En preview de la manche aller du quart de finale de Ligue des champions face à Villarreal à l’Estadio de la Cerámica (1-0) il y a une semaine, l’entraîneur du Bayern Munich exposait à Diego Torres du quotidien El País sa vision de la VAR et du poids d’un club, du football et de son entraînement ainsi que du joueur et du modèle allemand. Traduction.
Vous avez la réputation d’un entraîneur futuriste. Où va le football ?
Ces dernières années, le football est devenu un peu plus complexe. Auparavant, les équipes avaient une base qu’elles gardaient toute l’année. Mais depuis mes saisons à Hoffenheim, vous n’avez plus le temps de préparer les matchs car chaque équipe que vous affrontez joue avec des styles totalement différents, même au sein d’un même match. Avant, il était beaucoup plus facile de préparer les matchs. Maintenant, il y a des experts qui font carrière en tant qu’analystes de vos équipes et de vos rivaux.
Quelle est la meilleure équipe de cette Ligue des Champions ?
Je pense que l’équipe la plus en forme est Liverpool. La régularité est un facteur décisif dans cette compétition. Actuellement, c’est City et Liverpool qui ont cette régularité. Mais quand nous sommes bien, nous sommes très difficiles à défendre.
Le rôle essentiel de tout entraîneur est de fournir du temps et de l’espace à ses joueurs. Quelle est la clé pour obtenir du temps et de l’espace dans ce football composé d’équipes si compactes ?
Je pense qu’il y a plusieurs approches possibles, mais la plus intéressante est certainement d’exploiter les capacités mentales des joueurs. Physiquement, ils sont bien formés, très athlétiques, très rapides, mais précisément en matière de vitesse cognitive il y a beaucoup de capacités qui peuvent être entraînées afin que les joueurs perçoivent plus rapidement une situation et prennent des décisions plus rapides. Le deuxième aspect à considérer est de décider du positionnement de vos joueurs avec l’intention que la ligne défensive adverse s’étire pour obtenir des espaces dans la zone de but.
« Je leur impose des règles de provocations, modifiant les espaces, les couleurs, les buts, le nombre de joueurs…- de telle sorte que sans en être conscient, ils prennent constamment des décisions. »
À Leipzig, vous avez réussi à améliorer la performance globale de l’équipe en mettant beaucoup de joueurs entre les lignes, où il semblait impossible de recevoir et de donner une continuité au jeu. Comment avez-vous obtenu cette fluidité pour finir autant d’attaques depuis l’axe et non depuis les côtés ?
Un aspect crucial dans le football moderne est la façon dont vous vous déplacez sur le terrain pour recevoir le ballon de votre passeur, comment vous faites pour être dans l’espace libre et désorienter vos adversaires au marquage. Il est essentiel de recevoir en étant orienté parce que si vous êtes gêné quand la balle arrive, vous ne pouvez plus donner de continuité au jeu. Vous devez aller à contre-courant, contre le déplacement de l’adversaire. Toutes les équipes actuelles jouent en densifiant les zones proches autour du ballon. Ils défendent la balle. Vous devez vous déplacer dans le sens inverse et, grâce à votre position qui n’est ni ouverte ni fermée, mais semi-ouverte, l’adversaire ne sait pas si vous allez vous retourner et attaquer ou jouer en une touche. Cette incertitude oblige les défenses à prendre du retard. Si chacun de vos joueurs a ces concepts à l’esprit quand il attaque, au contraire, il sera toujours difficile de vous ralentir, même si leur défense est bien positionnée. Pour que cela fonctionne, les joueurs doivent avoir un sens du rythme et la possibilité de se déplacer librement au bon moment et au bon endroit en ayant cette position semi-ouverte.
Vous avez mentionné que la clé du développement est dans l’esprit. Comment l’entraînez-vous ?
