Julian Bertazzo Tobar est l’assistant de Bruno Pivetti au sein de l’équipe de Tombense de Minas Gerais en troisième division brésilienne. Élève de Vitor Frade et de sa fameuse périodisation tactique, auteur de deux ouvrages sur le sujet, il a retracé son parcours et sa vision du jeu pendant deux heures. Un entretien riche que nous publierons en deux parties. Voici la première.
Peux-tu présenter ton cursus ? Ta formation ?
Jamais je n’ai voulu être joueur, ce qui est assez rare au Brésil. Depuis que j’ai 14 ans, je veux être entraîneur. Ne me demandez pas pourquoi. Personne dans ma famille n’est issue du football, je l’avais en tête. Quand j’avais 17 ans, le Grêmio de Porto Alegre est venu faire un stage d’intersaison près de chez moi. L’entraîneur était Mano Menezes. Je suis allé le voir pour lui parler et découvrir comment devenir entraîneur. Il m’a dit d’étudier l’éducation physique.
Après cette conférence, j’ai commencé à étudier beaucoup, jusqu’à ce que je réussisse à entrer dans le cours d’éducation physique à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul à Porto Alegre, en 2007. Pendant mes études, j’ai commencé à chercher des opportunités dans les clubs pour gagner en expérience et apprendre. J’ai travaillé dans des catégories en U11, U12 par exemple dans les petits clubs. Je me suis senti mal à l’aise en seconde année de faculté parce que, bien que je travaillais et j’étudiais déjà sérieusement, j’avais l’impression de ne rien connaître de la formation et du jeu. Finalement mes connaissances étaient encore pratiquement les mêmes que celles d’un simple fan de football.
J’ai toujours travaillé dur. J’ai beaucoup étudié et travaillé mais je ne savais toujours rien. J’étais désespéré. Mais j’ai toujours été très curieux. Pour en savoir plus, je me suis inscrit à un cours de préparation physique. Mon université était réputée dans ce domaine, avec une grande tendance pour l’école russe et sa vision mécaniste. Dans ce cours de préparation physique, tous les professeurs ont mal parlé de José Mourinho et j’ai gardé cela à l’esprit. Je ne savais rien de son travail, seulement qu’il avait remporté la Ligue des champions avec Porto et ouvrait la voie en Premier League avec Chelsea. Quelques jours plus tard, un ami m’a dit qu’il lisait le livre Mourinho, pourquoi tant de victoires ?. Je me suis immédiatement souvenu du cours de préparation physique et lui ai demandé le livre pour découvrir comment Mourinho fonctionnait et comment il pensait au jeu et à l’entraînement.
En le lisant, pour la première fois les choses ont commencé à avoir un sens pour moi, je me suis rapidement identifié à cette façon de penser, de s’entraîner. C’est ma première rencontre avec la périodisation tactique. « Par » un cours de préparation physique ! Puis j’ai rencontré un Portugais venu au Brésil étudier dans mon université, son nom était Romeu Coelho (aujourd’hui un grand ami). Il était entraîneur à Paços de Ferreira, il a été fondamental pour mon développement et m’a appris beaucoup de choses : périodisation tactique, animation offensive, défense de zone « pressionante »…
Déjà à ce moment, j’étais l’entraîneur en chef d’une équipe de garçons à l’école Grêmio et j’ai pu appliquer plusieurs des idées que j’avais en tête. L’année suivante, je deviens l’assistant de Luis Esteves au Cruzeiro de Porto Alegre, où j’ai eu une croissance fabuleuse dans la compréhension de l’entraînement et du jeu. Luis, comme moi, était fou de football et avait très soif d’apprendre. Il était également en quête de périodisation tactique. Nous nous sommes donc très bien complétés et nous avons vraiment fait la praxis, c’est-à-dire que nous avons beaucoup étudié, nous avons appliqué et ensuite nous avons réfléchi à ce que nous faisions pour faire mieux à nouveau. J’ai beaucoup grandi avec lui.
En 2011, presque à la fin de mes études au Brésil, je suis allé à Porto pour étudier à la Faculdade de Desporto da Universidade do Porto (FADEUP). J’ai eu la chance de travailler au Boavista FC en U15 en tant qu’assistant de Miguel Aguiar, un excellent entraîneur qui a également travaillé selon la périodisation tactique (PT), une méthodologie qui, depuis 2009 fait partie intégrante de ma vie tant en termes théorique que pratique. J’ai essayé de rencontrer autant de personnes que possible pour apprendre et en savoir plus sur la PT. J’ai rencontré Marisa Gomes à Porto, l’une des personnes les plus intelligentes et les plus compétentes que j’aie jamais rencontrées. J’ai eu la chance de partager des discussions et des moments sur le terrain dans leurs séances d’entraînement au FC Foz. J’ai rencontré Xavier Tamarit (une autre grande référence pour moi) à Valence et des années plus tard, je suis allé le voir en Argentine à Estudiantes de la Plata pour regarder ses entraînements avec Maurício Pellegrino. Là, à Porto, j’ai personnellement rencontré le coach qui m’a sans doute le plus influencé de toute ma vie : le grand professeur José Guilherme Oliveira, un gars d’une humilité sans égale. J’ai eu la chance d’être son élève et de suivre sa formation à Porto en U16 pendant un semestre. J’ai également eu l’opportunité de rencontrer Jorge Maciel, qui des années plus tard m’a beaucoup aidé avec mon livre, me corrigeant et me guidant. Pour moi, il peut être le successeur de Vítor Frade (le père de la PT, ndlr), car il est très intelligent et compétent. Finalement, j’ai pu rencontrer le grand Profe Vitor Frade, avec qui j’ai partagé quelques discussions et j’ai pu apprendre beaucoup. Aujourd’hui, j’ai la chance de l’avoir comme ami et chaque fois que nous parlons, j’apprends trop ! C’est vraiment le plus grand génie que j’aie jamais rencontré de toute ma vie. Comme lui, il n’y en a pas d’autre, et je suis sûr qu’il n’y en aura pas pour longtemps.
