Engagé en 16èmes de finale de la Ligue Europa et en tête de Liga Nos au crépuscule de la quatorzième journée, Benfica avait pourtant connu un début de championnat préoccupant. Petit à petit, Bruno Lage a transformé son équipe, jusqu’à aboutir à la bonne formule.
Rupture d’été
En combinant audace et déplacements synchronisés, le Benfica de Bruno Lage a offert en deuxième partie de saison dernière un jeu sublime d’harmonie. Au-delà du nombre ahurissant de buts marqués (72 en 19 matchs de championnat), si la flamboyance offensive de Benfica impressionnait, la stabilité de sa phase défensive méritait autant d’émois. Disposé en 4-4-2 médian, l’équipe réduisait admirablement bien les espaces entre les lignes et affichait une belle solidité.
Alors que les cinq premiers mois de l’année civile ont quasiment tout eu du conte de fée, à l’aube de la saison 2019-2020, Benfica a enduré certains maux dans sa façon de jouer. Pas dans les deux surfaces où d’un côté des individualités comme Ferro excellaient dans le reflet des principes de son entraîneur entre rigueur et qualité technique, ainsi qu’à l’opposé où les attaquants frappaient fort proche du but. Non, plutôt dans son animation offensive.
À quoi ou à qui attribuer cette fragilité de l’expression collective dans la phase avec ballon benfiquista ? Principalement à l’absence évidente de relais entre les deux lignes avancées du 4-4-2 et le manque de variété. Orphelin de João Félix, le centre névralgique de son jeu l’an passé, parti à l’Atlético Madrid cet été et de la blessure de Chiquinho – recruté pour remplacer le premier – à l’adducteur dès le mois d’août, Bruno Lage a tout expérimenté dans l’intérieur du jeu pour faire évoluer son dispositif dont il est un grand adepte. Au milieu, la totalité des paires possibles avec Gabriel, Florentino Luis, Gedson Fernandes, Fejsa, Samaris et Taarabt ont été tentées. Et en attaque, Haris Seferović a été associé avec l’autosuffisant Raúl de Tomás, le meneur de jeu total à l’ancienne Adel Taarabt, l’ailier de débordement Jota et le milieu « box-to-box » Gedson Fernandes.
Seulement, cohérents sur le papier pour certains, ces ajustements réalisés de septembre à novembre n’ont pas fonctionné pour cause du manque d’un joueur d’association, la condition essentielle. Résultat : si, sous la main de Bruno Lage, Benfica fabrique très souvent ses attaques dans le cœur du jeu, c’est surtout sur les ailes que son animation offensive s’enclenchait. Le circuit le plus fréquent ? Ferro pour Grimaldo puis une passe diagonale vers l’avant dans la profondeur. Aussi simple qu’efficace. Mais aussi un défaut de variété des situations créées que le démarrage très fort sur le plan comptable (21 points en 8 journées) en championnat masquait, jusqu’à que les productions sur les terrains de Ligue des champions réverbère intégralement. Au Groupama Stadium et la Gazprom Arena, les Encarnados ont souffert sur des séquences qu’ils avaient pris l’habitude de maîtriser et concédés un bon nombre de pertes de balles exploitables pour les adversaires (défaite 3-1 au Zénit et à Lyon trois semaines plus tard).
Taarabt compositeur du jeu, Chiquinho ingénieur
Néanmoins, dans ce contexte, le retour de blessure de Chiquinho a été précieux. Benfica a retrouvé sa forme de la fin de saison passée, sa meilleure période sous les ordres de Bruno Lage, avec l’ancien joueur de Moreirense et l’évolution de Taarabt impensable il y a plusieurs années. Et si, le match nul concédé à Leipzig dans les derniers instants (buts de Forsberg à la 90e et 95e) se révélera préjudiciable en vue d’une éventuelle qualification en huitième de finale de Ligue des champions, cette rencontre de Benfica à la Red Bull Arena a fait surgir l’éveil tactique du club lisboète. Et validé la recherche en continu de Bruno Lage, aboutissant à la bonne formule.
