De la prise de pouvoir de Gabriel Heinze à l’été 2018 jusqu’à ses adieux début mars, les deux saisons de Vélez Sarsfield furent un épique combat contre et pour l’histoire. Avec El Gringo le club de l’ouest de Buenos Aires est non seulement passé de la zone de relégation aux places de qualifications pour les Coupes internationales après des années d’errement. Mais il a surtout fait souffler un vent de folie sur la Superliga, le championnat du pays, avec un style offensif, protagoniste et reconnaissable. Alors qu’il vient d’être nommé entraîneur de la franchise d’Atlanta United du Championnat nord-américain, il est temps de rendre compte du travail de fond réalisé par l’Argentin.
Mai 2009. Le Barça de l’an Guardiola I a quatre points d’avance sur le Real et se déplace au Bernabéu chez le champion en titre depuis deux saisons. À quatre journées de la fin, les Blaugranas éclatent les Madrilènes (2-6) qui restaient sur une série de 18 matchs sans défaite (17 victoires, 1 nul) avec la première mise en place par Pep – car déjà expérimenté en janvier 2008 contre l’Athletic Bilbao par Franck Rijkaard – d’un Messi en « neuf menteur » (« nueve mentiroso » en VO) élaborant un trois (avec Xavi et Andrés Iniesta) contre deux (Gago et Diarra) au cœur du jeu.
Là où quasiment toutes les attaques des Catalans se produisent vers le duo Henry-Eto’o sur les ailes coupant dans les demi-espaces. Et marquent l’histoire du Clasico. Après l’humiliation, Gabriel Heinze qui s’était fait balader sur l’action du 2-5, se ployait en conférence de presse : « Je suis vraiment content qu’il (à propos de Guardiola) réussisse. Parce-que ces personnes qui ont emprunté ce chemin, par lequel je vois également le football, j’aime qu’ils triomphent (…) J’aime l’entendre parler, à chaque fois qu’il parle, j’apprends beaucoup. »
L’héritage Bielsa et la quête d’une idée
Plus tard, en 2015, quand Heinze revient en tant que coach sur les terrains un an après sa retraite de joueur, il arrive avec d’innombrables souvenirs d’une grande carrière et de onze titres gagnés entre Paris et Marseille en passant par Manchester et Madrid, entre Luis Fernandez et Didier Deschamps ou d’Alex Ferguson à Juande Ramos, côtoyant Ronaldinho et Morientes ou Paul Scholes et Raúl. Le tout couronné avec l’Albiceleste des Jeux Olympiques de 2004, le chef-d’œuvre de Marcelo Bielsa. Mais il n’a pas oublié de ramener quelques certitudes tactiques. En Argentine, Gabriel Heinze a sculpté un style de jeu offensif mixant fermeté de vouloir faire le jeu, marquage individuel et pressing forcené.
Mais pourquoi cette identité à soi quelque part entre Guardiola et Bielsa ? Cette histoire voyage dans l’espace, dans le temps et dans les ondes. Gabriel Heinze est un fidèle de Marcelo Bielsa. Ils partagent une passion : Newell’s. Et ils partageaient un projet : au début des années 2000, Heinze n’est autre que le leader montant de l’Argentine d’El Loco finaliste de la Copa América 2004 au Pérou et vainqueur la même année des JO d’Athènes. « Évidemment il m’a instauré et forgé une manière de voir le football parce que je l’ai eu de nombreuses années. Il m’a fait grandir en tant que footballeur et en tant qu’homme. C’est mon père footballistique » atteste Heinze dans le livre ‘El Legado de Bielsa’ de Damián Giovino paru en octobre 2018. Dans lequel, toujours par souci d’équité entre les médias et par méfiance envers le journalisme « qui vit de la discréditation, de la moquerie et de ragots irrespectueux » commentait-t-il en conférence de presse, il n’a pas souhaité s’exprimer davantage. Par principe « bielsiste », finalement. Comme si c’était naturel. Rares entorses, en 2016 au quotidien La Nación pour évoquer la complexité du métier d’entraîneur et en particulier réprimander la réalité du football argentin. En 2018 au quotidien Olé pour à nouveau pointer du doigt le système et les dirigeants de la fédération argentine après les performances de la sélection à la Coupe du monde. Ou deux autres fois, des situations semblables mais à une temporalité différente. Une fois du temps d’Argentinos Juniors et une fois époque Vélez, à la fin d’un entraînement réalisé plusieurs heures sous des trombes d’eau, Heinze demandait si un média qui suit le club quotidiennement était présent (un seul l’était à chaque fois) puis leur (médias web et radio indépendants) offrait sa parole.
« Ils ont beaucoup de points communs, sur le terrain comme à l’extérieur », compare Fabián Cubero, champion du Clausura avec le Vélez de Marcelo Bielsa en 1998 et joueur de « Gaby » en 2018/2019. Les années communes (sélection Argentine), les clubs similaires (Newell’s, OM), des -fidèles – convictions protagonistes dans le jeu, l’intégrité et l’honnêteté comme éthique, une posture non-victimaire et non-agressive vis-à-vis du corps arbitral et du règlement, une réflexion réticente du journalisme, une conduite distante avec les dirigeants et les fans. D’ailleurs si depuis son arrivée dans à Leeds, Bielsa est devenu habité de petites attentions, Heinze, lui, est jusqu’ici retiré, n’adressant ni gestes ni déclarations qui mèneraient à une exposition populaire. En outre, « il a ce ton chaleureux que possède aussi Marcelo quand il parle », écrit Damián Giovino. Et d’autres. Comme cette manière à faire du jeu une science. Si Bielsa voit par exemple 10 systèmes de jeu reconnus ou 5 types de démarquages, Heinze a catégorisé 25 manières de relancer depuis l’arrière. Mais si l’on peut comparer Gabriel Heinze à Marcelo Bielsa sur un point, c’est bien le suivant : l’intransigeance. Et la passion. Dans les clubs où il est passé, Heinze a tout changé. Les méthodes d’entraînements, l’entretien et la tonte des terrains mais par-dessus tout les habitudes et l’attention aux détails comme le racontait Lucas Robertone, milieu de Vélez : « Il est très professionnel, très porté sur les détails, très méticuleux. Il nous a fait comprendre que les moindres détails, comme le poids, se reflètent dans ce que vous faites sur le terrain et même aux entraînements, qui sont assez intenses. » De nouvelles exigences sont imposées et comme Gastón Giménez, les joueurs le comprennent : « Au début, vous avez du mal à vous adapter à toutes ces conditions mais quand vous les assumez, vous pouvez voir les différences : il nous a appris à nous construire comme un joueur professionnel d’élite, comment travailler pour être prêt à émigrer vers le football européen. » Ou comme Matías Monito Vargas, ex-milieu de Vélez aujourd’hui à l’Espanyol : «Gabriel est spécial, il n’est pas comme la plupart des entraîneurs. C’est un obsédé qui réclame de vous toujours votre plus grand effort dans tout. Ce n’est pas si facile à comprendre au début, mais une fois que vous vous y êtes habitué, ça donne des résultats : ça vous rend meilleur. » Un homme de principes aux idées fortes et un leader exigeant.
Pas uniquement avec ses joueurs, Heinze l’est aussi avec lui-même. Il a la réputation d’un travailleur tactique hors-norme. Juan Manuel Lillo se dit avoir été « émerveillé par sa conviction et son dévouement dans son travail ». L’Apache Carlos Tévez, qui a été son coéquipier dans la sélection argentine de Bielsa, lui considérait Heinze comme « le prochain Bielsa » dans l’émission ‘Estudio Fútbol’ de TyC en juin 2017. Avant d’ajouter « J’en ai une foi barbare parce que je sais quel genre de personne il est. Je sais qu’il travaille 24 heures sur 24 pour le club où il entraîne, je sais comment il travaille et le mieux que j’ai à dire sur El Gringo, c’est en tant que personne. ». Toujours dans son livre ‘El Legado de Bielsa’, Damián Giovino analyse : « Gabriel est un passionné de ce sport. Il respire et vit pour le football. ‘Obsessionnel’, ‘fou’, vous pouvez l’appeler comme vous voulez, mais la définition la plus juste est qu’il est un amoureux passionné de ce jeu. Il ne laisse aucun détail au hasard et se consacre à son métier 24 heures sur 24. Tout comme il l’a fait pendant sa carrière de joueur, il ne conçoit pas de s’engager sans se donner au maximum pour atteindre l’objectif fixé. Il peut passer des heures, des heures et des heures enfermés devant son ordinateur ou sa télévision à regarder plusieurs fois un match de son équipe, analyser les rivaux, planifier des entraînements. Heinze est un type de personnage extrêmement discret, qui se soucie de se développer intellectuellement pour croître chaque jour dans tous les domaines de la vie. » Cubero parachève : « Heinze travaille de la même manière que Bielsa. Depuis 1998, il n’y avait pas eu un seul technicien qui travaillait autant comme Bielsa. »
Mais voilà, après une cascade de parallèles à l’intérieur des journaux locaux ainsi qu’en plein milieu des plateaux télé et des points presse, Heinze rougit : « Je suis très gêné ». Et insiste : « Quand on me compare à Bielsa, j’ai vraiment honte. Marcelo est à un pas de géant du reste des entraîneurs. Je ne fais que commencer. »
Et Guardiola, alors ? Dans cet acharnement de l’étude aussi, évidemment, mais éminemment ailleurs. Dès l’éphémère rencontre des deux hommes l’après-midi du 2 mai 2009 à Madrid, Heinze se lance en pèlerinage du jeu de position. En premier lieu, Rome. Au contact de Luis Enrique, « le futur meilleur entraîneur au monde » d’après Pep, tout droit venu de l’élite cléricale du Barça B pour faire de l’AS Roma un nouveau lieu saint. Le projet était clair pour l’Espagnol : « Je veux jouer d’une façon attractive. Nous allons attaquer beaucoup. Je ne connais pas d’autre football. Nous nous dirigeons vers un changement complet d’idées et d’identité. Je ne suis pas venu ici pour ramener le modèle barcelonais, mais quelque chose de similaire. » C’est finalement « une défaite » comme Luis Enrique l’avait lui-même résumé à la fin de la saison 2011-12, mais Heinze joue beaucoup et s’imprègne.
