Le 20 octobre dernier, Lautaro Carrachino, ancienne promesse du football argentin, tombait pour une sombre histoire de meurtre et d’usurpation de propriété. Retour sur un destin brisé parmi tant d’autres en Argentine.
Chemins non goudronnés, chiens errants, blocs de béton insalubres, carcasses de voitures d’un autre âge abandonnées, bar-tabac de quartier, bande de jeunes en bas des immeubles, cumbia et restauration de rue. Le quartier de Villegas dans la ville de Ciudad Evita, représente ce qu’on peut trouver fréquemment ici et là au quatre coins de la banlieue de Buenos Aires et plus encore dans le département de La Matanza en banlieue ouest. La Matanza c’est quasiment 2 millions et demi d’habitants, un taux de pauvreté de 40%, le plus élevé de Buenos Aires et près de 114 quartiers et bidonvilles à hauts risques selon l’ONG « techos ».
Villegas est l’un d’eux, une sorte de frère jumeau d’un point de vu architectural de Fuerte Apache, le fameux barrio d’origine de Carlos Tevez. Les deux quartiers sont d’ailleurs des Fonavi (abréviation de fondo nacional de viviendas, équivalent argentin des HLM). C’est ici qu’est né Lautaro Carrachino.
Fin octobre dernier, l’arrestation de ce jeune homme du foot faisait la Une de la rubrique fait divers de la plupart des quotidiens argentins. Mais son nom figurait également dans la rubrique sport.
Nouveau Tevez et pépite de San Lorenzo
Avant d’être recherché par la plupart des polices de Buenos Aires, Lautaro, génération 97, est surtout l’un des joyaux du centre de formation de San Lorenzo. Meilleur buteur en U13 et U15, Carrachino saute toutes les catégories. Sa précocité surprend les dirigeants du club de Boedo. Il apparaît même en deuxième position du hall of fame des meilleurs buteurs en équipe de jeunes de San Lorenzo. A 17 ans, il intègre l’équipe réserve et s’entraine régulièrement avec les pros. Les observateurs lui prédisent un bel avenir. Souvent comparé à Tevez de part son jeu mais aussi en raison de ses origines sociales, il est le plus prometteur d’une génération qui voit émerger des joueurs comme Senesi (Feyenoord), Reniero (Racing Avellaneda) ou encore Conechny (Portland Timbers) .
La route semble tracée pour lui mais les démons de Villegas vont rapidement ressurgir. Au moment d’intégrer l’équipe réserve en 2014, la police débarque brusquement à l’entrainement. Carrachino parvient à s’échapper. On ne le verra plus pendant 2 jours ni dans son quartier, ni à la pension de San Lorenzo où crèchent la plupart des jeunes du centre. Il est accusé de participation à l’homicide d’un jeune de son quartier lors d’une bagarre entre deux bandes rivales 3 ans plus tôt, alors qu’il était âgé de 14 ans au moment des faits. Lautaro sera relaxé par la justice. Dès lors, l’avenir s’assombrit pour le gamin de 17 ans. Tandis qu’il est dans les petits papiers du sélectionneur de l’équipe argentine U20, son père le sort du cocon du centre de formation. Sa condition physique se dégrade, son niveau également.
San Lorenzo réussit tout de même à remettre en selle son joyau en le faisant jouer avec les U17 et en lui mettant à disposition une cellule psychologique. Le tout pendant que son agent lui loue une maison en dehors de son quartier. Carrachino signe, logiquement, son premier contrat pro. Alors qu’on pensait que cet épisode judiciaire n’allait être qu’une embûche au travers de son chemin, son nouveau statut pro finira par avoir des effets négatifs sur son mode de vie.
