne, de Barcelone, que j’ai eu des expériences aux Pays-Bas et en Allemagne ainsi qu’auprès de nombreux entraîneurs. Ils estimaient cela comme quelque chose de très positif pour apporter de la valeur à la fédération.
Remarque-t-on déjà le jeu de position dans les matchs du Danemark ?
Bon, déjà, ce n’est pas la même chose d’entraîner un club et d’entraîner une sélection. Vous avez beaucoup moins de temps pour coacher et mettre en œuvre vos idées. Tout est basé sur le scout. Dans une sélection, ça change beaucoup si vous avez un joueur blessé ou un joueur important qui n’a pas le temps de jeu nécessaire. Ça affecte vraiment.
Maintenant, nous sommes très heureux de la tournure que prennent les choses. Beaucoup de concepts que nous voulions mettre en œuvre se voient de plus en plus souvent, comme dans le dernier match que nous avons joué contre l’Ukraine. En première période, nous nous sommes vraiment rapprochés de ce que nous recherchons. C’est une évolution. Il faut que l’on sache davantage conserver le ballon plus longtemps. Nous travaillons à le faire et à avoir plus de patience à certains moments du jeu, mais d’un autre côté, nous défendons très bien, nous réalisons des transitions très, très bonnes.
Le pressing à la perte (de la balle), la défense en avançant, les moments-clés où nous devons presser lorsque défendons vers l’avant. Sur le plan défensif, nous avons beaucoup évolué. Au niveau offensif, si nous regardons de notre premier match jusqu’au dernier, nous avons aussi beaucoup évolué. Nous avons joué cinq matchs. Vous savez que dans le football, ce n’est rien (rires). Je suis très, très heureux et satisfait de ce que nous faisons et de ce que font les joueurs, qui, en fin de compte, sont ceux qui jouent. On essaye juste de les guider un peu, de leur donner un peu d’orientation et de mettre tout le monde d’accord pour qu’on aille tous dans la même direction. Le mérite revient aux joueurs.
Je dois vous poser une question : qu’est-ce que le jeu de position et à quoi sert-il ?
Le jeu de position est une façon de jouer aussi valable que beaucoup d’autres. C’est jouer au football en tenant compte et en fondant tout en fonction de la balle. Beaucoup de gens pensent que le jeu de position c’est simplement faire beaucoup de passes. Et d’avoir beaucoup la balle. Parfois oui, parfois non. Mais ce n’est pas tout. Le jeu de position est basé sur les trois P : de possession de balle qui est d’essayer d’avoir le ballon, de position qui est d’être très bien positionné sur le terrain, non seulement pour mieux attaquer mais aussi, si nous perdons le ballon, pour être très bien positionnés afin de réaliser une transition défensive agressive avec un pressing vers l’avant. Et enfin, de pressing qui au moment où nous perdons la balle, est un moment dans lequel l’équipe adverse est désorganisée – parce qu’elle se concentre sur la récupération du ballon -. C’est un moment de chaos.
Si vous êtes capables de récupérer le ballon dans les cinq secondes suivant la perte, pressant de manière très agressive et si vous le récupérez grâce à ce moment de chaos, vous obtenez deux choses : l’équipe adverse s’ouvre, vous offrant de l’espace pour une contre-attaque rapide (on obtient de nombreuses occasions de buts quand on récupère la balle rapidement). Si on presse et l’on récupère la balle proche du but adverse ou dans le camp adverse, cela évite de courir énormément de mètres vers l’arrière. Pas seulement pour un joueur mais pour toute l’équipe. Ainsi, cela évite de gaspiller beaucoup d’effort physique. Même s’il semble que le pressing à la perte demande beaucoup d’effort physique, cela demande seulement trois, quatre, cinq secondes et concerne seulement deux, trois joueurs qui sont proches de la balle. De plus, en moins d’une minute ils ont récupéré toute leur énergie. Cet effort nous permet d’éviter que toute l’équipe doive courir 60 ou 70 mètres en arrière. C’est un avantage physique.
Ensuite, il y a un autre point : la frustration. Si vous avez longtemps la possession du ballon, et qu’au moment où l’équipe adverse te le vole, tu le récupères quasiment instantanément, vous gagnez le match au niveau mental. Car cela frustre énormément l’équipe adverse. Quand ils commencent à l’être, vous gagnez mentalement. C’est pourquoi le jeu de position est riche. C’est pourquoi il est tant difficile. Ce n’est pas seulement avoir la balle, c’est contrôler beaucoup plus de phases du jeu, en particulier les transitions.
D’un autre côté, le jeu de position se base également sur le fait de changer ton équipe en fonction du rival. Donc il faut bien l’étudier. Si vous voulez avoir la possession du ballon, vous devez faire pleins de choses, en plus de ne pas le perdre facilement. Si vous voulez avoir 60% de possession de ballon, vous devez le récupérer rapidement en pressant haut, évitant que l’adversaire sorte court. Vous devez vous organiser pour gagner les seconds ballons, étudier la façon dont vous allez presser pour le pousser à relancer où vous aurez l’avantage, pour savoir où est-ce que votre équipe peut relancer, trouver des triangles et surtout, comment générer l’homme libre qui va vous permettre de réaliser une sortie de balle propre. Nous savons que si nous réalisons une bonne sortie de balle, le match peut se terminer en festival de buts et de domination dans le camp opposé. Il faut de l’intelligence, de la préparation et beaucoup de communication, car il faut l’expliquer aux joueurs. Et surtout les convaincre. Ce sont eux qui jouent. Si nous ne sommes pas capables de les convaincre, c’est plus difficile.