Avec beaucoup d’exercices compliqués dans les séances d’entraînement. Je leur impose des règles de provocations, modifiant les espaces, les couleurs, les buts, le nombre de joueurs…- de telle sorte que sans en être conscient, ils prennent constamment des décisions. Cela permet au joueur de décider rapidement, et de réaliser automatiquement ce qu’il veut développer, ce qu’il veut provoquer avec ces règles. Lorsque vous supprimez toutes ces règles le jour du match, parce que vous jouez à 11 contre 11, le jeu semble beaucoup moins compliqué que chaque exercice d’entraînement. C’est comme ça qu’on obtient la vitesse de réaction qu’on recherche.
Votre Leipzig était une équipe imposante, et ce Bayern semble parfois frénétique. Pour vous, qu’est-ce qui est le plus important ? Le rythme ou le contrôle du ballon ?
Ma philosophie est le contrôle du jeu par la possession du ballon et le changement de rythme. Je pense que c’est la clé. Vous devez avoir un bon contrôle du ballon avec lequel vous pouvez déplacer l’adversaire à certains endroits pour en libérer d’autres, et ainsi créer des espaces sur le terrain. Mais vous devez aussi reconnaître les moments où un changement de rythme se produira pour accélérer l’action. Je n’aime pas la possession du football néerlandais, dans lequel l’objectif est de garder le ballon pendant des heures dans votre propre camp, mais je suis intéressé à le pratiquer de sorte que vous créez des espaces, que les joueurs reconnaissent ces espaces, et puis faites le changement de rythme en courant vers ces espaces.
Liverpool, City ou le Barça, des équipes dominantes à partir du 4-3-3, prennent généralement soin des distances entre les deux milieux intérieurs et le milieu axial. Mais dans ce Bayern, ces distances s’envolent : Müller, Goretzka ou Musiala s’éloignent souvent de Kimmich, comme s’ils attaquaient le but à chaque tentative, et parfois tout devient hors de contrôle à la perte. Cet élan est-il à la fois la force et la faiblesse du Bayern ?
C’est l’un des thèmes que nous essayons d’améliorer cette saison, car il arrive parfois que l’écart entre le milieu axial et les deux milieux intérieurs soit trop large. Si nous ne récupérons pas le ballon, que ce soit un central, un latéral, un intérieur ou la sentinelle, nous devons marquer un adversaire. Si nous récupérons le ballon, nous devons le passer à Müller ou Musiala pour qu’ils se lient, et si nous ne réussissons pas, nous défendons vers l’avant pour marquer le prochain adversaire, de sorte que l’écart ne soit pas si grand. Ce Bayern est ainsi : ces joueurs veulent toujours conclure n’importe quelle situation. D’un côté, c’est bien, parce que nous marquons beaucoup de buts, de l’autre, ce n’est pas toujours bien parce que parfois nous perdons le ballon et nous perdons le contrôle.
Comment résolvez-vous le problème si les milieux de terrain cherchent instinctivement le but ?
En plaçant un latéral au centre du terrain qui permet aux milieux intérieurs d’avancer pour jouer un cran plus haut. En fermant l’axe avec eux j’essaye d’empêcher l’adversaire de réaliser une contre-attaque plus directe pour ce que j’appelle la zone rouge. En situation de perte, l’adversaire passe par les côtés et cela lui prend beaucoup de temps, car depuis l’extérieur les chemins jusqu’à notre but sont plus longs. Cela nous laisse plus de temps pour revenir derrière la ligne du ballon. Notre pivot, par exemple, Kimmich, est souvent très proche de nos défenseurs parce que les deux latéraux défendent vers l’avant. C’est pourquoi il est préférable que le latéral du côté ballon saute sur le porteur et l’autre resserre au coeur du jeu.
Villarreal prépare longuement ses attaques. Tout comme le Real Madrid. S’ils peuvent attaquer en 30 secondes, ils préfèrent prolonger l’action d’une minute, deux ou trois, afin de ne pas se fatiguer ou d’être plus précis dans la circulation. Que pensez-vous de cette stratégie ?
