Delio Onnis a marqué des buts et les esprits. Passé successivement par Reims, Monaco, Tours et Toulon, il est encore aujourd’hui le meilleur buteur du championnat de France. 299 buts, excusez du peu ! Aujourd’hui, l’ancien goleador partage sa vie entre Monaco et l’Argentine. Pour La Grinta, il a accepté de revenir sur sa carrière exceptionnelle et de nous livrer son regard de passionné de football qu’il suit toujours autant.
Delio, tu as été très brièvement entraîneur au Paris FC et à Toulon après ta carrière, pourquoi ne pas avoir continué ? Que fais-tu aujourd’hui ?
Delio Onnis : C’est vrai que cette période au poste d’entraîneur a été brève. Aujourd’hui, j’habite toujours la Principauté et je fais beaucoup d’aller-retour en Argentine pour voir ma famille. Ces dernières années j’étais recruteur pour l’AS Monaco qui me demandait très souvent mon avis sur les jeunes joueurs en devenir du championnat argentin. Mais malheureusement aujourd’hui je ne travaille plus dans le foot, je dis malheureusement car même à 65 ans je reste un passionné de football et je cherche actuellement du travail dans ce domaine.
Ton histoire est particulière, d’habitude on naît argentin et on joue pour l’Italie. Toi, c’est l’inverse. Pourquoi ce choix ? Tu regrettes de ne jamais avoir joué dans le championnat italien ?
DO : Je suis né en Italie effectivement, mais j’ai rejoint l’Argentine à l’âge de deux ans. Non, je ne regrette pas de n’avoir jamais joué en Italie et il y a plusieurs raisons qui ont fait que cela ne s’est jamais produit. La première étant que je me sentais très bien en France ! La seconde est tout simplement qu’à l’époque, aucun club italien ne m’a contacté non plus. Alors si, en 1974 l’Inter Milan avait montré un certain intérêt à mon égard mais cela n’avait pas été plus loin. Mais encore une fois, j’étais très bien en France et j’en garde des souvenirs extraordinaires !
Il y a un de tes compatriotes, Lucas Ocampos, l’ancien crack de River dont on attend beaucoup à Monaco. Pour le moment, tu en penses quoi ?
DO : Honnêtement l’année dernière en Ligue 2, je ne l’ai pas reconnu. Je me disais ce n’est pas possible, ce n’est pas le vrai Ocampos que je connaissais sous les couleurs de River Plate ! Bon en ce début de saison ça à l’air d’aller beaucoup mieux, le coach Claudio Ranieri lui fait beaucoup plus confiance. Sans être un phénomène, il commence à faire son trou en France et je suis persuadé qu’il a un bel avenir dans le foot français ou ailleurs d’ailleurs. Il faut savoir qu’il y a quelques années, c’est moi qui l’ait proposé à Monaco quand il était encore en Argentine !
Qu’est-ce que tu penses du bras de fer entre la LFP et l’AS Monaco concernant la polémique sur la fiscalité du club ?
DO : Déjà, à mon époque cela n’existait pas. Je ne suis absolument pas d’accord et je suis de tout coeur avec l’AS Monaco. Pour moi, c’est plus une question politique que sportive ce sujet-là. Et je dis ça car, encore une fois, à l’époque on ne s’est jamais posé la question. Faut pas déconner ! Qu’est ce qu’ils veulent à l’AS Monaco ? Ils sont jaloux ? Il y a un président qui vient d’arriver avec un peu d’argent, un peu entre guillemets bien sûr, mais bon ça suffit maintenant. Pour en finir avec cela, sincèrement je ne comprend pas. Enfin si, je comprends très bien mais je ne suis pas d’accord.
En 1978, l’ AS Monaco est promu de deuxième division avec toi, Courbis, Ettori, Dalger, Jean Petit… Et vous avez été champions de France de première division directement ! Est-ce que l’histoire va se répéter cette année ?