Si vous voulez jouer de manière agressive, pressant très haut, il est important d’avoir 60 ou 70% de possession de balle parce que vous allez faire beaucoup moins de sprints. Si vous avez 40% de possession, ça veut dire que votre rival a beaucoup plus la balle, vous allez devoir dépenser davantage d’énergie sur le plan défensif pour l’a récupérer, donc ça va être beaucoup plus dur de maintenir l’intensité. Et pas seulement : quand vous récupérez le ballon, vous êtes fatigués car vous avez beaucoup couru. Vous allez prendre des mauvaises décisions et être moins précis avec la balle. C’est pourquoi nous disons que nous voulons au minimum, 60% de possession. C’est la référence (58% , 60%, 62%) à partir de laquelle nous pensons qu’il est le plus simple de jouer le jeu de position dans toute sa plénitude. Un des avantages de déplacer le ballon est qu’il ne se fatigue jamais. Nous n’avons jamais vu le ballon transpirer (rires).
Parfois, j’ai l’impression que les gens qui n’aiment pas ce genre de jeu n’ont jamais couru après un ballon…
(rires) Bien sûr. Beaucoup de gens pensent que c’est une manière romantique de jouer. Je ne joue pas au football par romantisme, je joue pour essayer de gagner. La manière dont nous comprenons le jeu de position n’est pas celle parce que Johan Cruyff ou Guardiola l’ont utilisée. Non. C’est parce que nous voulons gagner et parce que nous avons des données qui nous montrent qu’en jouant ainsi, nous augmentons nos chances de gagner. Et ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas perdre, parce qu’il n’y a pas de système infaillible. On perd avec tous les systèmes. On gagne avec tous. La seule chose que nous savons, c’est que si nous jouons bien de cette manière, si nous avons les bons joueurs et si nous jouons intelligemment, les algorithmes, le big data, les données nous disent que nous avons plus de chances de gagner. Parfois, bien sûr, on peut avoir 70% de possession de balle, avoir la balle et perdre le match 2-0. Ce n’est pas arrivé parce que nous avons joué le jeu de position, mais parce que, quand nous avons perdu le ballon, nous n’avons pas été vigilants défensivement. C’est un autre problème, nous n’avons pas fait les choses correctement quand nous attaquions et avons autorisé les contre-attaques. À ce moment, il faut améliorer ce que nous faisons mal dans le jeu de position.
Vous parliez de pressing. Je me souviens d’une vidéo de Marcelo Bielsa où il a reconnu à Johan Cruyff que le Barça de Guardiola avait quelque chose de merveilleux : quand il perdait la balle, il courait en avant.
Tout à fait. D’abord parce qu’il est plus facile de courir vers l’avant. C’est moins fatiguant et vous avez plus d’informations. Guardiola profitait de ce moment chaotique pour défendre vers l’avant et essayer de récupérer le ballon le plus près possible de la surface adverse.
Une fois la balle récupérée, on décidait de faire une contre-attaque rapide s’il y avait un avantage, ou si on jouait en arrière, on échangeait trois, quatre passes et on renverser le jeu de l’autre côté, pour gagner du temps ou par exemple, pour se reposer, au cas où nous serions fatigués et que le jeu soit trop ouvert. Puis on faisait 20, 30 passes pour avoir le match dans notre sens, pour contrôler le temps, le timing, le rythme, pour mieux se positionner sur le terrain. Quand nous contrôlions le temps du jeu, nous attaquions à nouveau. C’est vrai : défendre en courant vers l’avant est plus efficace et plus agressif. Nous devons être très agressifs, à n’en point douter. C’est l’une des grandes choses que Guardiola a fait à Barcelone : améliorer le système défensif de l’équipe.
Vivre près du Camp Nou a changé votre vie, non ?
Oui, j’avais mon appartement à 5 minutes du Camp Nou. J’ai eu la chance de voir beaucoup, beaucoup – je dis bien des centaines – d’entraînements de Johan Cruyff. Le centre d’entraînement Johan Gamper était ouvert à cette époque. J’allais voir les entraînements. J’étais tout seul. J’ai eu la chance de voir Laudrup, Romário, Guardiola, Stoichkov, Koeman, cette incroyable génération de joueurs. Guillermo Amor, Alexanko. C’était incroyable. C’est là que j’ai découvert les jeux de position : 4×4+3, 6×6+4, 3×3+2… Et comment ils jouaient à deux touches, comment ils déplaçaient la balle, l’intensité défensive qu’ils mettaient dans ces exercices pour récupérer la balle. C’est là que ma passion pour le jeu de position est née. Il m’a captivé. Je regardais les meilleurs joueurs du monde s’entraîner de cette manière, et ensuite je voyais comment ils jouaient le week-end ou la semaine en Ligue des champions. Et ça a eu un grand impact sur moi. C’est de la chance : j’ai eu la chance que Johan Cruyff ait été dans le club pendant huit ans, j’ai eu la chance que Johan Cruyff ait beaucoup influencé le football de la formation, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup d’entraîneurs du centre et de voir beaucoup de matchs des équipes de la formation aussi. Et j’ai eu la chance de vivre la façon dont toute la méthodologie du FC Barcelone a été dirigée parce que je vivais à côté. Ce n’était pas parce j’en savais plus ou que j’étais plus intelligent, non. J’étais simplement là. À cet égard, le jeu de position m’a captivé et j’ai décidé que je le voulais dans mes équipes.