C’est une approche intéressante, parce que de cette façon, ils ont toujours un bon contrôle du jeu, ne prennent pas autant de risques dans les passes et réduisent les espaces derrière la ligne de ballon. Mais je vois aussi qu’avec cette façon de jouer ils n’obtiennent pas une agressivité maximale dans le pressing. Votre propre contrôle du ballon ne doit pas vous endormir. L’approche a des avantages, mais le football est aussi un divertissement et devrait être quelque chose qui vous capte. Je préfère si le jeu a une bonne accélération, un bon rythme pour profiter de la possession de la manière la plus agressive possible, de sorte que, lorsque vous perdez la balle, vous êtes également dans la position la plus agressive possible. Si vous jouez trop lentement, vous vous protégez d’un côté, mais votre pression après la perte est également très lente, très lourde.
« Si vous êtes une équipe qui a beaucoup le ballon, qui est beaucoup dans le dernier tiers, et qui a beaucoup de joueurs dans les 16 derniers mètres et met beaucoup de ballons dans la zone de but, il y aura naturellement beaucoup de situations confuses, rapides et dangereuses, des mains, des fautes, qui seront déterminantes. »
Les équipes qui ralentissent le rythme de circulation risquent de ne jamais épuiser leurs adversaire, encore moins le Bayern. Comment faites-vous pour exercer une telle pression pendant 90 minutes ?
D’abord, avec un entraînement physique très fort. Les joueurs du Bayern sont extrêmement en forme parce qu’ils doivent également pratiquer d’autres choses que le football : beaucoup de courses intenses et courtes, de type boxe et de courses par intervalles. Ils s’entraînent pour s’habituer à un rythme soutenu. La deuxième chose est de toujours jouer le ballon rapidement, le laisser courir et se rendre dans l’espace le plus profond possible pour gagner de l’espace. Alors, le jeu s’accélère sans que vous ayez à beaucoup vous déplacer. Et le troisième point est de trouver la meilleure position offensive sur le terrain pour avoir des distances les plus courtes en cas de perte du ballon, et ainsi maintenir une très forte pression sur l’adversaire. Je veux dire que ce suivi du ballon, cette connexion au jeu dans n’importe quelle situation, réduit les distances. Plus les passes sont courtes, plus le jeu est rapide, et à la perte du ballon, meilleur est votre position offensive, meilleure est votre position défensive. Enfin, si vous faites face à des équipes qui jouent lentement et circulent le ballon d’un coté à l’autre, si votre pressing est bonne, vous avez la possibilité de récupérer le ballon facilement. Si le ballon se déplace lentement, si les adversaires jouent à un rythme léger, vous disposez de meilleures conditions pour défendre.
Des analystes de bookmakers et de clubs ont prédit en 2018 qu’avec la VAR, l’équipe la plus susceptible de réussir en Ligue des champions serait le Bayern Munich, en raison de ses conditions économiques, institutionnelles et sportives. Vous en pensez quoi ?
Si vous êtes une équipe qui a beaucoup le ballon, qui est beaucoup dans le dernier tiers, et qui a beaucoup de joueurs dans les 16 derniers mètres et met beaucoup de ballons dans la zone de but, il y aura naturellement beaucoup de situations confuses, rapides et dangereuses, des mains, des fautes, qui seront déterminantes. Peut-être qu’elles ne se voyaient pas avant, et maintenant, avec la VAR, elles se contrôlent. Mais je ne pense pas que les équipes de premier rang soient les seules à en bénéficier. Avec le VAR, le football est plus juste et plus transparent pour tout le monde.
« C’est quelque chose que les enfants en Allemagne apprennent très tôt en raison de la priorité que donnent les clubs : une communauté peut toujours déplacer plus que les individus. »
Fabio Capello a déclaré la semaine dernière que le problème de l’Italie était qu’elle avait essayé d’imiter le modèle espagnol, alors qu’elle aurait dû imiter le modèle allemand. A quoi fait-il référence par le modèle allemand ?