Son salaire, Carrachino le dépense en chaînes en or, bouteilles en boites de nuit avec ses amis de Villegas et en drogues. Un cocktail explosif qui le privera de s’installer définitivement sur le front de l’attaque de San Lorenzo. Romeo, le directeur sportif et ex-attaquant du club, avouera plus tard au média infobae : « C’était un attaquant très intéressant, il s’entrainait avec l’équipe une, il était puissant. C’est moi qui lui ai fait signé son premier contrat pro mais après, il n’a pas progressé. Il venait d’un contexte social très vulnérable. Quand il a signé son contrat, on a travaillé avec les psys du club pour qu’il se concentre uniquement sur sa carrière. On a eu beaucoup de cas similaires. Des fois, on y arrive, d’autres fois non. Il y a un esprit rebelle, de la frustration et peu de tolérances lorsque l’objectif n’est pas atteint rapidement. Son père a pourtant tout fait pour lui. »
San Lorenzo décide finalement de le prêter à Almagro, club de Buenos Aires et pensionnaire de Nacional B, la deuxième division. L’idée était de lui permettre de grappiller du temps de jeu et de le forger au contact des rugueux défenseurs de deuxième division argentine. Mais Carrachino prend un cou
p au moral, se laisse aller et ne joue quasiment pas.
Un an plus tard, Almagro décide ne pas lever l’option d’achat. Retour à l’envoyeur pour le natif de La Matanza. Cependant lassé des problèmes extra-sportifs du joueur, avec un niveau qui ne plaide pas en sa faveur, San Lorenzo le laisse libre de tout contrat et se sépare de lui. Une situation qu’ont connu de nombreux pensionnaires des centres de formation des grands clubs argentins. Cependant la plupart ont rebondi soit dans des clubs moins prestigieux, soit dans des clubs de deuxième ou troisième division. Ce n’est pas le cas de Carrachino qui, lui, se tourne vers la délinquance.
La bande du 15 et fin de carrière
En quelques années, il passe de grande promesse du football argentin à l’un des barons de la drogue de la banlieue ouest. Lui et cinq de ses amis d’enfance contrôlent la Banda del 15, un gang ultra violent spécialisé dans la vente de stupéfiants basé à Villegas. L’année dernière, trois d’entre eux terminent en prison après une série de perquisitions dans le quartier. Lautaro et un certain « Chucky », une figure connue dans le milieu, passent à travers les mailles du filet. Les deux compères, en cavale, trouvent quand même le moyen d’élargir leurs affaires. Notamment en mettant la main sur d’autres appartements de la zone et s’en servant de bunker pour la vente de drogue. Le 27 janvier dernier, l’un des occupants d’un de ces appartements résiste. « On vous donne 5 heures pour quitter les lieux ou l’on vous tue tous », clamera Carrachino. L’homme récalcitrant sera abattu par balle quelques heures plus tard. Les témoins de l’affaire déclareront formellement que Carrachino est à l’origine des
coups de feu.
Dans le quartier tout le monde le connait, il est constamment sous les effets de la pasta base, une sorte de crack à la sauce argentine qui fait des ravages dans les quartiers pauvres de la capitale. A la suite de ce meurtre, « Chucky » finit par tomber le 1er août dernier. L’ancien joueur de San Lorenzo, lui, court toujours. Les habitants de Villegas vivent dans la peur au milieu de cette guerre entre trafiquants de drogues et l’ombre de Carrachino plane constamment après chaque fait divers de la zone dont le meurtre de deux personnes.
Avec la police à ses trousses, il se réfugie dans d’autres quartiers sensibles de La Matanza et continue de diriger la désormais fameuse Banda del 15. Il est aperçu à Villegas, la nuit tombée, lorsque la police ne patrouille pas. Jusqu’à cette fameuse journée du 20 octobre dernier. Carrachino avait cessé de fuir depuis quelques jours en voyant que les patrouilles de police se faisaient de plus en plus rares dans le quartier. Il est là, debout en plein milieu des immeubles insalubres, dans le cœur de Villegas où l’on trouve tout type de commerces de quartier lorsque passe une voiture de police. Pris de panique, Il essaie de prendre l’une de ces petites rues tangentes qui peuvent lui permettre de disparaître entre les fameux monoblocks. La police, alertée par son comportement suspect, l’arrête sur le champ lorsqu’elle se rend compte qu’elle a affaire à l’une des personnes recherchées activement depuis presque 10 mois.
Carrachino est actuellement en attente de son procès, il encoure la peine de prison à perpétuité. Son nom s’inscrit désormais dans une longue liste de promesses argentines broyées par les problèmes sociaux et économiques du pays.