Carlos Esposito, ex-arbitre international argentin, s’est confié au journaliste Gustavo Lopez dans son émission de radio « De una otro buen momento », l’une des plus écoutées d’Argentine. Il est notamment revenu sur cette histoire dont il fut protagoniste lors d’une demi-finale de Libertadores en 1989 entre l’Atlético Nacional de Medellin et le Danubio uruguayen. Stupéfiant.
« On a dit beaucoup de choses sur cette histoire, à l‘époque, même la revue El Grafico en avait parlé mais la vérité, nous ne sommes que trois personnes à la connaître. Les trois arbitres qui étaient présents dans cette chambre d’hôtel, Juan Antonio Bava, Abel Gnecco, mes deux assistants et moi-même. Ça a commencé quand nous sommes arrivés à l’aéroport de Medellin. Les arbitres colombiens qui nous ont accueilli, nous avaient déjà vendu. A notre arrivée , nous sommes montés dans le véhicule de l’un d’eux. Je ne vous donnerai pas les noms pour une question d’étique et on connaissait aussi le contexte dans lequel ils se trouvaient. Pendant le trajet reliant l’aéroport à notre hôtel, ils nous ont baladé dans toute la ville et ces hauteurs. « C’est ici qu’ils ont tué un arbitre », « Ici, ils ont jeté un arbitre de touche dans le vide », nous disaient-ils.
Ils voulaient nous faire peur d’une certaine manière. On est ensuite arrivés à l’hôtel. Nous, les Argentins, on n’avait pas l’habitude de quitter notre chambre d’hôtel la veille d’un match international. Ce soir-là, on nous invite à un repas et nous déclinons tous les trois l’invitation. On décide donc de dîner à l’hôtel et en payant, je demande à la serveuse de me ramener une grande bouteille d’eau dans ma chambre car à cette époque, l’eau du robinet n’était pas potable à Medellin.
J’étais dans une chambre avec Bava, et Gnecco était dans la chambre d’à côté. On frappe à la porte, je me lève et vois la serveuse avec une petite bouteille d’eau, je lui dis alors : « Non ma fille, il m’en faut une grande, c’est possible ? ». « Oui pas de souci, je vous ramène ça ». 5 minutes plus tard, on frappe de nouveau à la porte et je dis à Bava d’aller ouvrir. On pousse la porte de manière violente, Bava tombe par terre et quatre types drogués rentrent dans la chambre armés de mitraillette avec notre collègue Gnecco qui a un 9 mm sur la tempe. Ils ont commencé à détruire tous les téléphones et câbles dans la chambre. Un dernier homme fait son apparition, c’était le fameux Popeye, l’un des hommes de main de Pablo Escobar. Il rentre dans la chambre, bien habillé, costume cravate, avec une valise dans la main. Il l’ouvre et nous dit de manière très simple : « Messieurs, ici, vous avez 250 000 dollars. C’est à vous. Soyez sans crainte, de Medellin, vous allez pouvoir repartir sans souci. »
On s’est regardé les trois, j’ai tout de suite compris ce que pensaient mes collègues et j’ai pris la parole : « Tu vois, nous ici, on est là pour travailler, comme il se doit ». Popeye nous a alors répondu : « OK, pas de souci mais écoutez-moi bien : votre vie, ici, ne vaut rien. Et à Buenos Aires, votre vie peut peut-être valoir 1 000 dollars chacun. » Les gars ont récupéré la valise et sont partis. « Maintenant, on fait quoi ? » On ne savait pas quoi faire. Alors, moi, naïf, j’ai proposé à mes deux collègues de faire nos valises, prendre un taxi, dormir dans l’aéroport et prendre le premier vol pour Bogota le lendemain.