Puis, Rosario. En deux temps. D’abord, avec Tata Martino, autre ambassadeur de la philosophie néerlandaise et son Newell’s Old Boys 2013 très esthétique qui réussit l’exploit d’être sacré (magnifique) champion malgré le scepticisme ultra résultiste du pays entier. L’Argentine tremble mais Heinze reste de marbre, continue à remporter ses duels, à balancer des transversales de 40 mètres ultra-précises avec son pied gauche, inscrit même son premier but sous le maillot de la Lepra avec lequel il avait commencé sa carrière en 1996, joue beaucoup encore une fois et apprend, surtout. Ensuite, retraité de sa carrière de joueur, avec Juan Manuel Lillo alors tout juste limogé des Millonarios en Colombie (septembre 2014) qu’il re(après l’avoir découvert au Real Valladolid en 1997)-rencontre lors d’une conférence (décembre 2014) dans la troisième ville d’Argentine où la référence absolue de Pep, Luis et Tata est venu partager ses idées et sa vision systémique du jeu, Heinze s’illumine. Et continue à étudier. Des rumeurs disent même que la rencontre s’est poursuivie de peu de journées sans que le téléphone d’Heinze n’affiche pas les initiales du professeur J.M.L et que ce même medium partagea plus tard des ondes avec Menotti ou avec Mikel Arteta, ancien coéquipier au PSG et adjoint de Pep chez les Citizens entre 2016 et 2019. Et si ce voyage initiatique était lui aussi le prélude d’un petit mythe ?
Le succès par le jeu
Devenu entraîneur, Heinze se lance à Godoy Cruz en juin 2015, mais l’expérience devient rapidement un échec. Pourtant, au départ, la promesse était belle. José Mansur, président du Tomba avait confiance : « Ce sera sa première expérience en première division argentine, c’est un pari. Toutefois, nous espérons démarrer un nouveau projet de la meilleure façon possible. L’idée est de convaincre avec de la qualité humaine et un projet sportif. » Dès les débuts, l’équipe s’adapte aux idées de son nouveau coach et s’impose pour son premier match. Déjà, l’identité de jeu d’Heinze permet de dominer territorialement les adversaires et d’avoir des occasions. Mais des largesses défensives et des difficultés dans la finition rendent l’édifice à la fois instable et inopérant. Finalement, à la fin du mois de septembre, un derby perdu 1-0 contre Olimpo, la sixième défaite en dix matchs, met fin à l’enthousiasme qui régnait suite à son arrivée. Définitivement.
Car le mandat de l’ancien joueur a aussi été marqué par un public enragé contre la direction, coupable de donner l’équipe à un coach ne disposant pas des diplômes requis pour être présent sur le banc. Et par extension contre lui-même, hué par les hinchas dans le centre-ville de Mendoza, ville à l’ouest de Buenos Aires proche de la frontière chilienne où se situe le quartier de Godoy Cruz, avec des banderoles sur lesquelles étaient notamment inscrites : « Merci Gabriel, mais on préférerait un entraîneur avec ses diplômes ». Or l’histoire enseigne que se mettre à dos le public argentin est souvent synonyme de revers imminent. « Tous les présidents savent qu’ils ne peuvent pas engager des techniciens sans diplôme. Ce sont les règles du travail. Il a eu les meilleurs entraîneurs, mais ça ne l’autorise pas à diriger une équipe. » lâchait Victorio Cocco, président de l’Association des entraîneurs argentins, puis ajoutant sereinement que « l’unique exception, c’est Maradona. Parce que c’est Diego. »
Heinze, qui n’a duré que trois mois et demi de travail à Godoy Cruz, a été victime de ses résultats. En plus de peu gagner (2 victoires sur la période), son équipe se plaçait vingt-cinquième sur trente au classement. Déplorable pour José Mansur qui admettait pourtant « être fasciné par le travail d’Heinze ». Une question d’hommes : Gabriel n’adaptait pas, il dictait. De papiers, aussi : forcément, n’ayant pas terminé la formation nécessaire pour être autorisé à mettre les pieds sur les terrains et les bancs, difficile de travailler au mieux. De temps, enfin : qui sait ce qui aurait pu arriver si Heinze était resté plus longtemps ? Il le disait tout haut pendant ses adieux : « L’institution a décidé de mettre fin à ce long projet… » Alors, après ce revers, rupture ou continuité ?
L’année suivante justement, au mois de juin, les cafés argentins se demandent si Heinze qui vient d’acquérir son diplôme, va revenir. Puis, lisent tranquillement dans les nouvelles qu’il a reçu une proposition d’Argentinos Juniors, relégué en seconde division après une saison catastrophique, et a demandé précisément six jours pour étudier les joueurs de l’équipe première, les jeunes des catégories inférieures ainsi que les autres équipes du championnat. Là, ils ne peuvent s’empêcher de sourire et se disent certainement que Gabriel, comme Marcelo, aime les défis immenses et les endosse de la même façon. Avec du cœur à l’ouvrage. Comme un chef d’orchestre qui se doit de connaitre à la perfection les qualités de chacun de ses musiciens.
Arrivé au bout de la période d’étude, Heinze accepte l’offre, persiste dans les idées qui guident son travail et fait sa révolution. D’une, structurelle : meilleur transport de l’équipe en déplacement, amélioration de la qualité des terrains tondus au millimètre près et apport d’analystes vidéo méticuleux entre autres. De deux, physique : contrôle accru de la diététique, nouvelles méthodes de récupération avec poches de glace et déjeuners plus complets entres autres. De trois, tactique : méthodes d’entraînement différentes en lien avec ses préceptes de jeu. Après une saison où Gabriel apprend à connaître les rouages de la seconde division vu du banc et après une saison extraordinaire – son Argentinos Juniors remporte 23 matches en 41 rencontres (13 nuls, 6 défaites) avec la meilleure attaque (57 buts marqués) et meilleure défense (22 buts encaissés)–, le club mythique du quartier de La Paternal à Buenos Aires qui tombait doucement en ruine depuis la démission de Claudio Bordhi en 2010, finit champion et fait beaucoup de bruit en obtenant l’accession à quatre journées de la fin d’un championnat (la Primera B Nacional) historiquement très équilibré et compétitif.
Surprenant ? Pas vraiment. En juillet, Heinze l’avait annoncé. « J’ai été motivé par le défi parce que l’histoire de ce club est très grande et le club a des joueurs pleins de qualité qui peuvent le faire monter. » Ce qui comptait, c’était avant tout l’accession à l’étage supérieure. Heinze le soulignait lors de son départ à la fin de la saison : « J’ai été engagé pour faire monter le club, pas pour un projet. » Mais si l’on se souviendra de cette prouesse, on se souviendra essentiellement au stade Diego Armando Maradona où était affiché sur des banderoles « Gringo, reste avec nous. Paternal est ta maison« , que Gabriel a su démontrer qu’il était un gagnant sans jamais flancher au moment de montrer ses idées de jeu.
Ce grand saut pour Heinze a, en particulier, pris la forme d’un changement brutal de management. Commentaire à La Nación en décembre 2016 : « Quand j’ai commencé ma carrière d’entraîneur, je voulais être distant des joueurs. Mais j’ai appris que j’avais tort, il faut toujours être plus proche des joueurs, parce qu’ils ont beaucoup de problèmes. Aujourd’hui, l’entraîneur ne doit pas seulement donner des consignes, il faut endosser beaucoup d’autres responsabilités. Aujourd’hui aussi, les jeunes ont besoin de toi, ils te demandent des conseils en permanence. Et si le jeune réussit, il apprécie que tu t’occupes de lui et il te demande encore plus de temps. Parfois, ils viennent directement demander des conseils et à d’autres moments, tu dois te rendre compte qu’ils ont besoin de toi mais que ça doit venir de toi. Beaucoup de joueurs ne savent pas de quoi est fait ce métier. Ils savent qu’ils doivent taper dans un ballon, mais ils ne savent pas qu’à certains moments, ou qu’à une certaine distance ils doivent le faire avec le dessus du pied ou avec l’intérieur… Ils ne savent pas que ce métier demande d’autres qualités que de simplement savoir être bon balle au pied : il y a un moment pour tout, mais il faut principalement faire attention, parce qu’une carrière, c’est court… Être bon footballistiquement ne suffit pas, être professionnel, c’est beaucoup plus que ça. » Toujours question donc, de dicter le jeu mais plus question d’être éloigné de ses joueurs. À Godoy Cruz, Heinze récoltait fréquemment des remarques négatives de ses joueurs du fait de son comportement dur et sec au quotidien, incitant à une remise en cause de sa méthode. Depuis il fait quasiment tout l’inverse. « Il a une approche paternelle avec ses joueurs. Il embrasse généralement tout le monde, un par un, après chaque match. Mais il est aussi ferme s’il n’a pas quelque chose, surtout avec les plus jeunes », explique un intendant de la Villa Olímpica de Vélez. Et depuis, ses joueurs n’ont juré que par lui.
Quelques semaines après, Heinze revient en première division et reprend un Vélez dix-neuvième. Là-aussi, il laisse entrevoir directement une partie de la vision qui l’a poussé à relever ce défi. « J’ai accepté de venir ici, parce que j’ai fait une analyse préliminaire de plusieurs joueurs du club. J’ai vu et analysé 48 matchs de Vélez. Et ma venue veut dire que je pense pouvoir aider cette institution et ces joueurs. Maintenant, c’est moi qui prends les décisions concernant qui va faire partie ou non de l’équipe. J’aime parler en face à face aux joueurs. » Et cela, loin, très loin, de l’arrivée audacieuse d’Antoine Kombouaré à un Toulouse dix-huitième en octobre 2019, échafaudée de façon scabreuse à partir de « Je vais découvrir les joueurs, l’effectif que j’ai à ma disposition. Le calendrier ? Je ne l’ai pas vu… Je sais simplement qu’on joue Lille. Si, je crois qu’on va à Rennes après, si je ne dis pas de bêtise… ». Après tout, chacun sa recette. Ça a toujours été comme ça. Certains aiment préparer à l’avance. Pour se mettre dans une disposition propre à un but fixé. Pour faire précéder de quelques précautions. Ou pour tenter d’assurer au maximum l’effet. Une élocution en public, un voyage ou un apéro. Sauf que d’autres n’y ont jamais été sensibles. Pour ceux-là, ce qui compte c’est le moment. Celui qui voit disposer sur la table basse un paquet de TUC et une barquette de billes de fromage fourrées Saint-Môret avant de s’installer tout à fait sereinement sur le canapé. Au bout du compte, les 13 matchs de Kombouaré à Toulouse auront eu le même effet et le même goût : inappétence à la présentation puis insipide à la consommation.