Je me souviens de voir Xavi jouer avec les Infantis A en tant qu’organisateur dans un milieu à 4, dans un 3-4-3 et ensuite j’ai vu toute son évolution jusqu’à arriver en équipe première et jusqu’à remporter la Coupe du monde. C’est là que tu te rends compte de la force de cette méthodologie, surtout lorsqu’elle est implantée dans les équipes de jeunes. L’équipe première à la même philosophie, donc quand les joueurs arrivent, c’est génial. Tu réalises que ces joueurs, qui sont petits, qui savent peut-être que dans un autre modèle ou un autre football, ils n’auraient pas la possibilité de jouer au plus haut niveau, comme Xavi et Iniesta, grâce à cette méthodologie et à cette façon de les former, de comprendre le football, en donnant la priorité au ballon, en le déplaçant, en donnant la priorité à l’intelligence dans le jeu, ces joueurs ont la capacité de jouer au plus haut niveau. C’est donner une très grande opportunité aux joueurs qui ont beaucoup de talent. Et il y a des joueurs de ce genre dans tous les pays, mais ils se perdent généralement en chemin parce que beaucoup d’entraîneurs donnent la priorité au physique plutôt qu’à l’intelligence.
Vous avez fini par rencontrer Johan Cruyff quand vous avez terminé votre master à l’Institut Johan Cruyff. Comment était-il ? Que disait-il ?
Johan était exceptionnel. Il était une personne qui lorsqu’elle parlait, ne disait jamais quelque chose d’insensé. Il était une personne très, très, très intuitive et a eu un talent incroyable en tant que joueur, faisant partie de ces personnages éternels du monde du football comme Maradona, Pelé et Eusébio. Ce sont des légendes du football. En tant qu’entraîneur aussi. Il était exactement pareil. Il avait beaucoup de personnalité. Énormément. En tant qu’entraîneur, il expliquait le pourquoi des choses et convainquait le joueur de ce qu’il devait faire. Il était très sûr de ce qu’il voulait. Ce sont peut-être les plus grandes similitudes entre Guardiola et Johan Cruyff : ils avaient très bien compris comment ils voulaient jouer et pourquoi, ils le justifiaient aux joueurs et ils avaient une personnalité assez grande pour ne pas changer d’idée. Ils étaient très convaincus, et ne faisaient pas douter leurs joueurs. Ce qui se passe souvent c’est que quand un entraîneur perd ou quand quelque chose ne fonctionne pas, on essaye de changer le système, on doute, on change de position, et ça finit par nuire à l’équipe. Nous jouons un peu avec la chance : voyons si nous trouvons la clé et changeons le système pour voir si nous pouvons gagner. Ils ne l’ont pas fait : ils avaient très clairement envie de jouer de telle façon. Johan Cruyff était très clair sur sa façon de jouer. Cela ne fait aucun doute. C’était un des secrets de Johan en tant qu’entraîneur. Au-delà de sa philosophie de jeu, c’était surtout sa conviction de la bonne façon de jouer au football.
Some years ago I studied the Master International Sport Management at @Cruyff_Inst_ES It was a great decision,Thanks pic.twitter.com/cWbqHCf7oY
— Albert Capellas (@albert_capellas) February 17, 2016
En 1999 vous êtes arrivé où vous avez toujours voulu être : au FC Barcelone. Vous avez été adjoint de l’équipe B et coordinateur de La Masia. Qu’exigiez-vous des entraîneurs de la formation ?
Nous demandions que l’ambition du club soit de former de jeunes joueurs pour rejoindre l’équipe première. C’était notre mission. Nous étions là pour aider les jeunes talents, pour les accompagner dans leur évolution, jusqu’à ce qu’ils aient une chance de jouer dans l’équipe principale. La philosophie de l’équipe première, à l’époque, était d’avoir au moins 50% de joueurs provenant du centre de formation, donc nous avions une grande responsabilité. Autre chose que nous demandions était que tous, nous travaillions en équipe. Un entraîneur n’était pas seulement entraîneur des Cadete A ou Cadete B ou Juvenil A, ou Infantil B, nous étions des entraîneurs qui aidaient le club à développer des jeunes talents pour atteindre l’équipe principale. Nous avons beaucoup travaillé ensemble et beaucoup bénéficié de l’intelligence collective. Nous faisions beaucoup de réunions : pour parler des Infantis A, par exemple, les entraîneurs des catégories supérieures et inférieures avaient également des avis sur le jeu, la philosophie et surtout comment on pouvait aider ces joueurs à avoir plus de chances de rejoindre l’équipe A. Nous ne permettions pas à un entraîneur d’engager ou de licencier un joueur. Un entraîneur seul ne pouvait pas le faire. Ces décisions étaient prises en groupe. Si, à la fin de la saison, il y avait un joueur qui n’avait pas répondu aux attentes et qu’un entraîneur disait qu’il ne voulait pas de lui l’année suivante, ce n’était pas permis. Il y avait une évaluation, on parlait aux entraîneurs qui l’avaient entraîné les années précédentes et on essayait de savoir si ce joueur avait encore du potentiel. Entre tous, nous décidions si nous pouvions continuer ou si nous devions trouver une solution en dehors du club. C’était l’une des clés. Quatre et six yeux voient beaucoup plus que deux.