De retour au Brésil, j’ai terminé ma thèse pour obtenir mon diplôme et j’ai commencé à travailler dans le football professionnel. Avant de publier mon livre j’ai sauté le pas de le montrer à Vitor Frade pour qu’il valide son contenu, il m’a paru indispensable d’avoir son approbation. Le « professeur » m’a beaucoup aidé, il a souligné beaucoup de choses à améliorer. Et après 2 ans de relectures et de corrections, le livre est finalement resté comme le souhaitait le « professeur » et a donc été publié.
Puis j’ai continué avec des expériences de coaching au Brésil : à Fragata de U14 à U15, à Joinville (U17, U20 et équipe première en intérim), à l’Athlético Paranense (assistant dans différentes catégories : U16, 17 et 20, puis numéro un en U16).
À Joinville j’ai connu un moment magique (photo ci-dessous), l’équipe première a dû jouer 2 matchs en 2 jours. Pour cette raison, le club a décidé de mettre nos moins de 20 ans face à Cruzeiro dans la Copa da Primeira Liga, alors composé de joueurs de haut niveau qui venaient d’effectuer déjà 11 matchs officiels. Nous, nous avions seulement 20 jours de pré-saison dans les jambes. Eh bien l’équipe était justement entrainée par Mano Menezes – comme je l’ai dit, une personne clé pour mon entrée dans le football et une grande référence professionnelle -. Avec nos U20, nous avons fait match nul 0-0. Donc faire mes débuts en tant que coach professionnel précisément contre Mano Menezes, qui m’a tellement influencé, était vraiment spécial. C’était un moment où j’ai réalisé que j’étais sur la bonne voie et que rien n’est aléatoire dans la vie.
Après l’Athletico Paranaense, je suis allé à Figueirense, où j’étais l’entraîneur principal des U20 et assistant de l’équipe principale.
Et il y a quelques semaines, l’invitation est venue de Bruno Pivetti, qui m’a proposé de l’accompagner en tant qu’assistant numéro un. Je l’ai donc rejoint au Tombense de Minas Gerais; pour sa personne, pour la méthodologie et la proximité de ses idées avec les miennes. Nous sommes en troisième division mais je sais que nous pouvons travailler bien et progresser ensemble vers le plus haut niveau.
Tu as dit que la périodisation tactique reflète tes idées. Pourquoi aimes-tu l’utiliser ?
JBT : Au début, comme je te l’ai dit, mes expériences théoriques à la faculté ont été données sous la vision cartésienne -mécaniste, surtout russe. Et puis quand j’ai vu la périodisation tactique, nous parlions de développer un modèle de jeu, que le plus important était qu’il fallait s’entraîner selon une idée de jeu spécifique, ne pas perdre de temps avec des processus déconnectés de la dite logique, par exemple des exos orientés uniquement vers le physique, etc. Aujourd’hui c’est encore transgressif alors imaginez il y a 15 ans… Cela m’a permis de comprendre ce que je voulais faire.
La périodisation tactique est une vision très « écologique », cela nous permet de revenir à l’essence du jeu et du joueur; de le voir évoluer dans son milieu naturel.
JBT : Oui, je partage cette opinion et cela me fascine car c’est pour moi ce qui correspond le mieux à ce qu’est le football. Elle ne vous apportera pas de victoires ou de championnats, parce que c’est un mensonge.
En plus, ton livre commence par ce texte : « Pour gagner des matchs de football les livres sont inutiles. Seuls les joueurs servent. Et parfois même pas eux si les circonstances ne les aident pas. »
JBT : C’est donc une méthodologie qui vous permettra de développer tous les joueurs (individuellement) à tous les niveaux alors que vous développez collectivement votre équipe, récupérer du match précédent et préparer le suivant. Tout cela vous le réalisez sans perdre du temps, en respectant la complexité du football car le football est un sport complexe et systémique. Beaucoup de gens parlent de la complexité sans savoir, sans la sentir.
On entend beaucoup de formules magiques : « Si vous voulez jouer en tant que … », « si vous voulez gagner vos derniers gros matchs … », « si vous voulez marquer comme … », on nous vend une programmation annuelle prête à l’emploi sans le contexte, les acteurs, etc. Vitor Frade pour évoquer la plasticité de la PT, la définit comme un « costume fait sur mesure ».
JBT : Exactement. Il y a beaucoup de choses qui échappent à la plupart des gens car ils ont les œillères du « conventionnel ». Pour moi, la périodisation tactique est la méthodologie la plus adaptée à ce que c’est le football. Car on ne perd pas de temps avec quoi que ce soit, on passe directement à ce qu’il faut pour s’entraîner et se développer, que ce soit pour la formation de jeunes joueurs ou – évidemment – de football professionnel.