Et on peut voir encore que la nature d’Heinze est gagnante. Vingt-sept mois après, à l’annonce de sa démission en mars 2020, Vélez était troisième du championnat à deux journées de la fin et en course pour une qualification directe en Copa Libertadores. La presse argentine parlait de tout cela comme « la dernière folie » d’El Gringo. Ou sa dernière œuvre. Mais quoi qu’il en soit, ce Vélez, c’est bien le sien. Celui qu’il a choisi puis façonné au recrutement et à coup de prêts. Luis Abram, Agustín Bouzat, Joaquín Laso en janvier 2018. Lucas Hoyos, Alexander Domínguez, Pablo Galdames, Gastón Giménez à l’été 2018. Tomás Guidara, Lucas Janson, Fernando Gago à l’été 2019. Mauro Pittón, Ricardo Álvarez, Ricardo Centurión en janvier 2020. Un renouvellement complet mélangé à l’intégration continue de jeunes de Vélez II à l’équipe première. Comme Lucas Robertone ou Thiago Almada. Et celui qu’il a façonné à ces mêmes principes, de vie de groupe (accès coupé aux journalistes, consoles interdites aux joueurs…) ou de jeu, exigeant beaucoup d’efforts et excluant les privilèges. Sous les ordres d’un Heinze qui pense son système (entendu comme doctrine et non comme dispositif) avant de choisir les hommes, Vélez a passé le jeu au premier plan. Et le reste s’est reconstruit. Vélez est devenu l’attraction de Superliga et un modèle en Argentine. Le jeu, toujours le jeu.
À Vélez, Gabriel a montré, qu’au-delà de la nécessité de résultats, ses idées et son projet tactique pouvaient s’allier à un projet sportif. Après Heinze le magicien gagnant d’Argentinos, on connait à présent Heinze le bâtisseur gagnant du Fortin. Qui fiche ses plans en l’air, par morale, lorsque l’un de ses joueurs cadres est transféré peu avant la fin de saison. Mais un bâtisseur quand même, qui, malgré quelques irrégularités en matière de gain de points par moment, ne renonçait pas à sa vision. Quand il s’exprimait sur ses convictions l’été dernier alors que son équipe passait par une série de résultats négatifs dès le début du championnat, Heinze choisissait les mots suivants : « Ce que je ne veux pas faire, c’est m’écarter : faire quelque chose que je ne ressens pas et dans laquelle je ne crois absolument pas. Faire cela, c’est s’écarter. Pour quoi ? Pour obtenir un résultat. Je ne le ferai jamais (…) Actuellement aussi nous sommes dans une période où les résultats n’arrivent pas. Je ne le dis pas car c’est ma lubie mais je crois beaucoup en ce que nous faisons (…) je crois beaucoup en ces mecs, comment ils jouent. Et bon, je continuerai sur ce chemin car je pense qu’il peut aboutir. Et qu’il est possible d’obtenir des résultats de cette manière. Et une dernière chose très simple : je ne vais pas faire autre chose parce que je ne le sais pas ! Je ne sais pas faire autre chose. Et je sais aussi comment obtenir un résultat. Je connais la manière pour se procurer un résultat. Autre chose, je ne le sais pas. »
Ainsi, ses équipes et surtout son Vélez, jouait avec autant de contrôle et autant de confiance en son jeu, si rare partout et encore plus en Argentine, que tout le monde aimait le voir jouer, qu’il finisse par perdre ou gagner. Mais la recherche et la mise en pratique du travail d’Heinze n’ont pas été motivées par l’envie de jouer de l’avant et en décideur, ce qui crée du spectacle, pour que son équipe « soit différente, car être différent, c’est ce qui attire l’attention des gens » à la Paco Jémez ou car « au moins, on s’amuse » à la Zdeněk Zeman. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard s’il va poursuivre son apprentissage au Newell’s de Tata en 2012, alors que le Tchèque débarquait de nouveau à la Roma. Car pour Gabriel, rien de tout ça. En fait, il est persuadé que c’est la formule qui fonctionnerait le plus souvent possible. Il tentait de la mettre au clair en conférence de presse : « Je veux toujours gagner. Je n’ai jamais dit que je préférais bien jouer et ne pas gagner. J’ai dit que pour arriver à un résultat il faut mieux jouer que le rival, avoir plus de situations, insister davantage. Il n’y a pas un entraîneur dans le monde qui arrive sur le terrain et ne veut pas gagner. J’aime gagner. » Là encore, balisant un chemin qu’il a lui-même tracé et clamé lors de sa conférence de presse de présentation à Vélez : « Pour obtenir un résultat positif, vous devez aller le chercher, vous devez jouer. » Comment, alors ?
Flexibilité et (r)évolution du jeu de position
Le jeu de Gabriel Heinze repose tout d’abord sur un dogme de base : l’adaptabilité. C’est le cadre de sa philosophie. Avec ou sans ballon, la base de son organisation du jour de match est établie en fonction de l’organisation adverse qu’il affronte. À Lautaro Mendez, seul journaliste resté jusqu’au bout d’un entraînement pluvieux époque Vélez, il expliquait : « Nous ne mettons en place ni un 4-3-3 ni un 4-4-2. » Car pour Heinze, même s’il cite les numéros plutôt que les noms quand il évoque les joueurs rivaux en conférence de presse, pas question pour autant de parler de « numéros de téléphone » (César Luis Menotti) à l’heure d’aborder une équipe mais plutôt de placements référentiels et rôles. Avant de poursuivre : « Je travaille en fonction de nos idées et du rival qui nous oppose. Je ne donne pas autant d’importance au système, mais plutôt aux positions des joueurs adverses et ce que nous pouvons faire. » Les positions, elles, sont le coeur de la philosophie d’Heinze. « C’est la tactique » révèle-t-il lui-même.
Primo avec ballon. Car dans tout contexte (peu importe face à qui, dans quel stade, à quel moment du match et quelle que soit l’équipe qu’il dirige), Heinze veut faire le jeu. Une volonté constante, en partie chiffrée avec un pourcentage moyen de possession du ballon de 57,7% la saison passée. Et précisée en conférence de presse, ainsi : « Je crois que comme je l’ai toujours dit : si j’ai le ballon, l’adversaire ne l’a pas; si je l’ai plus longtemps, je peux être meilleur que le rival (domination); si je suis meilleur que l’adversaire (domination), je rivalise avec lui. Ainsi, si je défie l’adversaire, je suis meilleur (domination) et j’ai le ballon, j’ai alors plus de chance de gagner. Il y a de nombreuses façons de jouer. Celle-ci c’est la nôtre. »
Dans son approche instituée sur le jeu de position ou le « juego de ubicación » selon la proposition de renommer de Juanma Lillo que l’on pourrait traduire formellement « jeu de placement ». Manière d’apporter de la nuance à la notion de « position » en entendant que l’on peut être bien positionné dans le mauvais espace ou mal positionné dans le bon espace et inversement, la recherche des supériorités de la première ligne d’attaque contre celle défensive adverse est perpétuelle pour que la première progression du ballon soit propre. En plusieurs temps.
D’une, alors que l’adversaire pressait haut avec un seul attaquant, Vélez sortait le ballon grâce au maniement du ballon par ses centraux (Lautaro Gianetti et Luis Abram habituellement) avec son gardien Lucas Hoyos dans un back3, utilisant au maximum l’espace octroyé par le pressing rival en zone axiale et la position avancée (respectant l’amplitude) des latéraux et des milieux qui incitaient la seconde ligne adverse à reculer à offrir davantage de liberté aux centraux.
De deux, face à deux attaquants, autour de ses deux défenseurs centraux, l’équipe d’Heinze schématisait « un libéro devant et un libéro derrière » avec son milieu Gastón Giménez qui décrochait et, toujours, son gardien Lucas Hoyos, dont l’implication dans la construction du jeu était frappante au sein d’un back4 en losange.
De trois, contre trois joueurs adverses bloquant généralement en individuelle les centraux et le « cinco », Hoyos aidait son équipe à gagner du terrain et à « franchir », par moments, le pressing adverse avec son audace, n’hésitant pas à conduire le ballon ou le contrôler et l’orienter paisiblement. Par d’autres, avec son jeu au pied, jouant – précisément – long et utilisant à bon escient sa technique exceptionnelle ainsi que sa capacité à trouver des angles fous.
En conférence de presse, Heinze indiquait : « Lucas (Hoyos) joue dans une position qui dépend de comment les attaquants adverses pressent nos défenseurs centraux. (…) Si vous regardez toutes les équipes qui jouent contre une équipe avec un seul attaquant axial, elles jouent proche du gardien (centraux). Car cela permet à l’équipe de relancer. (…) Quand l’adversaire joue avec un autre système, le gardien a plus d’espace. »
Face à un rival plus passif au moment de la sortie de balle de Vélez, là, si l’on devait dégager une tendance tactique significative et surprenante (même si elle s’observe dernièrement du côté de Barcelone avec Ter Stegen, Manchester City avec Ederson ou Reims avec Rajkovic) ce serait l’utilisation du potentiel technique de Lucas Hoyos plus haut sur le terrain. En s’insérant, le temps de la construction, entre ses deux centraux hors de sa surface, il se comportait comme un troisième « défenseur-meneur de jeu », générant une supériorité numérique sans qu’un milieu décroche d’une ligne. Un coup tactique qui ouvre de nouvelles perspectives dans le jeu, notamment pour gagner une ligne de passe à une autre hauteur.