Nous leur demandions aussi, au moment de s’entraîner et de jouer, de s’entraîner et de jouer de la même façon. Toutes les équipes essayaient de jouer avec le même système (3-4-3 ou 4-3-3). Un autre secret était le scout. Nous avions un profil de joueur très déterminé pour chacune des positions sur le terrain. On expliquait aux scouts du club comment on jouait et quel profil de joueur on voulait pour chaque position. Ensuite, quand les recruteurs nous présentaient les joueurs à suivre, ils étaient déjà très alignés sur notre façon de jouer. Alors, en tant que coordinateurs du centre de formation, nous disions aux entraîneurs quels exercices ils devaient faire, et nous leur donnions des séances d’entraînement et ils devaient les appliquer. Ainsi dit, cela semble très agressif, non ? Qu’un entraîneur ne puisse pas préparer son entraînement… mais, d’autre part, il faut comprendre le contexte : on était là, on regardait tous les entraînements, on participait aux entraînements et on parlait aux entraîneurs tous les jours. Durant la semaine, nous parlions déjà de ce que nous ferions la semaine suivante. Quand les entraîneurs recevaient les entraînements, on avait déjà discuté et on s’était mis d’accord avec eux. C’est pourquoi ils ne voyaient pas cela comme une intrusion dans leur travail. Comme ils avaient participé au processus d’élaboration des séances, ils le prenaient très bien. Pour ce faire, le profil d’entraîneur recherché aussi doit être très clair. Dans la formation, nous demandions que le but soit d’aider les jeunes à rejoindre l’équipe première, mais ce que beaucoup d’entraîneurs veulent, c’est devenir entraîneur professionnel. Nous essayions de bien cerner le profil pour chacune des catégories. Quand nous parlions d’équipes de 8, 9, 10 et 11 ans, ce que nous recherchions, c’était un profil plus d’éducateur, qui venait de l’université, avec une grande connaissance du football, avec beaucoup de patience et qui savait bien traiter les jeunes.
À l’inverse, quand nous cherchions des entraîneurs pour la Juvenil A ou le Barça B, nous cherchions un profil d’entraîneur avec le potentiel pour entraîner en première division ou qui sait, entraîner par le futur l’équipe première de Barcelone. Guardiola a commencé au Barça B. Luis Enrique aussi. Et des entraîneurs comme Oscar García, qui a commencé en Juvenil A, est arrivé au Red Bull Salzbourg et est maintenant au Celta Vigo. Quand un joueur a 16, 17, 18 ans, il cherche déjà un entraîneur avec le potentiel de rejoindre l’équipe première et surtout avec l’expérience du football professionnel. Quand vous avez vécu une carrière professionnelle, il y a beaucoup de détails qui ne sont pas écrits dans les livres et que vous devez avoir vécu pour pouvoir les transmettre aux joueurs qui sont dans cette dernière étape pour rejoindre l’équipe principale. Nous essayions de différencier ces types d’entraîneurs. Une des choses que nous avons faites était aussi de donner beaucoup d’importance au préparateur physique. Souvent, dans de nombreux clubs, le préparateur physique ne prend en charge que l’échauffement et pas ce qui est lié à la balle. Nous l’avons fait à l’envers : le préparateur physique était presque le meilleur entraîneur de tous. Il réalisait un entraînement structuré, avec le physique, la technique, la tactique. Tous ensemble. Le préparateur physique devait avoir beaucoup de connaissances sur le football et notre façon de jouer pour préparer les entraînements appropriés.
Il y a quelques semaines, dans une interview à Tribuna Expresso (traduite ici), Albert Puig déclarait que la plus grande erreur que commettent les entraîneurs de football des jeunes est de ne pas laisser de place à l’erreur, à l’échec…
Il faut comprendre dans quel contexte il a dit cela. Je crois comprendre ce qu’il veut dire. Les entraîneurs veulent gagner à Barcelone. Quand tu commences à jouer, tu sais très bien comment tu veux jouer et quels profils de joueurs tu veux. Mais il s’avère que dans les catégories inférieures, les chances de perdre sont plus élevées. Quand ils perdent, que font beaucoup d’entraîneurs ? Ils changent. Ils changent les profils des scouts, recherchent des joueurs plus physiques parce qu’ils savent qu’ils augmentent leurs chances de gagner. C’est quelque chose que nous ne devons pas laisser arriver à Barcelone. Si tu perds, tu ne dois rien changer. Tu dois continuer à évoluer, parce que nous savons qu’à partir du moment où nous déployons cette façon de jouer, à court-terme, nous allons perdre et à moyen-long terme, nous allons gagner. Il faut permettre aux joueurs de perdre et d’apprendre dans la défaite. Cela les fait grandir. Et ensuite, au lieu de devenir un problème, c’est une opportunité de croissance. C’est une des choses claires au Barça, et je crois que c’est ce à quoi Albert Puig se réfère. Nous voyons souvent la défaite comme un problème alors qu’en réalité, si nous regardons bien le pourquoi de la défaite et si nous expliquons aux joueurs pourquoi, alors on peut tirer beaucoup d’apprentissage qui, à l’avenir, seront bénéfiques pour le joueur, l’équipe et même le club. Je dis souvent : un pas en arrière vaut trois pas en avant.