Gnecco avait déjà arbitré en Colombie et on avait tiré sur la porte de sa chambre d’hôtel. Il me dit : « écoute espèce de couillon, nous, d’ici, on ne peut pas bouger ! Regarde par la fenêtre ». Je regarde par la fenêtre et vois cinq mecs en face qui ne bougeaient pas. Je propose alors d’appeler Julio Grondona, le président de la fédération argentine. « Mais tu ne comprends rien ! Ici, tout le monde est de mèche et corrompu. On ne peut rien faire », me répond Abel Gnecco. On n’a pas dormi de la nuit. Baba et moi, ça faisait 6 mois qu’on avait arrêté de fumer, ce soir-là, on a fumé toute la nuit. Le lendemain matin, un arbitre colombien, du nom de Sierra, vient nous voir pour soit-disant valider un permis de travail pour le match du soir. Comment ça, valider un permis de travail ? J’étais là 15 jours plus tôt pour arbitrer un clasico de Medellin et on ne m’a rien demandé ! Apparemment, c’est tout nouveau.
On sort dans les rues de Medellin, bondées de supporters de l’Atletico Nacional. Quand on arrive à l’endroit, il n’y avait personne. « Espèce de fils de p…, tu nous sors de l’hôtel exprès ». Le travail d’intimidation continuait. Je comprends que ce n’était pas de sa faute, tu avais des familles entières d’arbitre qui vivaient dans la peur. On a attendu dans ce lieu jusqu’à l’heure du match. On prépare nos sacs et là on se concerte : « Bon messieurs, on fait quoi ? ». « On fait ce qu’on a toujours fait. Arbitrer comme il se doit. On peut se tromper dans nos décisions mais on ne peut pas se tromper sur notre éthique ».
J’ai ensuite demandé à Bava de changer nos billets d’avion, de quitter au plus vite Medellin pour Bogota après le match sinon on était foutus. On se rend ensuite au stade, ils nous laissent environ à 300 mètres de la porte d’entrée pour qu’on puisse marcher au milieu des supporters de Nacional. Intimidation toujours. On arrive dans les vestiaires et Sierra, le Colombien, vient nous voir avec une Vierge Marie comme s’il s’agissait de nos sépultures. Je demande à voir le chef de la police en charge du match. « Ecoutez, nous, on doit quitter rapidement le stade en direction de l’aéroport après le match ». Il me répond : « C’est simple : Si Nacional gagne, on ne pourra pas sortir d’ici. Les gens feront la fête dans les rues, impossible de rejoindre l’aéroport. »
Avant le match, mon assistant me dit : « Si ces Colombiens ne gagnent pas à 2 minutes de la fin du match, je rentre moi-même et je marque pour eux ! Sinon on est morts ! » Le match commence et les Uruguayens n’arrêtaient pas d’attaquer. Si tu regardes les vidéos, je ressemble à un zombie ! Je n’avais pas dormi, ni mangé. Au bout de 25 minutes, 2-0 pour l’Atlético Nacional. Le match se finit 6-0 pour Medellin. Est ce qu’on a vu Escobar ce jour-là ? Non, on nous avait dit qu’il était dans les tribunes, déguisé. A la fin du match, il y a eu 11 morts à cause des célébrations. Les mecs sortaient sur leur balcon et faisaient des tirs en l’air. Le chef de la police débarque après le match et nous dit que c’est impossible de sortir du stade. On a quand même réussi à rejoindre grâce à lui un hôtel qui se situait à côté de l’aéroport. Il nous a assuré protection toute la nuit dans cet hôtel et nous a ensuite escorté jusqu’à l’intérieur de l’aéroport.
J’ai appris 15 jours plus tard, que ce chef de la police avait été assassiné par des tueurs à gage d’Escobar. Au retour pour Buenos Aires, on était dans le même avion que les joueurs de Danubio qui, eux, allaient rejoindre Montevideo via Buenos Aires. Je vais voir le président de Danubio qui me dit : « Alors Carlos, c’était chaud pour vous, non ? ». « Tu te fous de moi ou quoi ? », je lui réponds. « Non mais sois tranquille, c‘était chaud aussi pour nous ». Les Uruguayens ont vécu la même chose que nous. Quand on est arrivés à Buenos Aires, on s’est jurés de ne rien dire sur cet épisode mais l’un de nous a parlé. On s’est ensuite réunis avec Grondona, aussi parrain de la Conmebol, pour que cela ne reproduise plus pour n’importe quel arbitre international en Colombie »
Quelques jours plus tard, l’Atlético Nacional de Medellin sera sacré champion d’Amérique du Sud en remportant la Libertadores …