En attendant de voir si le gardien argentin de 31 ans sera emporté par Heinze à Atlanta, il a été la première réforme apportée par le coach à Vélez. Mise à l’épreuve de la prise d’initiative dans un système guidé par la recherche d’espaces et devenue la base des mouvements de son équipe, l’interprétation du rôle de gardien selon « Gaby » par Lucas Hoyos a fait des merveilles. De quoi comprendre pourquoi Heinze le suivait déjà quand il dirigeait Argentinos Juniors et que Hoyos jouait à l’Instituto. Ce registre de « gardien-premier attaquant », Federico Lanzillota, gardien d’Argentinos Juniors lors du passage d’Heinze en a parlé : « Il s’agissait d’aller chaque jour apprendre quelque chose de nouveau. Je ne peux pas vous dire quelque chose de ponctuel. Cela serait me plonger dans son travail et il est assez discret à propos. Mais je me souviens d’une anecdote : lors de son premier entraînement, il m’a vu avec les gants et m’a demandé pourquoi je les avais. ‘Je suis gardien’, je lui ai dit, naïvement. Il m’a dit : ‘Oui, je sais, mais mets-les de côté parce que tu ne vas pas les utiliser avec moi’. J’ai ri, mais avec le temps, c’était vrai. J’ai beaucoup joué avec les pieds, j’ai beaucoup participé en tant que libéro de la défense sur la sortie de balle de l’équipe depuis la surface. »
Devant Hoyos, avec Lautaro Giannetti et Luis Abram, Heinze disposait de deux centraux disposés à briser les lignes par la passe mais aussi à conduire pour fixer, attirer et ainsi créer de l’espace libre pour un ou plusieurs coéquipiers entre les lignes (la « conducción »). Ils jouaient un rôle essentiel dans les fondations de l’attaque.
Cette prise de risque constante était rendue possible par la technique individuelle de très haut niveau de chacun de ces joueurs. Une condition à l’heure de choisir ses centraux qu’Heinze expliquait en conférence de presse : « Je regarde les caractéristiques de chaque joueur, et comment il se comporte dans différentes zones. Et puis, ce que chaque joueur est capable de réaliser avec le ballon. Là dans ce que le joueur fait avec ballon, il y a deux facteurs : sous pression et sans pression. Il y a aussi le paramètre des passes courtes, des passes longues et des passes intermédiaires qui sont les passes entre les lignes. »
Une condition exigeante donc, surtout pour les centraux qui préalablement à l’arrivée d’Heinze n’avaient jamais présenté en carrière professionnelle cette habilité et ces intentions. « lI y a énormément de temps pour travailler la technique. Il y a un temps pour tout. Pour tout ! Imaginez, un jour c’est 24 heures. Pourquoi nous n’aurions pas le temps ? Bien sûr qu’un entraîneur de première division entraîne la technique individuelle de ses joueurs. Je pense qu’un coach entraîne tout, peu importe ses équipes. Après, on a des joueurs plus talentueux que d’autres. Mais je pense que tout s’entraîne (…) Ce qu’il faut faire, c’est travailler la technique dans des situations de match. Si un entraîneur veut qu’un joueur soit plus à l’aise avec la balle, ce qu’il doit faire c’est travailler dans des espaces réduits. La technique ne se travaille pas sans rien, pas sans un contexte. » rapportait Heinze en conférence de presse. Premier et septième au classement du pourcentage de passes réussies par match en Superliga 2019-2020, le tout dans une équipe regardant toujours vers l’avant, personne n’a eu mieux que Giannetti et Abram.
Au-delà de l’aspect tactique, une des réussites d’Heinze à Vélez réside notamment ici, dans l’enseignement de la technique. En intervenant auprès de ses joueurs concernant l’orientation corporelle, la façon de contrôler le ballon, par exemple, ces petites choses qui font le jeu mais qui ont tendance à être oubliées, il favorisait la performance de son équipe. À l’instar d’un Lucien Favre dont toutes les équipes font déjouer les modèles statistiques avancés et qui dans un entretien accordé au magazine allemand Socrates en mai 2018 signalait : « La technique est clairement le domaine qui exige le plus de travail. Je trouve que le travail fait dans de nombreux clubs n’est pas suffisant. Il y a une grande marge de progression dans ce domaine. »
Sur les côtés, les latéraux avaient le rôle jusqu’ici d’étirer le bloc adverse comme les centraux. Mais ils incarnaient une voie de sortie privilégiée de Lucas Hoyos. Alors que la passe sur le côté est souvent un signal pour enfermer avec l’aide de la ligne de touche, les capacités de Curé et Guidara à s’orienter pour recevoir le ballon, éliminer leurs vis-à-vis ou à s’associer vers l’avant sous pression, étaient remarquables. Ils étaient très souvent à l’origine des moments de déséquilibre de l’adversaire.
Devant eux, Heinze a, comme à l’Argentinos, essayé de trouver un clone de Busquets pour son Vélez. Après Esteban Rolón à La Paternal, ensuite transféré à Málaga et prêté la saison passée au Genoa, c’était principalement Fernando Gago et dans une moindre mesure Giménez, qui proposaient des solutions en simple pivot dans le cœur du jeu, à l’intérieur ou à l’extérieur de la première ligne adverse, au moment de la sortie de balle.
Peu après l’arrivée de Gago en juin 2019, tout le pays a posé ses yeux sur l’ancien milieu de Boca, du Real, de la Roma ou de Valencia pour tenter de percevoir ce qu’avait prévu son entraîneur, ancien coéquipier aux Blancos et aux Giallorossi. L’intéressé racontait : « Je n’avais plus envie de jouer au football à la suite de ma dernière blessure (troisième rupture du tendon d’Achille en finale de Copa Libertadores 2018 au Santiago Bernabéu). Je jouais juste avec mon fils jusqu’à ce qu’un jour, il me le demande : ‘Papa, je veux que tu rejoues au football’ et cela a été un très grand détonateur. » Les papiers disait que le souhait (condition de sa prolongation de contrat même) d’Heinze était que Pintita se joigne à la pré-saison de Vélez. Si occasion réussie, à la clé un contrat de six mois. Si occasion manquée, à la clé un poste d’adjoint. Et le terrain ? Comme toujours, il a eu plusieurs vérités de la première à la dernière minute. De son retour le 24 août 2019 contre Newell’s Old Boys (258 jours après sa grave blessure) et l’ambitieuse envie de plaire aux rêveurs, ses 13 matchs flamboyants faisant de lui la figure de ce Vélez obsédé par le contrôle et la prise d’initiative, à sa sortie le 20 janvier 2020 contre Aldosivi d’une nouvelle rupture des ligaments au genou gauche et de sa condition d’éternel déçu.
La ligne d’attaque de trois (Janson-Romero-Bouzat) occupait toute la largeur du terrain et fixait la ligne défensive adverse très haut. Le duo de relayeur Domínguez-Robertone se plaçait dans les couloirs intérieurs et décrochait ou non au niveau de la ligne du milieu adverse selon les espaces ouverts. L’équipe prenait alors la forme d’une sorte de 1-4-3-3, ou 3 (gardien+centraux)-3-2-3 dont les triangulations naturelles, l’occupation de l’amplitude ainsi que le positionnement des joueurs à différentes hauteurs (échelonnement) permettaient de trouver l’homme libre pour avancer.
Les sorties de balles de Vélez ne laissaient pourtant rien à la mécanisation, en dépit de toute l’autorité de Gabriel Heinze, c’était bien la forte intelligence collective des joueurs qui permettait de faire tourner les séquences dans leur sens. Si Heinze dictait concernant les idées, le jeu appartenait aux joueurs. Ils donnaient vie aux idées. Le jeu était dans les joueurs. Et cela à démontré toute son importance dans l’ensemble des moments de jeu. On y reviendra. Mais au regard de ces ouvertures de jeu de Vélez, on observe qu’Heinze, par la répétition, enclenche le processus de recherche des solutions aux problèmes. Et non celui de la manière de les résoudre. À la différence d’équipes du gotha européen où les entraîneurs créent des schémas de relance mécanisés, réduisant au minimum la part d’interprétation des joueurs.
Des décrochages du cinco, des milieux axiaux et des latéraux pas rareq pour fluidifier la sortie de balle comme ci-dessous (face à Tucumán, Defensa y Justicia ou Boca, équipes organisées à une pointe en début de match avant de passer à deux, le « canal » de solutions des latéraux aux centraux lors de la sortie de balle répondait à la courte distance entre les centraux), à l’alternance jeu court-fixer dans une zone/jeu long vertical ou diagonal, par des ajustements individuels selon des positions mouvantes adverses, l’animation de la construction de Vélez a énormément varié. De match en match. Mais aussi d’un moment du match à un autre. En fonction des dynamiques. Toujours est-il que l’essentiel était respecté : les principes de l’identité d’Heinze.
Ensuite, selon les circonstances et la réaction de l’équipe adverse, les actions pouvaient évoluer de façon variable. Après l’avoir attirée et distendue et suite à son repli trop lent ou indiscipliné, les joueurs de Vélez attaquaient [« voyageaient », Juanma Lillo] ensemble vers l’avant avec dynamisme et une grosse intensité dans les courses, les combinaisons de passes à une ou deux touches et les déplacements combinés pour pénétrer ou créer de nouveaux déséquilibres. Et ce jusqu’à l’intérieur de la surface adverse. Avec leur intelligence situationnelle, leur qualité de jeu sans ballon, leur vitesse de projection, ils se créaient un temps d’avance considérable sur leurs adversaires et transformaient ces ouvertures de jeu en grandes transitions. Elles s’approchaient véritablement du temps criminel des transitions offensives du Real Madrid 2011 à 2013 de Mourinho.
Et suite à un repli massif pour combler les espaces ou face aux équipes déjà bien organisées d’emblée, ils s’attachaient à appliquer les principes d’Heinze, les mêmes que plus bas sur le terrain, comme sur la sortie de balle. « Nous travaillons dans cette partie du terrain (le premier tiers), comme nous travaillons dans la phase de construction et de finition », clarifiait ‘Gaby’ en conférence de presse.