DO : Tout est possible dans le football. Je pense effectivement que Monaco peut le faire, oui. Je ne dis pas qu’aujourd’hui, c’est sûr l’AS Monaco va terminer champion de France mais je crois que c’est tout à fait faisable. Encore une fois, tout est possible dans le football.
C’est quand même incroyable…Qui aujourd’hui pourrait battre ton record de meilleur buteur du championnat de France ? Monaco vient de recruter Falcao, peut-on le considérer comme ton héritier ?
DO : Peut-être, on verra bien. Mais aujourd’hui, c’est un peu plus difficile. C’est plus difficile dans le sens où les joueurs changent très souvent de club et très souvent de pays. Très honnêtement, je crois que ça va tarder un petit peu. Il y aussi quelques règles de jeu qui ont évolué depuis et je vais me répéter mais un joueur qui reste dix ans dans le même pays dans le football moderne, c’est très rare. Regarde; aujourd’hui tu vas flamber en France et tout de suite il y aura un club anglais, espagnol sur les rangs. C’est toutes ces choses-là qui me font dire que ça va être difficile que ce record soit battu un jour.
Une dernière question sur le championnat de France Delio, quelle image de la Ligue 1 a-t-on en Argentine ?
DO : En Argentine, c’est simple, on ne connait pas le football français. Les médias en parlent très peu. C’est dû certainement aussi au fait qu’il n’y ait pas beaucoup de joueurs argentins qui évoluent en Ligue 1. Je me souviens qu’à l’époque où j’évoluais en France, nous étions beaucoup plus de joueurs argentins. Bon on n’en parlait pas plus non plus, tu me diras.
« Il n’existe pas un seul championnat dans le monde où l’on donne autant de coups qu’en Argentine »
L’un des clubs dans lequel tu as joué en Argentine, le Gimnasia, fait son retour cette année en première division. Tu suis toujours le football argentin ? C’est le retour du derby de La Plata avec l’Estudiantes !
DO : Bien sûr que je suis très attentivement le championnat argentin ! Le Gimnasia… (Il prend un air très nostalgique). C’est le seul club en Argentine avec lequel j’ai évolué en première division, ma passion pour ce club est très difficile à expliquer. Tu sais, quand je passe dans un club je le garde toujours quelque part au fond de mon coeur. Et étant donné que le Gimnasia fut mon premier et unique club en Argentine, je suis très très content pour les supporteurs du Gimnasia. Pour le retour du derby de La Plata, c’est un match très particulier. Contrairement à l’Estudiantes, le Gimnasia n’a pratiquement pas de palmarès mais c’est le club le plus populaire de la ville. Il y a beaucoup plus de supporteurs du Gimnasia que de l’Estudiantes et ça j’en fais le pari à qui le veut.
Après River Plate, le football argentin connait un nouveau séisme avec l’Independiente aujourd’hui qui est relégué. Comment expliques-tu que même avec le descenso (système par moyenne de points sur trois saisons) qui est censé protéger les gros clubs, on en arrive là ?
DO : Et oui, et oui… Pour ce qui est du système du descenso je ne suis pas d’accord du tout ! Je ne suis pas d’accord non plus pour que l’on joue deux championnats dans la même année (ndlr : tournoi d’ouverture et de clôture). Tout cela, c’est uniquement pour l’argent. Pour en revenir à River Plate et l’Independiente, ces deux clubs sont descendus car aujourd’hui le championnat connaît une égalité dans le niveau de jeu. Mais malheureusement, une égalité par le bas et pas par le haut. Aujourd’hui je peux t’affirmer qu’un club de Primera B Nacional (ndlr : deuxième division) peut battre n’importe quel club de première division, donc à partir de là il y a un réel souci. Et aujourd’hui, tous les clubs sont menacés de descendre à l’étage inférieur même avec le système du descenso !