Le football allemand est très orienté vers le travail athlétique, c’est-à-dire à jouer au football avec la composante physique nécessaire, avec l’intensité nécessaire, et bien sûr, de se concentrer sur la défense. Bien qu’au Bayern on ne perd jamais de vue l’élaboration, cela coïncide toujours avec une grande intensité. On ne s’arrête ni à la beauté de la possession du ballon, ni sur le fait de ne pas encaisser un but. Je pense que c’est une vertu allemande. On dit que le football est un jeu, mais qu’il faut d’abord travailler pour pouvoir jouer. En Allemagne, cela va de pair avec la grande mentalité victorieuse de nos joueurs. L’exemple typique, c’est Joshua Kimmich, qui veut gagner chaque match à tout prix.
En ce qui concerne le caractère, nous voyons des joueurs français, brésiliens, espagnols ou même anglais, qui réalisent des actions artistiques, que l’on ne voit jamais chez les footballeurs allemands. Est-ce parce que les Allemands ne sont pas capable de ce genre de gestes techniques ou parce qu’ils ne sont pas intéressés à les réaliser ?
C’est une question d’éducation, de comment vous avez été élevé et quelle signification le football a pour la société. Il y a aussi des joueurs allemands qui ont un gros ego, qui veulent montrer qu’ils ont de l’ego, mais c’est vrai qu’au Bayern, les joueurs comprennent qu’ils ont plus de succès en jouant en équipe qu’individuellement. Ils sont conscients qu’ils ont besoin les uns des autres. Cette union est exceptionnelle. Et cela, d’une part, est le produit de l’éducation, et d’autre part, parce qu’ils savent que s’ils veulent être au sommet de l’Europe, ils n’y parviendront que s’ils travaillent en équipe. C’est quelque chose que les enfants en Allemagne apprennent très tôt en raison de la priorité que donnent les clubs : une communauté peut toujours déplacer plus que les individus.
Le Bayern sort d’un cycle à succès d’une décennie. Il a été l’équipe la plus régulière en Europe avec un noyau dur qui reste comme Neuer, Lewandowski, Müller ou Kimmich. Comment comptez-vous maintenir ce niveau de performance sans que le jeu de l’équipe souffre d’une baisse de régime due au vieillissement naturel de ces joueurs ?
Tout est une question des joueurs. Ça ne vient pas tellement de l’extérieur. C’est une impulsion interne. Le plus important, c’est que vous trouviez des joueurs qui le veulent, ou que vous identifiiez rapidement les joueurs qui ne le veulent pas, et que vous achetiez de nouveaux joueurs. C’est l’un des piliers fondamentaux. L’autre est que vous posez de nouveaux défis aux joueurs, et que vous preniez des décisions en tant que club, comme, par exemple, quand ils m’ont choisi comme entraîneur. Je suis venu ici pour créer un autre environnement. Je suis le premier entraîneur du Bayern à jouer avec une base différente, qui ne suit plus seulement cette ligne définie par un système, 4-5-1 ou 4-3-3. Vous pouvez changer, mettre les joueurs devant de nouveaux défis. Les joueurs le veulent eux-mêmes, parce qu’ils veulent se développer et mettre en pratique d’autres choses pour connaître le jeu dans toute son ampleur. Je pense qu’en tant que club, il est important de prendre des décisions. Mais le plus important, c’est le caractère des joueurs. S’ils ont ce caractère, alors les choses vont de soi.
Comment imaginez-vous le quart de finale contre Villarreal ?
Je pense que nous sommes les favoris. Mais c’est une équipe très expérimentée. Avec le Real Madrid, c’est l’équipe la plus expérimentée de Liga, compte tenu des minutes jouées et des titres d’Unai Emery. Ils ont un ou deux joueurs capables de changer de rythme avec une bonne vitesse. Ils ont Parejo et de très bons joueurs avec un grand contrôle du ballon qui peuvent endormir l’adversaire avec leurs possessions. Et quand ils défendent près de leur but, ils ont sont très disciplinés, avec six joueurs sur la dernière ligne. Il n’y a pas tant d’espace. Notre idée sera de jouer vite, de leur montrer notre puissance et de faire en sorte que leurs footballeurs les plus anciens se déplacent beaucoup. Comme ça, vous pouvez créer des situations de but.