Comme tu l’as dit avec la PT, l’objectif est d’acquérir une forme de jeu que l’on peut appeler un modèle de jeu d’équipe. Comment créer une identité de jeu ? Certains pensent qu’avec la périodisation tactique, les joueurs n’exprimeraient que les idées de l’entraîneur sur le terrain comme s’il s’agissait de robots. Quelle est ton opinion à ce sujet et quelle est l’importance de la créativité des joueurs ?
JBT : Premièrement, il peut y avoir un entraîneur qui travaille avec la PT et qui robotise efficacement ses joueurs. Parce que la PT, comme je te l’ai dit, est un outil, pas une idée de jeu. Tu entraînes, tu as une idée pour une équipe, tu essaieras de construire un modèle de jeu avec les joueurs lorsque tu iras t’entraîner. Et si ce modèle de jeu dans sa construction présuppose un jeu robotique et non créatif, la tendance est que l’équipe exprime ces caractéristiques. Parce que ce sont tes idées.
Ce que la PT va faire, c’est essayer de faire sortir les idées de la tête de l’entraîneur et de les mettre sur le terrain en tant que fonctionnalité dans une équipe. Ce sont donc des outils que nous utilisons pour concrétiser l’idée. Et si c’est une mauvaise idée, robotisée …La PT, parce que c’est une méthodologie très bonne et complète, veillera à ce que cela se produise réellement. Alors bien sûr, il se peut qu’un entraîneur qui s’entraîne sous la PT robotise ses joueurs, car l’idée de jeu est différente de la méthodologie. Comment se fait-il (et à mon avis cela devrait l’être) qu’un coach qui veut / propose un jeu plus ouvert, créatif et fluide, et qui s’entraîne avec la PT, fasse exprimer à son équipe ces caractéristiques sur le terrain ?
Prenons un exemple, parlons de Bruno Pivetti et de ce que nous essayons de faire en ce moment. Nous voulons la possession du ballon, pour le faciliter nous nous concentrons sur la création de triangles ou losanges partout sur le terrain. Imaginons donc un 4-3-3, par exemple, nous essayons d’avoir toujours un minimum de 5 joueurs entre les deux dernières lignes du rival. Si le latéral est plus bas, c’est possible que nous ayons les ailiers, le milieu et l’avant-centre entre les lignes. Si on commence à sortir à 3 avec, par exemple, le pivot qui est placé entre les défenseurs centraux, les ailiers montent et l’ailier peut, par exemple, être placé entre le défenseur central adverse et l’ailier et les campeurs centraux descendent un peu. Nous avons encore 5 joueurs entre les lignes, mais dans ce cas les latéraux, les ailiers et l’avant-centre, puisque les milieux de terrain ont baissé un peu pour pouvoir soutenir et se projeter vers les ailes. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas forcément qui occupera les espaces, mais plutôt qu’il doit y avoir quelqu’un qui les occupera et les caractéristiques des joueurs font que certains occupent certaines positions plus fréquemment que d’autres. Parce que c’est l’intelligence collective, cela signifie s’adapter à la situation, au partenaire, à ce que l’adversaire nous offre.
Bruno Pivetti campeão da Recopa Mineira com a Tombense diante da Caldense. À direita, o auxiliar Julian Tobar, que também passou como técnico na formação do Furacão. pic.twitter.com/QbntOmbOX6
— Furacão pelo Mundo (@FuracaoXmundo) February 20, 2021
À mon avis, les mouvements ne peuvent pas être robotisés car si l’adversaire vous bloque, alors vous vous retrouvez sans choix, alors vous avez besoin de variabilité et les joueurs parviennent à choisir ce qui est le mieux pour eux et pour l’équipe. Mais ils sont « conditionnés » pour notre idée du jeu qui est d’avoir le ballon, par exemple. Nous avons donc une idée et à l’intérieur, conditionnés par elle, nous essayons de promouvoir la créativité et la liberté pour nos joueurs. C’est pour cela que dire que la PT robotise une équipe n’a rien à voir avec ce qu’est la PT, mais avec ce qu’est l’entraîneur.
Il y a aussi une vision parfois trop hiérarchique/fragmentée du modèle de jeu de principe/sous-sous-principe comme s’il s’agissait d’une recette de cuisine. Dans cette situation le joueur doit faire ci, dans une telle situation il doit faire ça… Dans le livre de Jorge Couto Reis, Jorge Maciel dit qu’ il se méfie de cette idée de « mettre les choses dans des tiroirs » Cela n’a pas de sens… Car le niveau micro est infini, chaque situation est unique et les joueurs peuvent réagir très différemment.
JBT : Oui je comprends et je pense aussi qu’il y a de nombreuses références au sein de l’organisation du jeu selon lesquelles il est important qu’elles soient communes aux joueurs, c’est-à-dire que tout le monde pense la même chose en même temps, ce qui est très important pour beaucoup de choses. En parlant de micro-principes, je pense qu’Il est également important de prérégler quelques micro-principes, disons-le comme ça. En particulier les « Universel » (ceux qui appartiennent au football, c’est-à-dire qui sont présents dans toute idée de jeu), comme le profil corporel, par exemple, de manière offensive ou défensive. Et nous devons travailler sur ces détails pour peaufiner le joueur. Par exemple, j’ai l’habitude de faire ce type de travail 2-3 fois par semaine avec des défenseurs : dégager de la tête un long ballon aérien, renvoi des centres latéraux avec le pied ou avec la tête à la hauteur du ballon, défendre le 1vs1 dans le couloir central et latéral (il existe des différences substantielles dans ces deux situations). J’ai donné un exemple des défenseurs, mais il y a plusieurs autres fondamentaux de base, plus micro, de détail, qui sont fondamentaux pour le succès du joueur dans sa position spécifique.