En parlant du système du descenso, n’est-il pas la cause de la baisse de niveau du championnat argentin ces dernières années ? Aujourd’hui les équipes ne jouent pas pour gagner mais jouent pour ne pas perdre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête quand on connait les désastres financiers qu’entraîne une relégation en Argentine…
DO : Voilà, voilà où en est-on arrivé… C’est malheureux mais c’est ce que j’ai toujours déploré. J’ai toujours dit que le championnat argentin n’était pas beau à voir mais par contre le joueur argentin, individuellement, il est très fort. Ce qui fait aussi que le championnat argentin ne soit pas attrayant aujourd’hui, c’est le nombre de coups incalculables par match. Il n’existe pas un seul championnat dans le monde où l’on donne autant de coups qu’en Argentine, c’est impossible ! Le souci c’est que c’est contre nature, le football argentin a toujours été vu dans le monde comme un football bien joué, bien léché mais depuis quelques années c’est un combat de tous les instants pendant 90 minutes.
La saison passée a été marquée par de nombreuses scènes de violences dans les tribunes argentines. l’Independiente a essayé de lutter en vain contre sa propre barra brava, pourquoi les autres clubs ne le font pas ?
DO : (Il prend un ton beaucoup plus grave). Ecoute. Là malheureusement, je dois te parler de politique et non de football. Il n’y a personne qui puisse arrêter cela, personne ! Tu m’as compris ? Je dis cela parce que dans la vie de tous les jours, toutes les barras sont chapeautées par les politiques. Regarde aujourd’hui où en est-on arrivés, on a un championnat qui se joue sans public visiteur ! C’est honteux ! Aujourd’hui le football est le reflet de la société en ce moment en Argentine, beaucoup de violence. Tu ne peux pas parler de politique et tout cela me rend vraiment triste. C’est un pays que j’aime beaucoup mais je n’aime vraiment pas ce qu’il se passe ici actuellement, enfin depuis plusieurs années maintenant.
Pour toi fermer ces tribunes visiteurs, est-ce que c’est vraiment la bonne solution ?
DO : Mais bien sûr que non ! Elle n’est pas là, la solution. Le mal est beaucoup plus profond. Le problème aussi, c’est que les Argentins confondent beaucoup la passion avec la folie. La plupart des gens sont fous et ne vivent que pour le football ici, eux se disent passionnés, moi je dis « loco » (ndlr : « fou » en français). Tu sais qu’il y a des gens qui ne mangent pas suite à une défaite ou pire, lors d’une relégation comme à River ou l’Independiente… Faut pas déconner quand même ! La société a beaucoup trop changé. Mais où on va ? Regarde, même les barras qui appartiennent au même club se tirent dessus entre elles ! La dernière fois avant le match amical San Lorenzo-Boca Juniors, tu l’as vu ça ? 90 balles de retrouvées par terre et deux morts suite à une fusillade pour un conflit interne à la barra brava de Boca… C’est pour cela que je me répète, mais beaucoup d’Argentins confondent passion et folie.
Dernière question Delio, en regardant un peu en arrière quel est le club qui t’as le plus marqué dans ta carrière ?
DO : (Il rigole). C’est une question méchante… J’aime beaucoup le Gimnasia, j’aime beaucoup Tours, j’aime beaucoup Toulon, j’aime beaucoup Reims mais mon club c’est l’AS Monaco. Je pense que les gens sauront comprendre le motif, à Monaco j’ai joué sept ans, je vis à Monaco avec mes enfants et j’aime la Principauté. Je suis monégasque de coeur, c’est un sentiment très spécial que j’ai pour la Principauté. J’espère, même si je ne sais pas s’ils vont lire l’interview, que les Russes feront un petit geste pour moi pour que je puisse retrouver ma place à l’AS Monaco (ndlr : de recruteur)…
Propos recueillis par Bastien Poupat en Argentine (avec Adrien Verrecchia)