Albert Puig était aussi préparateur physique. Quels mythes entourent cette activité ?
Bon, maintenant vous aller avoir quelques titres. Pour nous, la préparation physique n’existe pas, nous parlons de préparation footballistique. Il faut comprendre la préparation physique. On ne peut pas la séparer du jeu, il faut la comprendre comme un ensemble. Nous ne préparons pas physiquement les footballeurs, nous préparons les footballeurs à jouer au football. Nous essayons que ce soit toujours lié avec la balle, d’accord ? Intégrer le jeu dans la préparation physique, c’est ce que nous avons créé. Paco Seirul-lo l’appelle ‘l’entraînement structuré’. D’un autre côté, il y a le mythe de l’échauffement...
C’était la question suivante…
(rires) Très bien. Dans de nombreuses équipes de football, on utilise 20, 25 minutes pour s’échauffer. Nous pensons que l’échauffement devrait être beaucoup, beaucoup plus court et accélérer de moins à plus de manière très rapide. Nous pensons qu’en six, sept minutes, c’est plus que suffisant pour préparer une équipe à faire un bon entraînement. Ainsi, cela nous offre chaque jour 15 minutes supplémentaires pour la tactique. À la fin de l’année et des années accumulées, c’est beaucoup de temps d’expérience pour les joueurs. Nous étions bien plus efficaces. Depuis 35 ans que je suis coach, je n’ai jamais vu un joueur se blesser à cause d’un échauffement. Le joueur se blesse quand il a accumulé beaucoup de fatigue. Quand vous accumulez de la fatigue et que vous devez retourner à l’entraînement, le risque de blessure est lié à la fatigue et non à un mauvais échauffement.
On ne voit pas non plus de blessures quand un joueur entre en match à froid…
Bien sûr. Ce n’est pas dû à un mauvais échauffement, mais à l’accumulation de fatigue que le corps dit ‘stop’. Donc le plus important dans le monde du football est de contrôler les charges d’entraînements. Nous avons la périodisation, vous au Portugal vous avez la ‘Périodisation Tactique’ des entraînements pour calculer la charge et l’intensité que nous donnons chaque jour à l’entraînement pour éviter que les joueurs accumulent de la fatigue et les blessures. Nous faisions ça très bien. Nous utilisions l’échauffement pas seulement pour chauffer, mais surtout pour préparer le cerveau (‘attention, je vais faire un effort de haute intensité’) afin de travailler des aspects globaux de team building : les joueurs se touchent, s’attrapent, se poussent parce que le contact physique accélère le processus de communication entre les joueurs et ils nouent des liens plus rapidement, ce qui leur permet de mieux jouer.
Autre chose que nous faisions : on ne faisait pas deux échauffements identiques. Si tu t’échauffes toujours avec le même échauffement, le joueur se détend, ne fait pas attention, baisse le niveau de concentration. Et que se passe-t-il ? Quand l’entraînement commence, il commence seulement à s’échauffer et à se concentrer sérieusement. On forçait le joueur à se concentrer dès qu’il était sur le terrain. On les forçait à écouter, à prêter attention, parce qu’ils apprenaient de nouvelles choses chaque jour. La concentration est l’une des choses les plus importantes dans le monde du football. L’échauffement n’était pas une simple formalité, mais une partie importante de l’entraînement.
Pour activer mentalement…
Exactement. Il y avait beaucoup d’objectifs qui se mettaient en pratique dans l’échauffement. Par exemple, nous essayions de faire beaucoup d’échauffement avec la balle, beaucoup, dans lesquels nous mettions des mouvements qui seront travaillés ensuite pour le match de la fin de semaine. Si nous savions qu’une des clés pour dominer l’adversaire était tenter de mettre la balle entre les lignes, alors l’échauffement était composé de réception/passe où l’on cherchait un une-deux et ensuite une passe entre les lignes pour jouer avec un troisième homme face au jeu. Ainsi, nous essayions de diriger la manière de penser des joueurs vers ce qu’ils auraient à produire en fin de semaine, en l’occurrence chercher des passes diagonales et le troisième homme.