« L’intensité n’est pas seulement physique, elle dépend de beaucoup de choses »
Revenons à l’orientation des joueurs. Après une discussion avec le sélectionneur du Pays basque Mikel Etxarri l’autre jour, on dit souvent que le joueur doit se positionner de trois quart pour faire face au jeu afin de prendre le maximum d’informations et de jouer en avant. Mais quand on pense à un joueur comme Thiago Alcantara aujourd’hui, il utilise cette « mauvaise » orientation pour tromper l’adversaire et quand ils le pressent volontiers dans un contrôle orienté, il élimine parfois un, deux, voire 3 adversaires.
JBT : Oui, c’est la particularité de chaque joueur. C’est comme quand on dit « si vous êtes pressé et dos au jeu vous devez remiser pour quelqu’un qui fait face au jeu ». Mais Ibrahimovic ou Lukaku n’ont pas besoin de ça, vous n’allez pas leur dire « jouez face à vous ». Ils se retourneront et continueront l’action. Chaque joueur apporte sa singularité au jeu et à l’équipe.
Pour terminer ce sujet, il a changé les termes « principe, sous-principe et sous-sous-principe » en « macro, méso et micro principes ».
C’est une manière différente de parler, mais le sens est le même.
Comment créez-vous votre modèle de jeu ? Prenons un exemple, tu as dit que vous voulez la possession, tu parlais de triangles ou losanges et pour moi cela nous amène à une idée de jeu positionnel.
JBT : Il est positionnel, mais pas statique. Donc l’articulation, comme je te l’ai dit je suis quelqu’un de flexible j’ai mes préférences, mais je ne m’arrête pas là je ne suis pas un coach qui amène toujours la même idée à toutes les équipes que je dirige.
Il y a environ 10 ans, j’étais peut-être ce genre d’entraîneur, jusqu’à ce que je me retrouve face à une situation où les caractéristiques et qualités des joueurs ne correspondaient pas à mes idées, avec en plus des rivaux qui étaient bien supérieurs à nous. Car c’est une chose de vouloir jouer d’une certaine manière contre des adversaires aussi mauvais que vous, et c’en est une autre de jouer de la même manière contre des rivaux bien supérieurs. J’ai donc dû m’adapter. J’ai beaucoup changé, même au niveau macro. Je suis allé vers un modèle plus lié au jeu direct avec de longues balles en organisation offensive, à la défense en bloc bas et la contre-attaque; et à partir de là vient l’articulation des choses. J’ai eu des ailiers très rapides, un 9 habile pour garder le ballon et distribuer, des défenseurs centraux solides et bons dans les duels défensifs, mais pas très doués avec le ballon. Ni eux, ni mon gardien de but, les arrières latéraux et les milieux de terrain n’étaient fiables pour avoir le ballon de manière cohérente et progresser de manière soutenue .. De plus, tous les concurrents à cette époque n’avaient pas beaucoup d’organisation (que ce soit au niveau fonctionnel ou au niveau organisationnel) au moment de la perte du ballon. Alors je te demande : que penses-tu qu’il faut pour faire une bonne contre-attaque ?
Eh bien, je dirais que vous devez placer les joueurs dans les bons espaces lorsque vous n’avez pas le ballon puisque nous parlons de l’intégrité inébranlable du jeu. Ta contre-attaque se prépare pendant ton moment sans ballon, il est également nécessaire d’avoir des joueurs capables de faire des passes plus directes pour récupérer dans les zones appropriées.
JBT : Parfaitement, mais il y a un autre élément qui est important, nous avons besoin d’espace surtout sur le dos de l’adversaire.
Oui, c’est pourquoi tu as mentionné le bloc bas.
JBT : Pour profiter pleinement des qualités de mes joueurs et des faiblesses des rivaux… La première chose à faire est de l’attirer, à la perte de balle on se replie, compact, en un bloc bas. Je défends en zone « pressionante » (sauf dans quelques situations dans lesquelles j’utilise davantage les marquages individuels, comme les centres de défense près de ma surface) pour savoir où nous sommes positionnés et quand nous récupérerons, nous aurons 50-60 mètres pour accélérer. Autrement dit, je défends d’une certaine manière pour que je puisse attaquer comme je veux. Et cela doit également se voir dans l’entrainement. Par exemple, lorsque je travaille l’organisation défensive, bien sûr, les autres attaquent, donc on travaille éléments de mon modèle de jeu implicitement, même si ce n’est pas ma priorité numéro 1 sur le moment.
Le cycle du le jeu devrait être présent dans la plupart des cas. Par exemple, je suis en possession du ballon et je le perds. L’action ne doit pas s’arrêter là… À certains moments il faut couper un peu plus pour assurer les contractions maximales souhaitées, mais pour la plupart des exercices il faut respecter ce cycle du jeu.