Une vision globale et intégrée du jeu, « comme une unité », tel le formalisait Agustín Peraita Serra, analyste de la sélection U16 chinoise et auteur du (brillant) livre « Espacios de fase » (Espaces de phase) dans un entretien accordé au site Nosotros, qui se lie à la pensée Juanma Lillo exposée à El Confidencial : « Pour moi, l’attaque et la défense n’existent pas, il n’y a qu’un seul tout ». Alors que l’Argentine découvrait le jeu de son Vélez, Gabriel Heinze avait été interrogé sur la sortie de balle de son équipe et il s’était prononcé sur sa perspective du jeu en conférence de presse. Messe : « Non non, je ne me suis jamais posé de question au sujet de la sortie de balle. Parce que je considère que comme la phase de construction et de finition, la sortie de balle fait partie d’un tout. Le football est un tout. Ce n’est pas quelque chose de sortie de balle ou de mouvement. Le football, je le perçois comme quelque chose de total et global. Je ne vois pas le football de défense et d’attaque, comme il se dit. Je ne le vois pas comme ça. (…) S’il est vrai que selon des endroits déterminés du terrain, on doit se positionner différemment, on doit courir différemment, doit faire des mouvements différents. Mais après tout, le football est un tout. Je ne pense pas à la sortie de balle parce que je pense au tout. »
Alors, à mi-terrain ou dans le dernier tiers adverse, les deux défenseurs centraux se retrouvaient à nouveau à être à la base des mouvements d’une organisation qui se résolvait à être un peu plus patiente et passait à une sorte de 1-2-3-5 face à un attaquant adverse. Cufré et Guidara (latéraux à la base) venaient se positionner autour du cinco (Gimenez ou Gago), alors que les deux interiores (Domínguez et Robertone) se joignaient dans les demis-espaces entre l’attaquant (Maximiliano Romero) et les ailiers (Lucas Janson/Agustín Bouzat) pour former une ligne offensive de 5 et avoir un joueur dans chacun des intervalles offerts par les lignes rivales. Ou à une sorte de 1-3-2-5 face à deux attaquants adverses. Le Cinco décrochant entre les centraux, Cufré et Guidara rentrant à l’intérieur du jeu et la ligne de 5 devant.
La réponse de l’équipe d’Heinze aux équipes organisées dans leur camp restait donc sur la même méthode. De l’occupation totale de l’amplitude, l’occupation des espaces entre les lignes et les intervalles à la création de supériorités localisées, pour désorganiser et perforer. Surtout, Heinze continuait de créer des supériorités à partir de la position tout en utilisant parfaitement le potentiel athlétique et technique de son équipe.
L’animation offensive de Vélez était basée sur l’attaque spontanée de la profondeur. Le trio axial Domínguez-Romero-Robertone (surtout les deux derniers) faisaient planer une menace sempiternelle sur l’équipe adverse par leurs appels en diagonale côté opposé, créant de l’espace entre les lignes (au premier notamment). Craintifs face à la qualité de passe des défenseurs et du cinco avec autant d’attaquants devant leurs défense, les adversaires de Vélez étaient finalement forcés à choisir entre sortir activement par l’appât des mètres carrés derrière le porteur et souffrir sèchement ou reculer massivement et souffrir lentement.
Dans le cas n°1, comme sur attaque placée rapide depuis la sortie de balle mais sur un plus petit périmètre, l’attaque immédiate de la profondeur entre les lignes et dans le dos de la défense se déployait. Avec cette structure d’attaque aussi, les mouvements étaient très larges en comptant sur le fait que des triangles et losanges se créaient partout sur la surface de jeu, que les joueurs ne se plaçaient pas sur la même ligne verticale et horizontale (échelonnement) et donc que les angles de passes étaient variés.
Il n’était pas rare que les défenseurs centraux ou le cinco progressent balle au pied dans l’espace entre les attaquants avancés et la ligne médiane avant de trouver des joueurs proches les uns des autres, pour combiner entre les lignes de défense et de milieu qui s’agrandissaient. Ou sur les côtés où les ailiers bénéficiaient d’une grande liberté de dribble. Ou dans la profondeur grâce aux appels combinés qui mettaient sous tension, voire dans l’incompréhension, la défense adverse. Mais c’était surtout les deux « sociétés » de joueurs (ailier/relayeur/latéral) des deux côtés qui étaient beaucoup recherchés. Janson-Domínguez-Cufré d’un côté et Bouzat-Robertone-Guidara de l’autre. Par leur qualité technique, leurs mouvements sans ballon et leur animation incessante par les permutations, ils étaient déterminants pour faire imploser l’adversaire. La meilleure représentation provient certainement d’en dehors des terrains.
S’ils résistaient à cette attaque directe ou faisaient le choix de l’option n°2, ils devaient alors passer à un repli très bas. Et là aussi, les joueurs d’Heinze ont fait exploser les équipes adverses.
Ce qui était frappant avec cette équipe c’est que sous Heinze, en seulement moins de deux ans et demi, elle avait acquis la gestion du rythme exigé par le jeu de position. Si elle semblait transformer ses sorties de balles en occasions de buts en un temps rapide, c’était surtout que les joueurs lisaient parfaitement les zones du terrain et leurs rythmes (« pause »/accélération) nécessaires. Liant leur capacité d’adaptation à leurs capacités techniques, ils se situaient bien dans les espaces (d’aide mutuelle/de coopération) pour attirer les équipes adverses dans une zone et la surprendre dans une autre, à l’opposé ou dans son dos.
Dans les couloirs, la présence des ailiers (Janson à gauche, Bouzat à droite) le long de la ligne posaient le cadre de ces situations de jeu et donnaient de la clarté aux meneurs de jeu reculés, comme des punaises ou aimants aux extrémités d’une carte routière, en étendant constamment la ligne défensive et créant des intervalles entre les joueurs qui la constituaient.
Par l’occupation de la largeur et des passes en diagonales aérienne ou au sol des défenseurs centraux vers les ailiers, Vélez écartait les blocs adverses et les faisait toujours plus reculer. Côté ballon, l’ailier, le latéral et l’interior combinaient avec ballon ou sans. Résultat, en retrait, les latéraux à l’intérieur parfois et le cinco, toujours, s’offraient plus de liberté face aux lignes.
Sur ces situations, dans un premier temps pour toucher l’ailier ou dans un deuxième pour renverser, Cufré et Guidara (De la Fuente, Laso aussi…) avec une activité non seulement latérale, mais également verticale, forçaient les milieux excentrés à être attirés vers les côtés, à être attirés vers l’intérieur, à se replier ou à sortir de leur alignement, agrandissant à chaque mouvement sans ballon l’espace qui les séparait de leurs coéquipiers.
Avec ces mouvements, ils libéraient un couloir de passe immédiat depuis les centraux vers un des ailiers. « L’idéal est d’avoir le latéral à l’intérieur et l’ailier à l’extérieur pour passer le ballon directement au second », détaille Pep à propos de la pyramide inversée de son Manchester City dans Herr Pep. Pour que cette action soit réalisable, Heinze précise : « La seule chose qu’on demande c’est qu’ils ne soient pas à la même hauteur. Car selon moi, quand ils sont à la même hauteur, le défenseur a plus de possibilité de les marquer. Ils doivent toujours être à des hauteurs distinctives verticalement. »
Inversés (Janson est droitier, Bouzat est gaucher), le rôle des ailiers lorsqu’ils étaient touchés sur le premier temps étaient uniquement de fixer leur vis-à-vis et profiter du coulissement ainsi que du repli massif adverse afin de combler les trous pour repasser par l’arrière où un meneur était libre face au jeu. Si le repli était trop prudent, ils percutaient à l’intérieur sur quelques mètres pour sonner une alerte et allaient s’associer avec le nombre autour de la surface pour emmener de la densité adverse avant de jouer en retrait. Comme sur attaque placée rapide, grâce à leur jeu de corps pour une bonne couverture de balle et une grande capacité à réussir des passes sous pression, ils absorbaient la pression de l’adversaire entre les lignes même dos au but aux abords de la surface afin de créer un décalage, de créer du temps pour leurs coéquipiers. En retraits, les meneurs de jeu avaient beaucoup de possibilités : soit pour frapper de loin, centrer avec énormément de présence, combiner sur le côté ou renverser le jeu de l’autre côté dans une situation de 1vs1.
Les profils explosifs des ailiers s’épanouissaient lorsqu’ils étaient trouvés en bout de situation, dans un deuxième temps, sur un renversement de jeu dans une situation de supériorité positionnelle et qualitative avec beaucoup de temps et d’espace. Grâce au nombre dans la surface, des centres au premier poteau, au second ou à l’entrée de surface ouvraient des possibilités supplémentaires à la percussion/tir croisé pour finir. On retrouvait alors la profondeur, la verticalité, la percussion, les centres, les projections et la présence offensive de l’Athletic Bilbao de Bielsa. L’analogie aux coups de craie de Pep Guardiola révélés par le journaliste Guillem Balague sur le terrain d’entraînement de Manchester City pour situer à Sterling l’endroit où il doit se situer pendant les matchs, le long de la ligne de touche pour créer de l’espace et exploser dans les trente derniers mètres, est ici naturelle.
En attirant leur adversaire direct, les latéraux à l’intérieur libéraient aussi un couloir de passe axial, bloc adverse s’étirant en largeur. Forcément, ces mouvements sans ballon ont été importants pour la progression collective dans le dernier tiers. Car si la passe était bonne, le milieu était encore sauté.
Cinco devant la défense pour fluidifier la circulation du ballon en apportant une supériorité numérique et positionnelle face à la première ligne de pressing adverse. Ou en fixant sans ballon le bloc adverse dans l’intérieur du jeu ou sur le côté. Ou en étant le relais pour trouver le troisième homme. Gago était aussi le maestro de l’équipe trouvé face aux lignes adverses comme Ziyech à l’Ajax avec la vue sur une défense déboussolée par la multiplication des appels sur une zone réduite produisant de la profondeur. Pour Fernando Gago qui vient de mettre fin à sa carrière de joueur début novembre, la direction orientée vers le « N » était alors toute dressée.