Ces échauffements d’avant-match, de 30, 35 minutes sont-ils vraiment nécessaires ? Paco Seirul-lo lui parlait simplement d’acte socio-affectif…
Il y a plusieurs façons de faire un échauffement. Il y a des préparateurs physiques qui contrôlent chacune des phases du chauffage : deux minutes de mobilité articulaire, trois minutes d’accélérations, une minute d’étirements, quatre minutes de jeu de position, avec tout très défini. Et il y a d’autres préparateurs physiques, comme Paco Seirul-lo, qui donnent plus de liberté au joueur. Il faut chercher un mix : diriger un peu, mais aussi faire de la place pour que chaque joueur se prépare mentalement. Après tout, nous parlons de 11 joueurs, ils sont tous distincts et ils ont tous une manière différente d’aborder le jeu. Il y en a qui réclament plus d’intensité, qui aiment être actifs. Et d’autres qui préfèrent être tranquilles, de toucher moins la balle. Chaque personne est un monde. Paco Seirul-lo disait que le plus important était que le joueur devait savoir précisément quoi faire pour arriver en pleine forme au match, pour être connecté dès la première minute. Paco Seirul-lo et moi aussi, recherchions une socialisation de l’effectif dans laquelle les joueurs construisait des relations entre-eux, ce que nous les obligions à activer en match que ce soit dans les transitions ou dans le jeu de position. Nous ne cherchions pas seulement qu’ils combinent entre-eux mais qu’ils aient aussi le timing : qu’ils se recherchent, qu’il se contactent. Et qu’ils le reproduisent en match ensuite. C’est ce que Paco Seirul-lo nomme les ‘situations de simulations préférentielles’. Bref, il y a plusieurs façons. Ensuite, il y a aussi le thème important des étirements…
Il y a de nombreuses personnes qui croient beaucoup en les étirements et il y a beaucoup de joueurs qui ne croient pas en les étirements. Je suis de ceux qui pensent que c’est un sujet très personnel. S’il y a un joueur qui aime s’étirer, qu’il s’étire parce que ça lui fait du bien. Après tout, c’est sa préparation. S’il y a un joueur qui aime très peu s’étirer et que tu le forces à le faire, tu l’obliges à faire quelque chose qu’il n’aime pas, et qui sait, tu ne l’aides pas à bien se préparer. Ce qui empêche les blessures n’est pas un bon échauffement, ou un bon étirement, ce qui empêche les blessures est de ne pas surcharger les joueurs. Je préfère l’étirement balistique (consiste à utiliser des mouvements répétitifs pour amener un des membres au-delà de l’amplitude maximale. L’exemple le plus connu est celui où l’on est debout avec les jambes droites et où l’on essaie de toucher à nos pieds en donnant des « coups » pour les atteindre), bien plus dynamique, parce que tu dis au corps qu’il va faire un exercice de haute intensité. C’est une alerte. C’est comme l’histoire du gymnase. On joue sur un terrain de football, on ne joue pas dans un gymnase. Il y a beaucoup de joueurs qui aiment vraiment aller au gymnase. Il est important de savoir quel type de travail ils font dans le gymnase. Il y a beaucoup d’exercices qui peuvent être bons pour un joueur et pour d’autres peuvent être très mauvais. Ce n’est pas pareil pour tout le monde. Certains aiment le café court, l’autre le café avec du lait, l’autre le café italien et l’autre le café américain. Et il y a un autre qui n’aime pas le café. Non ? Au Portugal, vous avez l’exemple de Cristiano Ronaldo. C’est quelqu’un qui travaille très dur au gymnase et ça a très bien fonctionné. A côté, tu as un champion du monde comme Xavi qui, dans presque toute sa carrière de footballeur, n’a jamais marché dans un gymnase. Qui a raison ? À mon avis, les deux (rires).
Il y a une phrase intéressante de Menotti : « Je n’ai jamais vu une équipe gagner 3-0 et être fatiguée ». Ce qui se passe dans les matchs est souvent mental, non ?
C’est absolument mental. Je suis entièrement d’accord. Il y a une autre phrase de Di Stefano, je crois, qui était, « un joueur semble fatigué et quand il marque un but, il fait un sprint de 100 mètres jusqu’à l’autre côté du terrain » (rires). C’est-à-dire qu’un joueur marque et fait un sprint, mais 30 secondes plus tôt il n’en semblait pas pouvoir. Imagine une équipe de 10 joueurs, un jour de pluie, le terrain boueux, perdant 2-0, sans créer d’occasions de buts. Il reste cinq minutes, il y a un corner et ils marquent un but. Ce 2-1 renforce automatiquement une équipe qui était morte et elle commence à courir. C’est mental.
Le but est le meilleur préparateur physique.
Absolument. Marquer un but est le meilleur préparateur physique. Et ne pas encaisser de but aussi. Maintenir la cage à zéro but encaissé te rend plus actif que quand tu souffres. Le football est totalement mental. C’est pour cela que je parle de la règle des cinq minutes : quand une équipe marque un but, les cinq minutes suivantes sont très émotionnelles. Beaucoup de choses se sont passées, beaucoup de choses ont été retirées des âmes des joueurs. Il y a une équipe qui acquiert de l’énergie et une autre qui gagne en frustration. C’est un moment très dangereux, de temps en temps, c’est très bon à saisir. Si mon équipe marque le 1-0, je demande toujours beaucoup de concentration pour les 5 minutes suivantes, surtout pour qu’on ne subisse pas le 1-1. Mais il faut essayer de marquer le deuxième parce que l’équipe adverse est frustrée, elle est mal en point. Et au contraire, si nous encaissons 1-0, comme nous savons que c’est un moment très dangereux émotionnellement, nous demandons une attention et une concentration maximales pour marquer le 1-1 le plus tôt possible dans ces cinq minutes suivantes, parce que l’autre équipe peut potentiellement se détendre et laisser une chance, mais surtout qu’ils ne subissent pas le 2-0 dans ces cinq minutes. Dans le monde du football, il y a des moments clés : le début de la première partie, les dernières minutes de la première partie, le début de la deuxième partie et les dernières minutes de la deuxième partie. Et dans ces périodes, chaque fois qu’il y a un but, ces cinq minutes sont cruciales. Pourquoi ? Parce que le football est très émotif. J’aime que mes équipes soient très fortes au début de la première et de la deuxième période. Je sais que si on commence fort et qu’on marque vite, les chances de gagner sont plus grandes. Il y a des statistiques qui disent que l’équipe qui marque en premier a beaucoup plus de chances de gagner les matches. C’est ce que disent les statistiques, pas moi. Bien sûr, un jour, mon équipe peut perdre un match même si elle marque en première, mais quand on regarde le long terme, on sait que l’équipe qui marque en premier a plus de chances de gagner les matchs. C’est une statistique pure et dure.