Dans les méthodes plus traditionnelles, l’intensité est généralement liée à la fréquence cardiaque, au nombre de kilomètres parcourus… Mais dans la périodisation tactique, nous parlerons plus d’intensité cognitive. Peux-tu nous dire quelques mots sur la façon dont vous le faites ? Comment l’évaluez-vous ? Vitor Frade dit que cela a plus à voir avec la « performance » qu’avec la « charge ».
JBT : En premier lieu, l’intensité n’est pas seulement physique. Elle dépend de beaucoup de choses, par exemple le niveau de concentration nécessaire pour interagir dans le jeu, on dit généralement que l’on s’entraîne toujours à une intensité maximale, mais c’est relatif. Autrement dit, l’intensité maximale pour maintenir la possession du ballon dans un « rondo » 4 contre 2 ou dans une opposition 8 contre 8 n’est pas la même chose, mais pour être en réussite constamment, vous devez avoir le maximum de concentration. Les gens aiment essayer de contrôler tout en formation parce qu’ils regardent avec les méthodes conventionnelles soit avec la prise de la fréquence cardiaque, l’utilisation du GPS, le nombre de kilomètres parcourus, le nombre de sprints … Nous en tant qu’êtres humains nous nous sentons plus en sécurité et plus à l’aise avec les chiffres car ils valident notre réflexion, nous avons donc une passion pour ces soi-disant données scientifiques pour valider notre façon de penser, se sentir plus à l’aise. Il est difficile d’accepter que nous ne pouvons pas tout contrôler. La validation scientifique est presque toujours « in vitro » mais elle ne se produit pas dans le football qui est « in vivo ».
Bien que nous prenions en compte les caractéristiques du football, bien sûr les données que certaines technologies vous fournissent (comme le GPS, par exemple) peuvent être importantes, car elles vous donnent des indicateurs pertinents. Toutefois vous ne basez rien pour ça ou sur ça, mais ces données, bien interprétées, peuvent compléter votre analyse empirique (de ce que vous voyez) et servir de source d’argumentation/validation devant vos joueurs, par exemple. Exemple: je prépare un exercice dans lequel je souhaite maximiser la vitesse de déplacement. Le GPS me dira par exemple le nombre de sprints/actions au-dessus de + 25 km/h dans cet exercice. Il y a donc des données qui peuvent m’aider à voir si ce que je voulais s’est réellement passé. Évidemment, on ne pense pas aux exercices et entraînements basés sur X quantité d’actions/répétitions (sauf, fondamentalement, dans des exercices qui visent à maximiser la vitesse de mouvement), etc. Notre préoccupation est notre idée, mais il y a des indicateurs dont il faut tenir compte.
Personnellement, j’aime utiliser certaines données en ma faveur, en les adaptant au contexte, par exemple, pour les partager avec les joueurs. Vous pouvez prendre les données et les utiliser contre ou en leur faveur, cela dépend de vos objectifs.
Par exemple, un joueur que vous voyez ne donne pas son 100% sur le terrain, ne court pas comme il le pourrait, ne participe pas comme il le devrait sans le ballon. Vous pouvez lui montrer le nombre d’actions dites intenses, les kilomètres parcourus et beaucoup d’autres données qui renforceront votre argumentation devant le joueur. La même chose arrive à un joueur qui s’est amélioré. Vous pouvez lui montrer quelques données et lui dire qu’il s’améliore, lui donner confiance. Cela peut être très utile dans de nombreux cas, car pour la plupart des gens, les chiffres disent tout. Pas pour moi, mais si nous pouvons utiliser cela à notre avantage, pourquoi ne pas le faire ?.
« La périodisation tactique est capable de donner aux joueurs une force optimale »
Je me souviens d’un discours de Xavier Tamarit (actuel entraîneur adjoint de Vélez), un entraîneur lui a posé une question sur ce point pour savoir comment il évalue si les joueurs sont oui ou non en intensité maximale relative, il a répondu que c’était basé sur ce qu’il a observé pendant le jeu: le visage des joueurs, la quantité « d’erreurs » qu’ils font dans le jeu par rapport à une mauvaise prise de décision …
JBT : Laisse-moi te donner un exemple, j’ai beaucoup lu sur la cryothérapie, tu sais ?
Oui et dans le deuxième livre de Xavier Tamarit «PT vs PT» il dit qu’on doit être prudent avec cela car cela peut cacher les messages que votre corps vous envoie, et le corps doit s’habituer à votre modèle de jeu et à la dynamique du morphocycle …
JBT : Oui, lorsque vous stimulez le muscle vous causez inévitablement des dommages structurels momentanés, votre corps doit être responsable de la gestion de ces dommages et d’avoir une récupération et plus tard une surcompensation par et pour lui-même. Pour utiliser des moyens externes pour accélérer ce processus, vous laissez un peu de côté votre corps . Peut-être que cela peut être utile à certains moments, mais idéalement, votre corps est capable de cette immunisation. Revenant à ce que je disais comment savoir si c’est l’élément (cryothérapie) qui vous a permis de mieux récupérer ? Le repos, la nourriture, le stress, etc., n’interfèrent pas non plus?