Au cœur de ce schéma répété et de trafic de mouvements avec ou sans ballon, l’objectif était de trouver les interiores Nicolás Domínguez et Robertone côté ballon ou opposé, par une passe diagonale. Avec leur mobilité pour attaquer les intervalles derrière la ligne des milieux ou derrière celle des défenseurs, ils ont été les armes principales de Vélez pour pénétrer la surface et aller créer une occasion de but. À l’encontre d’un Leipzig qui domine l’adversaire au coeur du jeu et entre les lignes et d’un Leverkusen qui mise sur les qualités en 1v1 de ses ailiers, Vélez faisait les deux. Si Domínguez sortait assez souvent du marquage des défenseurs centraux pour toucher le ballon, Robertone, lui, répétait les courses dans la profondeur. De quoi mettre le feu à la défense. Par ailleurs, Robertone a été le meilleur buteur de Vélez durant le cycle d’Heinze avec 12 buts. Dans un style pas si distant de celui de Thomas Müller au Bayern de Pep ou Van de Beek à l’Ajax de Ten Hag.
C’est contre ces adversaires regroupés que Thiago Almada (2001) a fait sensation. Dans un rôle hybride, on l’aura vu jouer entre les lignes, collé à la ligne de touche ou au milieu derrière le ballon pour s’oxygéner. Se balader partout et être la touche créativité. Par ses dribbles courts, sa vitesse et sa personnalité il aura rendu heureux les romantiques, ceux qui aiment apprécier l’avènement d’une jeune figure en alchimie totale avec une équipe qui déborde d’une ambitieuse animation de jeu. Les mêmes qui ont pu voir il y a plus d’une décennie en Catalogne, celle d’un autre argentin aux pieds exquis. La scène d’une quarantaine de matchs toutes compétitions confondues entre août 2018 et mars 2020, nous a laissé voir un joueur en associé d’attaque, explosif, très pressant, doué pour la profondeur, capable de recevoir la balle entre de nombreux défenseurs, habile dans le jeu à une touche de balle et buteur de poche. Avec Ricardo Centurión, ils ont été les assurances déséquilibre par le dribble de Vélez à l’heure de dynamiter ses adversaires. Un potentiel déterminant dont nous faisait part Ángel Cappa : « Le dribble est déséquilibrant quand l’équipe adverse nous attend organisée, ne nous laisse aucun espace et il n’y a aucun moyen d’arriver à la surface. Alors la ressource est de donner la balle au joueur habile pour que deux adversaires sortent dessus, apparaissent ainsi les espaces. »
Une relation des interiores très importante dans l’animation offensive d’Heinze et des déplacements en permanence lorsque des espaces apparaissaient à exploiter qui s’inséraient dans ces séquences grâce aux positionnements des ailiers donc, mais surtout grâce à l’activité offensive de l’attaquant Maximiliano Romero. Car pour que les volets de la carte se déplient, encore fallait-il que le pli du centre le permette. C’était la charge de l’attaquant argentin dorénavant au PSV Eindhoven. Celle de rôder entre les défenseurs centraux adverses pour les fixer. Celle de remettre le bon ballon pour le troisième homme. Celle de décrocher pour ouvrir des espaces à ses partenaires.
S’il était également un passionné des appels en profondeur et lisait en continu les déplacements de ses partenaires et de ses adversaires, il a pourtant été vivement critiqué pour sa « falta de gol » avec ses sept buts lors de la saison passée, lui le numéro 9 sur le papier. Comme l’était Francisco Fydriszewski avec ses treize buts à l’époque de la montée d’Argentinos Juniors sous Heinze. Face à la presse en conférence de presse, ‘Gaby’ expliquait sa conception globale du football. Extrait de la vidéo ci-dessous. « Un n°9 est-il important ? Bien sûr qu’il est important. Et quels sont mes goûts ? Que le n°9 fasse partie de l’équipe. Non pas qu’il n’ait qu’une seule fonction. Et qu’ensuite, tous les joueurs participent au jeu offensif. Je ne suis pas de ceux qui pensent que le n°9 doit seulement avoir une fonction. Après, vous allez me critiquer et dire ‘oui oui, mais il doit marquer des buts’. Oui le n°9 doit le faire mais selon moi le n°11, le n°8, le n°10, le n°7 aussi… ».
Tous les joueurs doivent marquer selon Gabriel Heinze, pas spécifiquement le n°9, car selon sa vision, c’est le témoin de la qualité et l’intelligence d’un système. Connectés au jeu de façon permanente, comprenant leurs interactions avec leurs partenaires et étant ouverts à l’analyse des dynamiques du jeu dans le rapport de force, ses joueurs, stimulés par des intentions collectives communes, doivent apporter une variabilité de solutions au moment d’exploiter les bénéfices dans la surface ou à ses abords que tous les joueurs de l’équipe auront su créer par leurs ordre positionnel, leurs passes, leur hauteur sur le terrain et leurs capacités techniques. Totale, sa vision du football l’accompagnait à entraîner une équipe où tous les joueurs attaquaient. C’est l’hybridation des postes. Comme dans d’autres sports collectifs. De la même manière qu’ils pouvaient tous êtres considérés comme défensifs.
Responsabilisation et agressivité
La densité dans la surface permet de mettre la défense en situation de panique et de lui laisser le moins de temps pour ne pas qu’elle relance et de ne pas risquer une contre-attaque, comme la présence des latéraux à l’intérieur en prévention des contres adverses (qui ont quand même peu de chance de se produire avec un bloc aussi bas), via une zone axiale densifiée. Les deux éléments permettent également d’être présent sur les seconds ballons. Mais aussi de presser rapidement à la perte. À ce moment, l’objectif est très clair : récupérer le ballon le plus vite possible pour ne pas avoir à reculer.
Avec la présence massive de ses joueurs et sa transition défensive dans le camp adverse, Vélez mettait en lumière la qualité de son jeu de position qui se mettait en place avec ballon en regardant plus loin, en préparant le coup d’après. Grâce à leur implication dans la construction et leurs positionnements dans l’espace de façon optimale, attaquants, milieux et défenseurs (gardien, même) pouvaient intervenir très rapidement et intensément sur les potentiels receveurs de la sortie de zone de pression afin de continuer à jouer très haut. Renforçant alors, un cercle oppressant pour l’adversaire.
À ce moment-là, la capacité des joueurs à paralyser les contre-attaques était essentielle. Avant tout la maîtrise du sujet des centraux. Et du cinco prêt à les aider. En début de saison dernière contre Talleres et Banfield, Vélez avait peiné sur ces moments, faute de pouvoir produire une prise à deux sur le porteur. Vu la compacité des équipes repliées, Gago s’en était allé densifier l’attaque, désertant le milieu de terrain et générant un petit temps de retard. C’est là que l’équipe d’Heinze avait été déstabilisée puis avait subi. Exit le problème défensif pour Heinze, mais bien offensif, avait-il déclaré après le match face à Banfield en conférence de presse.
À Vélez, la densité autour du ballon, la responsabilisation et l’agressivité étaient inhérentes aux moments sans ballon. Secundo, sans ballon donc, Vélez s’adaptait en fonction de l’organisation adverse. Face aux 1-4-1-4-1 de Boca, Independiente et Colón, aux 1-4-4-2 de Defensa y Justicia, Banfield, Gimnasia La Plata et Rosario Central, au 1-4-4-2 losange du Racing d’Eduardo Germán Coudet récemment nouvel entraîneur du Celta Vigo, aux 1-4-2-3-1 de Newells et Lanús, au 1-3-4-1-2 d’Arsenal de Sarandi, ou aux 1-4-3-3 d’Argentinos, Patronato et River, les joueurs d’Heinze ont également adopté des organisations défensives différentes adaptées aux offensives adverses. Mais à chaque fois, l’animation tournait autour d’une idée. « Pas de place à la spéculation » comme le proférait Tata Martino lorsqu’il était à la tête de la sélection du Paraguay. Pressant très haut son adversaire, Vélez l’empêchait de construire sereinement le jeu.
À l’image de Bielsa, sur la sortie de balle adverse, l’équipe d’Heinze organisait son système sur la présence d’un défenseur supplémentaire dans l’axe pour toujours conserver la supériorité numérique sur la ligne d’offensifs adverse, faisant la choix d’avoir un attaquant en moins sur les centraux adverses, et pressait très haut avec une approche intense basée sur du marquage mixte entre individuelle et zone sur le reste du terrain.
Derrière Romero qui courait entre les défenseurs et chassait la relance sur les côtés comme Gignac à l’OM et Bamford à Leeds, Janson et Bouzat fermaient eux les couloirs et les passes en marquant les latéraux à distance. Dans l’axe, tous les joueurs étaient marqués individuellement. Ils étaient tous impliqués pour forcer le jeu direct lors de la sortie de balle adverse.
Les joueurs rivaux qui décrochaient dans l’axe étaient suivis agressivement, avec l’idée de les empêcher de se tourner pour jouer vers l’avant. Même derrière pour les latéraux en individuel sur les ailiers adverses et le central le plus proche qui suit l’attaquant adverse qui décroche. Jusque dans le camp adverse si c’était la destination de l’attaquant. Ils compensaient ainsi les surnombres que l’attaquant pouvait créer dans le cœur du jeu en égalité numérique. De surcroît, quand un adversaire était servi dos au but, les joueurs de Vélez les plus proches autour de lui n’hésitaient pas à lâcher leurs marquages pour produire une prise à 2 ou 3 sur le porteur pour soutenir leur coéquipier au marquage tout en prenant le soin de couper les lignes de passe vers les joueurs désormais « libres de marquages ». Plus qu’une individuelle stricte, les milieux jouaient également l’interception. Il n’était pas rare de voir le latéral côté opposé qui se déplaçait selon les mouvements de l’ailier rival, récupérer le ballon plus haut que le rond central, très à l’intérieur du jeu donc, tout en comptant sur le soutien des joueurs proches et mener une transition vers l’avant.