Peter Bosz vous a choisi comme adjoint à Dortmund. Pourquoi ?
Quand je suis arrivé aux Pays-Bas, au Vitesse Arnhem, j’ai eu un secrétaire technique qui s’appelait Ted van Leeuwen – qui est maintenant à Twente – et qui m’a dit que je devais rencontrer quelqu’un avec qui je m’entendrais bien. C’était Peter Bosz, qui était très proche de lui. La première année lorsque Peter Bosz n’était pas en poste, nous avons beaucoup dîné ensemble. Nous parlions beaucoup de football, nous partagions nos connaissances. Quand Peter Bosz entraînait Heracles (D1 néerlandaise), son équipe jouait en 4-3-3, jouait très bien au football avec un jeu de position. Il y avait beaucoup de similarités dans notre façon de penser. Et puis, des choses de la vie ont fait que durant ma quatrième année au Vitesse, Ted van Leeuwen m’a donné le plaisir d’amener Peter Bosz au club en tant qu’entraîneur. Nous travaillions ensemble. Et on restait l’après-midi à analyser le jeu, à définir comment on voulait que notre équipe joue, quand on a la balle et qu’on ne l’a pas, quand on devait la récupérer, comme on voulait jouer… on passait des heures à se débattre. Et à écrire. Nous avions confiance en l’un et l’autre pour nous dire tout ce que l’on pensait, et pour nous demander « pourquoi ? ». Nous nous défiions mutuellement, sachant que c’était lui qui prenait les décisions finales. J’ai beaucoup appris, c’était une merveille. J’espère que pour lui j’ai été un peu bon (rires). Pour des affaires de football, je suis allé au Danemark, à Brøndby. Vitesse a laissé tomber le directeur sportif et nous étions aussi sans président. Il n’y avait personne pour prendre la décision de renouveler mon contrat, c’est pour cela que je suis parti chercher une vie dans un autre club. Quand j’ai dit au revoir à Peter, on savait qu’on retravaillerait ensemble à un moment donné. Et ça a été au Borussia Dortmund. Nous avons une très bonne relation amicale et nous parlons beaucoup. Nous sommes sur des projets différents, mais les chances de travailler ensemble sont toujours là. C’est une très bonne personne. Nos idées se ressemblent.
Il est dans un grand club (Bayer Leverkusen) mais croyez-vous qu’il puisse aller plus haut et entraîner les meilleurs clubs du monde ?
Oui, bien sûr. Absolument. Il a beaucoup d’expérience et à les idées claires. Il apprend aussi de la défaite (rires). Nous avons eu la chance d’être au Borussia Dortmund, où nous étions, au début, la meilleure équipe d’Europe… et puis, en un mois, tout s’est écroulé. Beaucoup de choses se sont passées, ce fut un très grand apprentissage pour nous. Il est tout à fait prêt. Il est très intelligent. Il sait très bien ce qu’il veut, comment il veut jouer. Meilleure est l’équipe, plus Peter Bosz a du potentiel. Il est totalement prêt.
Il sait parler catalan ou non ?
(Éclate de rires) Vous devriez lui demander à lui. Mais il connait quelques mots.
Vous avez dit dans une interview à Sport, que vous vous intéressiez à tout ce qui entoure la complexité du jeu. Écouter, comprendre, juger, décider et rectifier. Qui vous a le plus fait réfléchir ? Qui vous a défié comme personne ?