Il y a de nombreuses autres variables qui interagissent. Le football est donc quelque chose «in vivo», il est complexe et les systèmes complexes ne peuvent pas être contrôlés. Donc, comme le dit Vitor Frade, il ne faut pas être obsédé par le contrôle car il est impossible de contrôler, il suffit de ne pas laisser les choses s’échapper …Dans le jeu et dans un exercice joué, tu ne peux pas prédéterminer le nombre de sprints, le nombre de kilomètres, la fréquence cardiaque, etc.
Je te donne un exemple car c’est important : comment les préparateurs physiques font généralement les évaluations de la force ?
Analytiquement avec exercices, loin de la logique de jeu ?
JBT : Oui, avec la musculation, par exemple, hors du terrain, dans le gymnase. Pourquoi font-ils cela ?
Parce que nous voyons le corps comme une machine. Nous ne voyons le muscle que comme un organe qui ne génère que de l’énergie et non comme un organe sensoriel qui oublie le rôle joué par, par exemple, les mécanos récepteurs. Ce serait comme « bander les yeux du muscle ».
JBT : Oui, je suis entièrement d’accord avec toi. Pour mesurer la force, par exemple lors d’un saut vertical, le joueur monte sur une plate-forme fixe en solo et fait un saut. Puis il sort un nombre qui (soi-disant) donne son niveau de force. Mais dans les sauts, tu dois avoir tes bras comme cela, le reste du corps aligné « ainsi », sinon le saut n’est pas considéré comme valide. C’est « in vitro » et sans grand lien avec la manifestation de sauts dans le football.
Et avec les machines les jambes vont toujours dans la même direction, à la même angulation, avec la même vitesse et là vous avez une charge. Il y a un isolement des groupes musculaires, les synergies sont toujours les mêmes (lorsqu’elles existent). Alors, quel est l’intérêt de regarder ces chiffres, % de « charge » pour ces types d’actions qui ne se produisent en aucune façon dans le jeu ? Ce qu’ils font, c’est extrapoler les données obtenues «in vitro » (dans des conditions environnementales qu’ils parviennent à maîtriser pleinement), dans un environnement totalement, mais totalement différent de ce qu’est le football, c’est-à-dire complètement déconnecté de la réalité, qu’elle soit contextuelle, fût-elle de son propre individu et de sa manifestation musculaire/énergétique. Ce qui le dit, ce n’est pas moi mais la science !
Qui étudie ce qu’est la proprioception, les mécanorécepteurs, le fuseau neuromusculaire, s’éloigne de cette façon de penser. Les machines sont pour l’individu, pas pour l’interaction avec les autres et basées sur un contexte de jeu, qui est imprévisible à son niveau micro. Les angulations, les vitesses, les amplitudes, les synergies, les temps de réponse, l’ajustement et le réajustement sont complètement dépendants du « ici et maintenant », c’est-à-dire que la manifestation de la soi-disant force est totalement dépendante de ce qui se passe dans le jeu à chaque instant, en sa multitude d’éléments en interaction. La force dans le football n’a pas besoin d’être maximale, mais optimale, et c’est précisément ce que la PT est capable de donner aux joueurs : une force optimale.
Selon Xavier Tamarit des études ont montré que les meilleurs dans les tests de saut ne sont pas nécessairement les plus efficaces pour le jeu aérien. Autre exemple, ceux qui ont le mieux réussi le test VMA n’étaient pas ceux qui ont couru le plus sur le terrain.
JBT : Tu sais qu’il y a une vidéo d’Usain Bolt quand il a joué professionnel en Australie. Lors d’une contre-attaque, il était du côté opposé du ballon et malgré le fait d’ être l’humain le plus rapide du monde, il arrive derrière le centre et je pense même qu’à la fin il tombe. C’est encore une fois, l’importance des timings, de l’interprétation du contexte, d’une infinité de choses qui influencent beaucoup dans la manifestation des capacités physiques.
Laisse-moi te donner un autre exemple : sais-tu qu’à Rio de Janeiro il y a la statue du Christ Rédempteur, oui ? Pour y aller, il faut monter un nombre infini d’escaliers. À présent, imagine 3 personnes : un footballeur professionnel, un bodybuilder qui va au gymnase tous les jours et un vendeur d’eau très mince et très petit qui y travaille tous les jours. Je te demande : pour qui des trois penses-tu qu’il sera plus facile de monter les escaliers ?
Le vendeur d’eau ?
JBT : Exactement. Sur les trois, c’est le plus préparé et habitué. Pour ce faire, il a une force spécifique, une résistance spécifique pour le faire car il y grimpe tous les jours. C’est pourquoi les appareils de musculation ne préparent pas le joueur à jouer au football. C’est la même réflexion que l’on peut faire avec le travail d’échelles d’agilité/ coordination ou la proprioception qui est faite sur plateformes instables, telles que le bosu. Cela n’a pas de sens et de logique, car ce sont des choses différentes ! Semble-t-il qu’un funambule ait une bonne proprioception pour jouer au football à un haut niveau ?
Vitor Frade m’a dit un jour que le FC Porto avait réussi à embaucher un jeune joueur très prometteur de la région de Porto. Le garçon avait, que sais-je, environ 12 ans, et il était vraiment un phénomène, il a marqué de nombreux buts pour une autre équipe. Enfin, tout le monde était très content de l’avoir amené au club. C’était même le professeur Frade qui l’avait vu et lui avait recommandé de signer. Par conséquent, il était très intéressé à assister à ses premiers entraînements au FC Porto.