Avec ce « -1 » initial, Heinze acceptait de fait une infériorité numérique face aux centraux adverses mais elle permettait à son équipe de faire illusion d’une possible sortie courte à défaut de toute autre option. Une fois manipulé et orienté sur un côté, le porteur rival ne disposait alors d’aucune solution. Partout se formaient des 1v1 et les solutions courtes étaient fermées par un marquage très serré, haut sur le terrain. Dans l’axe en défense, c’était un 2 contre 1 ou 3 contre 2. L’adversaire était poussé au jeu long, à l’erreur technique ou à la passe en retrait très rapidement sous la haute intensité des sprints.
Pour casser ce « +1 » laissé à l’adversaire, ce défenseur axial libre en plus du gardien, les courbes des courses étaient essentielles. En plus de limiter les angles au porteur, elles permettaient de couvrir la ligne de passe vers un joueur laissé libre de marquage « physique ». Quand Romero resserrait le porteur côté ballon depuis l’axe, il coupait la ligne de passe vers le défenseur libre. Quand l’ailier opposé – par une course à l’intérieur ou un milieu laissant les deux ailiers sur les deux latéraux (choix selon le plus proche) – chargeait le central libre, ils coupaient celles vers leur latéral ou milieu au marquage. Quand Romero poursuivait sa course jusqu’au gardien (assez rare sauf dans le Yorkshire), il coupait celle vers un défenseur. Déterminantes, ces angles de course toujours en avançant jusqu’à que le ballon soit récupéré sont emblématiques de la symbiose de pression orientée vers le ballon et l’homme de la part de Vélez. Tout en permettant d’exercer une pression presque totale avec un joueur en moins.
Lorsque le pressing était soutenu par Romero jusqu’au gardien adverse pour forcer le jeu long, derrière lui, les marquages étaient échangés de façon fluide pour accompagner le mouvement et couper toutes les solutions courtes. Alors, Vélez, le temps de quelques instants, laissait libre de marquage individuel un joueur et partageait la défense de zones clés avec un joueur à distance d’intervention de deux adversaires. Là encore, la lecture des situations de jeu par les joueurs d’Heinze était remarquable. À l’autre bout du (mi-)terrain, les conditions de la couverture étaient gérées par la supériorité numérique et athlétique du « +1 » derrière.
Cette animation sans ballon totalitaire dépend de beaucoup des courses de chacun pour bloquer toutes les lignes de passes aux porteurs et provoquer des erreurs. Elle implique une coordination extrême des joueurs. À l’égal des équipes de Superliga, le River de Marcelo Gallardo qui lui démontre de l’aisance, l’a éprouvée en septembre 2019. Ci-dessous le schéma du pressing haut de Vélez pendant toute la première période face à River Plate. Il correspond au pressing haut qui précède l’ouverture du score de Dóminguez à la 37ème minute.
Après la rencontre, remportée 1-2 au Monumental par Vélez, Gallardo analysait en conférence de presse : « Vélez est une équipe qui propose de l’intensité, mais qui ne dure qu’un temps. » Invité à répondre, Gabriel Heinze résumait sa vision du match et insistait sur l’importance des grandes largeurs de certaines idées : « Nous savions que la seule manière d’être compétitif était de réaliser la première période que nous avons fait, et de remporter la première période. Nous y sommes parvenus avec un pressing haut, du football et des occasions. Nous savions que nous allions souffrir en deuxième période. Nous savions que nous allions défendre en zone basse. Et personnellement, je savais très bien, qu’ils ne pouvaient pas marquer par des actions collectives de leurs joueurs mais par un but sur coup de pied arrêté ou sur des actions individuelles. C’est ce qu’il s’est passé. (…) Nous savions que nous ne pouvions soutenir le rythme en seconde période car les joueurs de River sont très bons. Je félicite River. Car la vérité est que l’équipe a des individualités très puissantes… Je considère que son (à Gallardo) utilisation du terme « intensité » manque de nuance. C’est pourquoi il faudrait parfois chercher dans les dictionnaires ou avoir la capacité de parler de certains sujets. Je pense qu’il manque une composante très importante. L’intensité n’est pas seulement dans les répétitions d’actions à haute intensité prolongées sur un match entier. C’est une grande partie de « l’intensité ». Mais l’autre partie est mentale. Et, il nous a manqué cette partie très importante selon moi. »
Alors, une fois que les adversaires se sortaient du pressing de Vélez, ou en seconde période contre River Plate, les joueurs d’Heinze se positionnaient en position médiane/basse mais la volonté ne changeait pas. Ils ré-adoptaient alors le pressing. Les rôles ne changeaient d’ailleurs pas non plus. Avec les centraux qui sortaient sur l’attaquant adverse qui décrochait dans leur zone, les latéraux sur les ailiers adverses, les ailiers sur les latéraux adverses, le cœur du jeu en individuelle et l’attaquant qui orientait la circulation.
Ces séquences défensives qui s’initiaient souvent en sorte de 1-4-1-4-1 calqué sur les 1-4-2-3-1 ou 1-4-4-1-1 sur les 1-4-3-3 récurrents des adversaires, se déroulaient sans avoir beaucoup de structure avec des « couples » partout sauf le +1 derrière, sans pour autant perdre l’équilibre.
Comme plus haut sur le terrain, Vélez fermait toutes les lignes de passes et forçait à jouer en retrait. L’équipe montait alors, le joueur proche du porteur cadrait en essayant de couper la passe, les joueurs à proximité anticipaient, dans le but pro-actif de pousser à l’erreur ou au jeu long. Emmenant dans leur folie les équipes qui avaient l’envie d’être joueuses, ce risque radical a souvent été validé par les phases de transition et les occasions dangereuses crées. Contre River Plate, cela a offert l’action qui mène au penalty réussi de Thiago Almada à la 83ème minute.
Tester la sûreté des qualités adverses dans l’absolu opposé de l’attentisme, c’est ce que faisait l’équipe d’Heinze dans chaque zone du terrain. Partout et tout le temps. Une activité défensive inhabituelle (sauf dans le Yorkshire, une nouvelle fois) qui renvoie à l’une des citations de Bielsa les plus reprises : « Vous connaissez ma formule pour défendre ? On court tous. Et puisque courir est une question d’énergie, il est plus facile de défendre que de créer, parce que créer requiert du talent. »
La visualisation ci-dessous de Statsbomb, sortie fin octobre pour la preview de la Superliga 2020-2021, sept mois après la fin de celle 2019-2020, montre la proportion d’actions défensives de chaque équipe face aux passes de ses adversaires par rapport à la moyenne du championnat dans six zones verticales.
Soutenant des projets de jeu comparables, l’Argentinos Juniors de Diego Omar Dabove et le River Plate de Marcelo Gallardo se rapprochaient, respectivement, des standards de Liverpool et Manchester City. À travers les PPDA (Passes adverses par action défensive dans le camp adverse), avec une valeur moyenne de 6.11 et 6.73, les deux clubs européens se montraient surtout très actifs très haut sur le terrain.
Avec une valeur moyenne de 7.19, la troisième plus basse de Superliga, derrière River Plate et Argentinos Juniors donc, Vélez faisait partie des références nationales en termes de pressing dans le camp adverse. Mais là est la façon de jouer à la Heinze, Vélez était avant tout capable (et obligé par le projet de jeu) de maintenir une très forte intensité tout le match et tout terrain. Probablement la raison pour laquelle Federico Valverde confiait qu’en Argentine, Vélez était « l’équipe qui joue le mieux au football » lors d’un live Instagram début avril. Lui, le seul avec des poumons au niveau au Real Madrid sur la première partie de saison 2019-2020. « Sans intensité, vous ne pouvez pas jouer au football. C’est ma vision. Je n’accepterais pas qu’un joueur dose ses efforts. », annonçait Heinze. Javier Vilamitjana, préparateur physique de l’Argentine en 2010 puis à Godoy Cruz, Argentinos Juniors et Vélez avec « G.B » était la clé.
Comme tout le monde au sein de l’équipe, Pablo Galdames, jeune milieu Chilien de Vélez, a progressé et a été valorisé par ce jeu engagé d’Heinze. Ce dernier rapportait la façade de sa méthode à Fox Sports en septembre 2019 :
Malgré certains risques inhérents au projet de jeu avec ballon -relances systématiques depuis le gardien, bloc haut dans le camp adverse – et sans ballon – « trous » créés par le marquage individuel – d’Heinze, Vélez, deuxième équipe à concéder le moins de buts (14 en 23 rencontres) la saison passée, derrière le très réactif et compact Boca Juniors de Miguel Ángel Russo (8 buts encaissés), a affiché une belle solidité. L’équipe le devait au volume de jeu toujours au diapason de ses joueurs, en défendant tous en avançant afin d’éviter de devoir défendre trop bas. Car ses joueurs n’avaient pas la capacité à subir sans craquer. Sur les quatorze buts encaissés, cinq l’ont en effet été sur coups de pied arrêtés et trois sur centres. Hormis Lucas Hoyos, tant décisif dans les buts que pour défendre les grands espaces, que dans son jeu au pied déjà évoqué.
En cédant un peu de terrain à River Plate volontairement, Heinze a d’abord voulu contrôler l’impact des joueurs de Gallardo et gérer une certaine euphorie, les temps forts et temps faibles. Sans perdre son identité et son engagement. De quoi nuancer la remarque de Gallardo côté River qui rend ambigu un terme (uniquement physique ?) dont il est difficile aujourd’hui de trouver une interview d’entraîneur sans son utilisation. Par ailleurs, pour Vélez qui a reculé par obligation en seconde période, sous le rappel des limites de ces joueurs, cette victoire, c’était une nouvelle fois celle de l’adaptation permanente à l’adversaire et la forme des joueurs en cours de rencontre. Tout cela était alors rendu possible par la continuité de la condition d’acharné de l’étude, du coach. De son bureau et des terrains d’entraînements, aux bancs des stades.