(Silence) … Même s’il ne le sait pas, c’est Guardiola qui m’a fait le plus penser. Il m’a énormément demandé d’analyser ses équipes. Johan Cruyff est aussi une grande inspiration, presque la plus grande. Avec qui j’ai discuté le plus du football, Peter Bosz. Et l’une des personnes qui m’a le plus influencée ces derniers temps, de par sa façon de voir les choses, c’est Jordi Cruyff. Il a l’intuition que son père avait et il voit les choses différemment, que seules les personnes avec un talent spécial peuvent voir. Jordi est l’une de ces personnes, avec ses commentaires, qui m’a fait changer les choses dans ma façon de penser. Il fut le dernier à arriver dans ma vie. Après 35 ans d’expérience avec de très nombreux entraîneurs, il a pu me montrer certaines choses qui se passent dans le football. Si je devais prononcer deux ou trois noms : Johan Cruyff, le premier. Paco Seirul-lo avec qui j’ai eu la chance de vivre de nombreuses années à Barcelone et à l’université, donc toute ma vie est influencée par lui. Nous sommes amis et j’essaie d’apprendre tout de lui. Puis, Peter Bosz. Et c’est parce que c’est avec qui j’ai eu des contacts, sinon je dirais Guardiola, Van Gaal, Arrigo Sacchi et Bielsa. Et même Simeone… J’essaie de comprendre pourquoi ces gens réussissent. Pourquoi réussissent-ils ? Qu’est-ce qu’ils font si bien ? Mourinho. Pourquoi Mourinho réussit-il ? Ce qui m’attire chez Mourinho, c’est la mentalité gagnante.Comment fait-il pour la transmettre à ses joueurs ? J’essaie de savoir pourquoi et je demande aux joueurs qui étaient avec eux : « Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ? » « Pourquoi ? » « Comment ils t’ont convaincu ? ». J’essaie de poser beaucoup de questions et d’analyser beaucoup, puis je fais mon modèle de jeu, en apprenant des meilleurs et en créant ma propre façon de comprendre le jeu. Ils sont tous différents. C’est peut-être la même idée, mais quand vous voyez les plans de jeu, il y a beaucoup de choses qui sont distinctes. Il y a beaucoup de façons de jouer, non ?
Le débat sur le ‘bien jouer’ vous ennuie ?
Oui, bien sûr.
Bien sûr ?
Oui. Surtout quand ce sont des gens qui parlent avec méconnaissance. Pour avoir un avis, il faut savoir très clairement ce qu’on cherche. J’aime beaucoup une phase de Johan Cruyff qui est géniale : « Si les gens ne savaient pas pourquoi on gagnait, comment sauront-ils pourquoi on a perdu ? ». Tu écoutes les débats et tu te rends compte qu’ils ne comprennent pas ce que tu fais. C’est pourquoi j’aime parler de football quand je donne des interviews. C’est une manière de faire de la pédagogie. Plus les gens ont des connaissances, mieux c’est pour le jeu. Les gens qui parlent auront plus de discernement. Les journalistes, les joueurs, les entraîneurs et les présidents… Je n’ai jamais peur de parler de mes équipes. Je suis de ceux qui croient que si l’équipe rivale sait comment mon équipe joue et sait que je ne changerai pas, elle va essayer de s’adapter et ce sera elle qui changera. Si je travaille mon modèle pendant une semaine, deux, trois, quatre ou un an ou deux, je perfectionne ma façon de jouer. jouer. Si je dois m’adapter à la façon dont joue mon rival, je n’ai qu’une semaine pour le faire. Cette façon de penser t’éloigne de la victoire. Cela ne veut pas dire que nous jouons toujours de la même façon, avec la même philosophie, il y a toujours des nuances en fonction du rival, bien sûr. Mais sans perdre l’essence.
Vous avez été adjoint au Vitesse et à Brøndby, où vous avez également formé les U17. Alternant ainsi entre la formation et le football professionnel. Qu’est-ce qui vous séduit le plus ?
Bon, ce qui me séduit, c’est de sentir que je peux apporter des choses là où je suis. Me sentir utile. J’ai toujours dit que je ne voulais pas finir ma carrière sans jouer la Ligue des champions, un Mondial ou un Euro. Quand je parle de football, quand je donne des conseils aux joueurs je peux avoir une mission beaucoup plus large. Je retire de bonnes choses et j’en profite dans tous les domaines. Quand je suis avec les jeunes, je vais très bien. J’essaie de les aider, avec mon expérience et mes connaissances, pour que les choses aillent bien et qu’ils puissent avoir une longue carrière au plus haut niveau. Quand je suis dans le football professionnel, à jouer les compétitions les plus importantes d’Europe, je profite de cette expérience, car je connais le football le plus modeste au plus professionnel. Pendant 35 ans, j’ai travaillé dans tous les domaines. C’est pourquoi j’aime tant la sélection. C’est une façon différente de comprendre le football. L’une des choses qui me reste à faire c’est de jouer un Mondial ou un Euro, pour voir ce que signifient ces compétitions et les mesurer en les vivant de l’intérieur.
Je suis entraîneur, je vais très bien. J’aurais aimé commencer plus tôt, c’est quelque chose que je me reproche (« pourquoi n’ai-je pas commencé à entraîner à ce niveau auparavant ? »). Je viens d’un niveau de football faible et je n’étais pas un ancien joueur, je n’étais personne dans le football. J’ai dû labourer et j’ai compris que le meilleur moyen d’atteindre le football professionnel était en tant qu’adjoint. Si je voulais grandir en tant qu’entraîneur principal, mes chances étaient très faibles. En tant qu’adjoint, j’ai beaucoup appris, je me sentais très utile. Mais à un moment, je faisais la même chose tout le temps, et je me sentais un peu vide. J’avais besoin de nouveaux défis et j’ai donc décidé de passer en tant qu’entraîneur principal, pour me tester et me forcer à aller au niveau suivant. Mais au fond, je suis aussi un pédagogue. J’aime partager les connaissances, enseigner aux joueurs, donner des cours et des séminaires. J’adore former. Ces différentes expériences me permettent, quand j’entraîne, de parler avec beaucoup plus de caractère sur toutes les facettes du jeu.