Après la première séance, il y avait un entraîneur qui était un peu découragé. Vitor Frade lui a demandé ce qui n’allait pas et il a dit que le garçon ne fonctionnait pas bien sur l’échelle de coordination et qu’il avait besoin d’améliorer sa coordination. Le meilleur buteur, un niveau absurde de hits, de timings, tout ! Le gars était celui qui avait le plus de coordination dans le jeu, mais il ne l’avait pas sur l’échelle.
Comment appliquer la périodisation tactique à la formation des jeunes ?
JBT : Premièrement vous devrez prendre en compte les particularités de la catégorie d’âge, par exemple, le morphocycle tel que présenté (voir plus loin dans l’entretien) peut être utilisé « Tel quel », dans toutes ses caractéristiques, pour les professionnels, pour U19 ou même U17. Du point de vue physiologique si vous jouez en pro le dimanche, vous ne serez pas complètement rétabli avant jeudi. Mais un joueur de 11 ans peut rejouer lundi, évidemment il ne faut pas non plus les faire s’entraîner comme des fous tous les jours parce qu’ ils se fatiguent. Et cela peut leur faire beaucoup de mal, à tous les niveaux.
« Un principe prévoit la variabilité. Si je m’entraîne sous le prisme des principes je peux m’adapter à ce que le jeu m’offre »
Vitor Frade a déclaré que lorsqu’il a assumé la responsabilité de la formation au FC Porto, la première chose qu’il a faite a été de retirer une séance parce que l’entraînement, contrairement au football de rue, consomme beaucoup d’énergie pour les enfants, en particulier du point de vue cognitif. Il a même parlé de « crime ».
JBT : Bien sûr, les enfants devraient aussi avoir autre chose à faire les autres jours de la semaine. À mon avis, il est scandaleux de donner chaque jour une routine de formation professionnelle pour les très jeunes enfants. Je n’y vois pas beaucoup de sens avant les U13 ou U14. Il est important que les enfants fassent autre chose et même jouent dans la rue ou ailleurs, avec leurs amis, avec leurs règles, leur autonomie, sans la surveillance d’aucun adulte.
En ce qui concerne l’entrainement plus formel des enfants (avec la PT, par exemple), vous devez rester cohérent dans ce que vous faites. Je reviens sur le sujet de la récupération : c’est un peu moins important par exemple avec les plus jeunes. Lorsque j’ai entrainé les moins de 15 ans en « récupération active » après le match (soit 2 jours après le match) j’ai fait la même chose qu’avec les U20. Pour les U15, c’était une session de récupération, mais j’aurais pu entraîner certaines choses comme « l’affinement » technique (les «routines» offensives ou défensives spécifiques aux positions). Bref, des types d’exercices que je ne ferais pas avec les U20 car ils ne seraient pas si prêts à le faire ce jour-là, ce que les U-15, 14, 13, 12 peuvent déjà, car leur système bioénergétique n’est pas pleinement développé et donc fonctionne d’une manière différente.
Vous devez également prendre en compte l’idée que vous souhaitez développer, plus l’idée est riche et ouverte, meilleure sera la formation. De mon point de vue, il y a aussi un aspect dans lequel il est important de travailler, qui est la technique et il est plus facile de corriger ou d’améliorer les jeunes dans cet aspect que lorsqu’ils sont adultes. Notez que lorsque je dis la technique, j’entends la technique fonctionnelle, c’est-à-dire celle de chacun. Il est important de le souligner car certaines personnes peuvent penser que nous parlons de cet entraînement où le geste moteur « modèle » / « idéal » est recherché, ce qui à mon avis n’existe pas. Il est important d’avoir des référentiels, évidemment oui, mais la façon dont chaque joueur spécifie l’action, comment il contrôle, frappe la balle, est unique pour chacun.
Selo Ausubel « le facteur le plus important est ce que le joueur sait déjà ». Par conséquent, il est nécessaire en formation de créer un « paysage mental » le plus riche possible pour utiliser une expression du Profe.
JBT : On dit que dans la périodisation tactique il n’y a pas de travail analytique, puisque le concept d’analyse se réfère à la compréhension d’un phénomène à partir de la séparation du tout en parties, et l’analyse et le traitement des parties isolément, sans avoir de lien entre elles et avec le tout. Les relations et interactions ne sont pas prises en compte. Pour cette raison, logiquement, il n’y a pas dans la PT ce que l’on appelle traditionnellement un travail analytique. Ce qu’il y a et ce que je fais parfois, ce sont des situations plus « fermées », plus prédéterminées et donc avec un degré moindre de complexité, avec un degré d’ouverture ou de liberté en ce qui concerne la prise de décision et ce qui va se passer dans la tâche.
Rappelle-toi dans l’exemple ci-dessus de l’interception ou du renvoi des centres latéraux. Tu te rends compte que ton central domine de nombreux aspects « tactiques », mais est en difficulté dans cette situation. Bien sûr, tu peux l’entraîner avec le jeu, mais pendant 10 minutes, cela se produira peut-être 3-4 fois. Donc à la fin de l’entrainement, tu peux t’imaginer créer une situation un peu plus fermée, plus individualisée plusieurs fois, où cette situation se produira dix ou vingt fois en 5 minutes. Un autre aspect positif est que cela permet au joueur de prendre confiance en lui, mais attention, tout est une question de dosage. Je considère ce type de travail comme un complément nécessaire au développement individuel constant du joueur. Je pense que si vous faites ce type de tâches sur 65% de votre temps de formation, alors à mon avis, vous vous trompez.