Depuis, Benfica est transformé. Dans son système de jeu, l’entraîneur portugais à re-situé Adel Taarabt au cœur du jeu, faisant du Marocain l’indispensable meneur de jeu de son équipe. Au côté de Gabriel, l’ancien joueur de Leganés, essentiel à l’équilibre du jeu et qui arrive parfois à faire des différences offensives par son habile pied gauche, c’est Taarabt qui se charge de la première relance et donne le tempo, occasionnellement dans la gestion, souvent dans l’accélération. Et qui a droit aux chants « Oh Taarabt, oh Taarabt, sors la nuit ce ne sont que des femmes (en lien avec ses sorties nocturnes au moment de son arrivée en 2015, ce qui avait agacé Luís Filipe Vieira, président du SLB) avec le pied gauche ou droit, tu mets la balle où tu veux, oh Taarabt, oh Taarabt… »
Et qu’on ne s’y trompe pourtant pas. Si Taarabt brille au milieu et ne cesse de prendre du poids dans le système de Benfica, il le doit aussi à son activité sans ballon : il court beaucoup, déploie l’entièreté de son volume de jeu, lance une féroce chasse à l’homme dans sa zone et gratte d’innombrables ballons. En gros, le milieu de terrain le plus inventif est devenu aussi celui qui récupère le plus de ballon. Dans le livre « O Efeito Lage » sorti au Portugal en octobre 2019 chez l’éditeur Prime Books, le technicien Bruno Lage détaille : « Donner des minutes à Adel c’était comme fuir la politique du club. Ça n’avait aucun sens. Mais j’ai toujours vu depuis le premier jour un mec qui s’entraine très bien et à l’intensité que je réclame. Et dans la vie, nous devons donner des opportunités. »
Au sein d’une formation Benfiquista remplie de milieux, l’ancien de Tottenham apporte autre chose : une qualité de passe au cœur du jeu et des gestes de classe tout en étant capable d’assumer le volume de jeu demandé. Fejsa et Samaris affichent de nombreuses limites dans l’utilisaton du ballon. Florentino Luís et Gedson Fernandes, deux jeunes du centre de formation, sont des joyaux mais des profils hybrides dotés d’un jeu sans ballon épatant et explosifs en transition, qui devront progresser sur attaque placée. Pas déconnant de voir le second sur la petite liste d’Antonio Conte pour remplacer un Barella blessé. Avec des partenaires qui jouent très haut et obligent l’adversaire à se replier, Taarabt bénéficie d’énormes libertés et se trouve rarement marqué individuellement. Dans les cas de pressing adverses, il exhibe ses qualités techniques dont sa résistance à la pression pour éliminer un adversaire sur sa prise de balle ou pour conserver le ballon face à plusieurs joueurs. Sa qualité de passe et sa capacité à masquer ses intentions lui permettent de toucher ses partenaires derrière la ligne de milieux adverse. Là où glisse Chiquinho.
Titulaire à Leipzig en pointe de l’attaque, Chiquinho accompagnait le brésilien Carlos Vinícius en pointe de l’attaque dans une association des plus classiques : le petit, vif, tournant autour du costaud, point d’appui pour le reste de son équipe. Mais qui s’est révélée furieusement performante ce soir-là et depuis. Libre d’action, le premier fait parler son intelligence de jeu alors que le second fait preuve de finesse en pivot et dévore les espaces, avec en point d’orgue le premier but inscrit dans ce match par Pizzi après l’exécution du duo (1-0, 20ème).
Maître du jeu entre les lignes, il se conjugue parfaitement avec Taarabt, qui recherche inlassablement à y toucher un partenaire. « Viens entre les lignes, je te trouverai », commentait Taarabt à Chiquinho sur Instagram il y a quelques jours, qualifiant le Portugais de « crack ». De sa position d’électron libre derrière l’attaquant, il impressionne par ses habilités motrices- à vrai dire sa manière de se positionner, se retourner, changer de direction – et la qualité de sa première touche -. Dans le dernier tiers du jeu, tout cela couplé à sa justesse technique et une complémentarité évidente avec Vinícius, enrichit le jeu de Benfica. À l’Estádio da Luz samedi dernier face à Famalicão (4-0), il a offert un récital.
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L’association entre un avant-centre et un neuf et demi très proche du 10 qui n’hésite pas à se rapprocher du côté gauche composé de Grimaldo et Cervi (et de Taarabt positionné à gauche du double pivot), côté où le jeu de Benfica penche, attire aussi l’attention des adversaires, à raison, et libère des espaces à l’opposé pour leurs partenaires. Exploités essentiellement par Pizzi, un grand examinateur d’espaces. Il les cherche, les anticipe et les trouve. Auteur de huit buts et treize passes décisives entre janvier et mai, période João Félix, puis sept buts et sept passes décisives de novembre à mi-décembre, période Chiquinho. Tout sauf un hasard.
Il était écrit que Chiquinho allait devenir un brillant milieu offensif. Après des saisons convaincantes à l’Académica Coimbra et Moreirense, le joueur de 24 ans donnait le sentiment que l’évolution de Benfica post-João Félix passerait par ses pieds. Et ceux qui répondront qu’il s’agit d’un heureux accident seront des menteurs. Car si une belle frappe de balle et quelques jolis gestes peuvent conduire à l’illusion, un joueur qui joue juste et sait faire jouer les autres laisse la plupart du temps peu de place aux doutes.
Finalement, le renouvellement de Benfica a été écrit en partie par les pieds de Taarabt et Chiquinho, joueurs dont aucun autre ne peut répliquer le style dans l’effectif de Bruno Lage. La question alors, en cas de moindre blessure qui bouleverserait les plans du technicien, sera de savoir comment sortir de la dépendance de leurs performances. La rumeur Julian Weigl appuyée récemment serait une alternative cohérente qui boucherait les trous de l’effectif derrière Taarabt dans le domaine de régulateur de jeu, le volume athlétique en moins. En attendant, Bruno Lage a résolu les inconnues et retrouvé la formule qui transforme son équipe en machine de guerre. Ça tombe bien, la seconde partie de saison et son lot de batailles à enjeux, arrivent.