Quand Bielsa, se voyait confier la sélection de l’Argentine en 1998, « il s’est enfermé dans un ranch dans la Province de La Pampa, pour visionner du football. Toujours à portée de main, il avait une collection de stylos de différentes couleurs et des piles de feuilles de papier, certains vierges, certains lignées, certains marquées avec le dessein d’une surface de réparation. Ce qu’il faisait, entre autres, c’était de décomposer chaque match qu’il étudiait en segments de cinq minutes, en notant avec un stylo couleur quelle équipe contrôlait quelles minutes; dans une autre couleur les occasions de marquer; dans une autre le pourcentage de possession; dans une autre, il esquissait des mouvements; dans un autre, il attribuait des points sur 10. C’était un travail difficile. De 10 heures du matin à 10 heures du soir, il travaillait : enregistrement, édition, coloriage, annotation. Pour créer la bibliothèque de football la plus savante. » comptait le Guardian en 2002.
Heinze qui affirmait « j’ai eu la chance d’apprendre de très bonnes personnes », a fait de cette démarche d’analyse l’une de ses des caractéristiques. « Ce que je fais dans ces fractions de cinq minutes, c’est de voir trois aspects de l’équipe : si on perd du terrain, si on a perdu beaucoup de ballons, et si l’équipe est distendue. Ces fractions de cinq minutes me donnent la possibilité de connaître l’état de l’équipe dans le jeu. Si j’augmente les fractions à 15 minutes, c’est selon moi un temps trop long pour pouvoir corriger les choses. Et je pense que de cinq minutes en cinq minutes, c’est plus simple pour moi de me rappeler le jeu visuellement. (…) C’est ce que nous faisons aussi pour l’équipe adverse : comment se positionne-t-elle et quels mouvements fait-elle. » , révélait-il en conférence de presse.
Troisième de Superliga et directement qualifié pour la Libertadores pour sa deuxième saison, le Vélez d’Heinze a su continuer à grandir et rayonner toujours plus. Si beaucoup disent que l’œuvre n’a pas été pas achevée en l’absence de trophée(s) – on notera ici une certaine vision bien restrictive d’un projet moyen/long terme et occultant le point de départ de celui-ci -, sa victoire aura été de construire une équipe à la fluidité remarquable, devenue un concurrent sérieux au titre à court terme. Avec la mentalité et le jeu de son coach, Vélez est devenu un club très compétitif. Avec son sens tactique et sa discipline dans le travail, l’effort, l’organisation, Vélez est devenu une équipe tranchante, éclatante, agaçante.
S’il a ainsi métamorphosé Vélez, c’est car Gabriel Heinze semble être un formateur égaré au haut niveau. Le Fortin est le cas le plus emblématique mais ses équipes ont toutes été attachées à ces choses, ces « détails » qui les font offrir un rendu supérieur aux possibilités originelles. Quel que soit le niveau de ses joueurs. Eux qui réalisaient des prouesses d’harmonie collective empruntées aux moments avec ballon ou sans et reposant sur une conscience très forte de tous sur leurs rôles ainsi que ceux de leurs partenaires. Considérant de plus qu’ils n’ont pas grandi ensemble, tous formés à un ADN similaire, cela force le respect. Qu’on trouve cela logique ou non, c’est l’émanation naturelle et passionnante d’un homme qui sait discourir brillamment de football. Simplement ce profil d’homme dont la très grande partie des collègues entraîneurs laissent interroger la question de leur influence, mais qui pour lui, ne fait aucun doute.
La nouvelle voie ?
Tandis que l’arrivée d’Albert Capellas à la tête de la sélection U21 du Danemark pouvait se résumer à l’importation des préceptes du jeu de position « à la barcelonaise » en terre natale de la culture viking (lire Jeu et idées du Danemark U21 d’Albert Capellas), le jeu produit par Vélez et les équipes d’Heinze discutait des points sacro-saints du jeu de position démocratisés depuis par Cruyff et Guardiola.
Comme celles de l’Ajax d’Erik ten Hag, du Bayer Leverkusen de Peter Bosz ou de l’Atalanta de Gian Piero Gasperini toujours en scènes, la manière d’attaquer du Vélez d’Heinze représentaient une évolution. Bien que différentes sur plusieurs points en fonction des profils offerts aux coachs et des pensées personnelles de ces derniers, elles sont de manière globale plus aventureuses. À des niveaux de mesures variables, l’attaque, entre les permutations et positions ressemble à un chaos organisé. Dans leurs projets de jeu, la progression naît de plus d’appels, plus de profondeur, plus de percussion, plus de verticalité, plus de centres. À la Van Gaal, à la Bielsa.
Pas étonnant d’ailleurs de retrouver du marquage individuel et le très haut rythme au centre de l’approche de Gabriel Heinze quand on sait que le technicien de l’Ajax 1995 est le référent « étranger » de Bielsa, duquel Heinze s’inspire. Pas étonnant non plus de voir que ce sont également les partis-pris tactique – à leurs façons – par Erik ten Hag, Peter Bosz ou Gian Piero Gasperini.
En décembre 2017, à Alilou Issa de Goaltime, Martí Perarnau alléguait le « jeu de position » comme une « suite de ce processus de jeu total qui tente d’attaquer et de défendre tous ensemble et tout le temps » qui a débuté « avec la Máquina (de River) en Argentine » puis à travers les années avec « Le Millonarios Futbol Club (période Di Stéfano), la Hongrie de Puskás, le Real de Di Stéfano, le Santos de Pelé, l’Ajax et la Hollande de Cruijff. Et aussi d’une manière peut-être un peu différente le Milan de Sacchi, le Barça de Cruijff et le Barça de Pep. » Aujourd’hui, à la fin de la décennie 2010, à l’aurore de 2021, ce « processus » est marqué par l’émergence d’un énième phénomène.
Il est la troisième partie dans un football qui prend la forme d’une structure dialectique. Après des années marquées la thèse du grand Barça de Pep, et les arguments (antithèse) qui lui ont été opposés, il est désormais bien plus riche. Il reprend la vision du Bayern de Pep mais va plus loin sur plusieurs codes. Il est fait d’intensification totale. En clair, il est un hybride du jeu de deux équipes qui ont réalisé l’un des plus remarquables matchs de l’histoire de la Liga, l’Athletic Bilbao-Barcelone (2-2) de novembre 2011. Ou comme l’écrivait Dan Perez sur l’Ajax d’Erik ten Hag dans L’Équipe : « Le fils improbable qu’aurait eu le Cruyff entraîneur avec le Cruyff joueur ». On comprend pourquoi, en 2017, Juanma Lillo qualifiait Heinze « d’entraîneur du futur en Argentine ».
« Il a un futur incroyable »
Lié à de grandes équipes de l’histoire par sa conception globale du football, « le Vélez d’Heinze » porte aussi cette désignation explicite qui fait comprendre deux choses. D’abord, à quel point Gabriel Heinze a façonné son équipe de principes stricts qui le caractérise. Mais aussi la grandeur de son équipe qui a empreint le jeu en Argentine. Si elle n’a pas écrit l’histoire avec des trophées, les performances du Fortin ont trouvé une résonance spectaculaire chez joueurs, entraîneurs et observateurs de tout bord.
Juan Pablo Voivoda, ex-entraîneur de Club Atlético Huracán soufflait : « J’aime voir jouer le Vélez d’Heinze ». Hernán Crespo, ex-entraîneur de Banfield, aujourd’hui à la tête de Defensa y Justicia lui, à la question « Quelles sont les équipes que vous préférez dans le football argentin ? » répondait : « J’aime Vélez pour ce que propose ‘El Gringo Heinze’. J’aime sa philosophie, les ajustements qu’il fait. On voit qu’il y a un travail derrière. À Vélez, on peut remarquer une idée définie. » Diego Forlán ex-entraîneur du Peñarol louait : « J’adore ce que propose le Vélez de Heinze ». Maximiliano Villafañe, ex-entraîneur de la Sociedad Deportiva Aucas en Équateur : « Je suis un admirateur d’Heinze. Pas seulement pour son travail à Vélez mais aussi avant à Argentinos Juniors et Godoy Cruz. » Enfin, Daniele De Rossi ex-joueur de Boca et en passe d’obtenir son diplôme d’entraîneur : « On m’a dit que son travail était intéressant. En jouant en Argentine et en regardant les matchs, j’ai réalisé qu’il était vraiment très bon. »
Et pourtant, s’il a été l’auteur d’une (r)évolution footballistique, Heinze n’a pas manqué de rappeler l’importance de l’humilité pour la performance : « Je dis toujours que la reconnaissance dépend de la part de qui elle vient. Et si c’est de la part de gens nobles du football, c’est celle que j’apprécie. Mais je ne cherche pas la reconnaissance. Je dis toujours que les éloges mènent plus aux erreurs et dans la mauvaise direction que les critiques. » Et l’importance des joueurs et du travail plutôt que les éloges personnelles : « Un entraîneur est bon grâce aux joueurs qu’il a et ce qu’ils font bien. Non pas qu’un entraîneur est bon parce qu’il est bon lui mais parce que ces joueurs le sont. Et aujourd’hui, le présent de Vélez, c’est grâce aux joueurs. »
Alors, peut-être que la meilleure récompense du travail de Gabriel Heinze, reste la reconnaissance de Diego Armando Maradona. « J’aime beaucoup ‘El Gringo Heinze’. J’adore son style, confessait Maradona. Il a un futur incroyable et j’aimerais le voir à la tête de la sélection. » Toutefois, les prophéties sont capricieuses. Et, au regard des quelques entretiens qui furent pour lui l’occasion d’exprimer son rejet de la dynamique prise par la fédération argentine et de son développement, la réponse d’Heinze au deuxième point de la parole divine semble, en ces temps, perdue d’espoirs. Après plus de neuf mois depuis sa démission de Vélez, il était temps pour ‘Gaby’ de prendre la lecture de la parole divine par le premier point et d’interpréter cette bénédiction. À Atlanta United donc. Dont Tata Martino a été le premier entraîneur de l’histoire de la franchise en Major League Soccer (MLS) en 2016 puis champion la première saison en 2018. De là où il est, Diego a tout pour être heureux.
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