Certains dans ce type de situation parlent de « tactiques individuelles ». En France quand on parle d’exercice analytique on a l’habitude de le faire sans rival, mais dans ces situations un peu plus fermées on peut mettre la présence du rival, par exemple, l’attaquant dans la surface de réparation. Un ami coach en Espagne, Brais Acebal, dit que l’analytique pour apprendre le geste technique n’est pas efficace car ce sont les neurosciences qui le confirment. Mais à partir de 13-14 ans il va utiliser ce type de travail pour des éléments de « tactiques individuelles » comme dans la situation que tu as évoquée avec la présence d’un ou 2 attaquants dans la zone centrale pour se rapprocher de la réalité du match. Un livre en espagnol évoque aussi une image entre le chauffeur de taxi et le chauffeur de rallye : en considérant que les deux ont le même nombre d’heures d’apprentissage de conduite d’un point de vue « technique », que se passe-t-il si on demande soudainement au chauffeur de taxi de participer à un rallye ? C’est là que la relation avec la spécificité de l’environnement prend tout son sens.
En France, la question qu’on entend aussi sur la formation est : « La PT est-elle bonne pour le développement du joueur avec cette notion de modèle de jeu ? N’enferme-t-on pas les jeunes dans une façon de joue ? »
JBT : Bien sûr que non, on entend souvent ça : la PT se soucie seulement de développer une idée de jeu collective et ne se soucie pas de l’individu. C’est fou ! L’équipe est composée d’individualités qui doivent (et sont) responsabilisées dans toutes leurs dimensions, jour après jour. Et cela interfère directement avec le jeu collectif ! Et vice versa (bien sûr).
Dans cette notion d’idée de jeu, par exemple, vous avez une équipe moyenne qui aime avoir le ballon, mais vous allez affronter le Barça (de Guardiola ou Luis Enrique). Vous pouvez donc facilement supposer que vous allez avoir plus de difficultés dans les phases de possession, vous n’allez pas changer votre idée du jeu, mais il se peut que la hiérarchie de votre idée soit différente de celle habituelle, c’est-à-dire que vous serez plus souvent dans une organisation défensive par exemple que dans l’offensive (ou peut-être pas !). Votre bloc sera peut-être un peu plus bas car l’adversaire a de la qualité et vous repousse, par exemple. Autrement dit, tout cela est dans mon modèle, je continue à défendre en zone, je continue à valoriser les mêmes principes défensifs (être compact, couverture, pression, fermeture axe ballon/but, indicateurs de pression, etc.), c’est-à-dire que je peux changer la hauteur du bloc, mais pas la manière de défendre. Mon équipe sera prête à défendre dans le bloc bas de la même manière que le haut ou le milieu.
Revenant à la situation hypothétique, si je récupère le ballon et avec une passe je sors de la zone de pression puis j’ai l’occasion de trouver une passe dans le dos de l’adversaire, je le ferai. Tous ces concepts font partie de notre idée du jeu. Il arrive que, si je joue contre un adversaire de mon niveau ou inférieur, j’ai beaucoup plus de chances de réussir l’organisation offensive (telle que je le souhaite) qu’elle se manifeste de manière beaucoup plus forte, plus présente que contre ce Barcelone, par exemple. Parce qu’ils ont plus de qualités individuelles et même collectives. Ça fait mal quand j’entends ça parce que tu penses qu’un joueur qui évolue vers une idée de jeu d’attaque positionnelle ne peut pas évoluer vers une contre-attaque (ou vice et versa). Je pense, parce que les êtres humains sont intelligents et, ayant les capacités de base pour le modèle qu’ils peuvent facilement s’adapter.
Il y a une réflexion de Vitor Frade dans ton livre sur ce sujet. L’autre image à mentionner est celle du caméléon dont parle Jorge Maciel dans le livre de Jorge Couto Reis : le caméléon qui peut, en fonction du contexte auquel il est sensible, ajuster son phénotype pour mieux préserver son intégrité sans perdre son identité.
JBT : Absolument, par exemple un guitariste peut improviser s’il sait déjà très bien jouer de la guitare, la variabilité doit être appuyée par une idée cohérente et consistante. Par conséquent, la période précompétitive est extrêmement importante aujourd’hui.
Pour aller dans ta direction, dans une interview Mourinho il y a quelques jours disait que nous avions besoin des joueurs les plus adaptables possible car par exemple vous allez jouer contre Arsenal, vous pensez qu’ils vont vous mettre la pression de cette façon et finalement ils font différemment.
JBT : Oui, c’est pourquoi nous travaillons sous le prisme des principes. Un principe prévoit la variabilité, je suis d’accord à 100% avec cela. Imagine que je ne veuille faire qu’une seule chose et que finalement l’adversaire fasse autre chose. Alors, je serais perdu. Mais si je m’entraîne sous le prisme des principes je peux m’adapter à ce que le jeu m’offre. Le jeu nous parle constamment, les espaces, les temps, les circonstances changent constamment. Notre idée de jeu et notre façon d’entraîner doivent offrir cette variabilité; le modèle de jeu doit être riche.
Propos recueillis par Pierre Maze