« Bielsa est mon père footballistique. » À 41 ans, Gabriel Heinze est à l’aurore de sa carrière d’entraîneur, même s’il a déjà connu trois clubs (Godoy Cruz pour dix matchs en 2015, Argentinos Juniors de 2016 à 2017 et Vélez Sarsfield depuis 2017) en cinq ans. À l’image de Marcelo Bielsa, chez Heinze, le refus de transiger au point d’être qualifié de « sergent » par Diario Cronica, un journal local argentin, est le fil rouge de sa philosophie. Mais ce n’est pas tout.
Rigueur et jeu protagoniste
En Argentine, Heinze n’a pas encore conquis – comme a pu le faire Marcelo Gallardo avec son River Plate – mais a déjà surpris, avec son Argentinos Juniors, et séduit, avec son Vélez. Depuis cinq ans, son empreinte s’incruste. D’abord sur les terrains d’entraînement. En juillet 2017, La Nacion publiait un article intitulé « La révolution Heinze » et expliquait les « secrets » de ses méthodes rigoureuses au sein d’Argentinos Juniors : analyse vidéo poussée, méthodes de récupération nouvelles, responsabilisation des joueurs, diététique davantage surveillée, amélioration de la qualité des terrains et méthodes d’entraînement différentes. Le journaliste Lucas Vitantonio de La Capital souligne : « Chaque entraînement est un véritable laboratoire tactique dans lequel il inculque avec la passion et la persévérance d’un scientifique chacun de ses schémas tactiques. » Un scientifique dont l’Aristote est né un 21 juillet 1955 à Rosario.
Puis dans les stades au moyen d’un « football qui prêche le jeu offensif, le protagonisme » écrit Damián Giovino, auteur du livre ‘El Legado de Bielsa’ paru en octobre 2018, en pensant au jeu résolument vertigineux de Vélez construit de transitions verticales, pressing constant, sorties de balle depuis le gardien et qui fait écho au football proactif de Marcelo Bielsa : « Je suis obsédé par l’attaque. Je regarde des vidéos pour attaquer, pas pour défendre ».
Manière et principes
« Heinze encourage le football bien exécuté comme manifestation de la beauté et du plaisir pour le spectateur », poursuit Damián Giovino. Un discours que Bielsa portait lors d’une conférence organisée en Belgique en 2017 : « Pour moi, il faudrait châtier celui qui sacrifie la manière et la beauté du jeu. Les plus pauvres ont seulement le football pour se divertir, et ça me coûte de dire qu’on aurait seulement des résultats à leur offrir » et qui peut se concentrer en sa maxime : « Dans la relation au public, nous avons des devoirs, pas des droits. »
Romain Laplanche, spécialiste du personnage et membre éminent de la rédaction de La Grinta,, écrivait dans son ouvrage Le mystère Bielsa en août 2017 que « le ‘Bielsisme’ est devenu une école ». Une école faite de principes et de préceptes de vie dont les techniciens Eduardo Berizzo et Jorge Sampaoli sont également des élèves. Mais les écoliers n’assimilent pas toujours les mêmes choses. Et alors que l’image du second, dont les biceps sont moulés par des polos trop petits, chargeant le quatrième arbitre se dessine dans notre esprit, Gabriel Heinze épouse totalement la réflexion de Bielsa sur cet autre point du jeu : le corps arbitral. Lorsque le maître pense : « N’importe quelle réaction exagérée d’un joueur face à une injustice n’améliore pas ses possibilités mais au contraire, cela l’empire. Et cela rend le climat plus délétère dans lequel nous travaillons. Il faut assumer les décisions de l’arbitre et non se rebeller contre elles », l’aspirant exprime : « S’ils (les arbitres) se trompent, que vais-je faire ? Leur mettre la pression ? C’est idiot. Je ferais mieux d’aider l’un de mes joueurs à avoir une autre chance de marquer. »
Newell’s Old Boys
En 2012, Gabriel Heinze écoute son cœur qui lui crie l’ambition de terminer en beauté. Après une carrière exceptionnelle en Europe qui l’a vu passer entre les mains des Vicente Cantatore, Alex Ferguson, Luis Fernandez, Juande Ramos, Didier Deschamps et Luis Enrique ou encore stopper les Cristiano Ronaldo, Wayne Rooney, Raúl, Guti et Robben à l’entraînement, Heinze revient où il a commencé sa carrière de joueur seize ans auparavant. Un an plus tard, en juin 2013, il inscrit son premier but sous le maillot des Rojinegros peu avant que son équipe soit sacrée championne d’Argentine pour la sixième fois de son histoire. El Gringo est comblé. Une évidence pour un fidèle des Newell’s Old Boys, comme Bielsa. « L’un est la plus grande idole du club, celui qui porte le nom du stade et l’autre est très aimé de tous pour avoir été formé au club et pour être revenu, dans un geste d’amour et de fidélité », transcrit Damián Giovino.
Parce que la carrière d’Heinze c’est avant tout beaucoup de bruit sur le terrain, on pourrait être surpris par le silence manifeste dont l’Argentin fait preuve depuis ses débuts à Godoy Cruz au-delà des conférences de presse. Giovino, a dû accepter le refus de participer de l’ancien défenseur à son ouvrage où l’on retrouve quarante-cinq interviews racontant l’empreinte de Bielsa. Sauf son disciple le plus naturel donc. Et le raconte ainsi : « Heinze ne parle pas individuellement avec la presse. Il est très réticent au journalisme. Il a ses raisons : il a l’impression que les journalistes cherchent seulement à polémiquer et à parler de sujets frivoles, pas de football. Pour lui, très peu de journalistes sont vraiment formés, et s’ils le sont, ils poursuivent d’autres intérêts pour remplir les pages ou les programmes et ainsi, vendre. » Dans la pure branche de l’actuel entraîneur de Leeds : « Au Chili, un jour je suis allé à l’entraînement sans une prothèse dentaire, ce qui faisait qu’il me manquait une dent. Le lendemain, tous les médias ont commenté l’entraînement en fonction de ma bouche, et n’ont pas fait un commentaire sur le jeu ». En fin de compte, la seule fois que Gabriel Heinze s’est exprimé individuellement à la presse, c’était en 2016 au quotidien La Nacion pour évoquer la complexité du métier d’entraîneur et en particulier réprimander la réalité du football argentin.
Amour fou
Toujours dans son livre ‘El Legado de Bielsa’, Damián Giovino analyse : « Les plus grands points communs entre les deux, existent selon moi, hors du terrain. Gabriel est un passionné de ce sport. Il respire et vit pour le football. ‘Obsessionnel’, ‘fou’, vous pouvez l’appeler comme vous voulez, mais la définition la plus juste est qu’il est un amoureux passionné de ce jeu. Il ne laisse aucun détail au hasard et se consacre à son métier 24 heures sur 24. Tout comme il l’a fait pendant sa carrière de joueur, il ne conçoit pas de s’engager sans se donner au maximum pour atteindre l’objectif fixé. Il peut passer des heures, des heures et des heures enfermés devant son ordinateur ou sa télévision à regarder plusieurs fois un match de son équipe, analyser les rivaux, planifier des entraînements. Il n’est pas nécessaire de préciser de qui prend-il cette forme si passionnée d’exercer le poste. ». Si ?