Dans cette nouvelle rubrique intitulée « Ils se détestent », La Grinta va tenter de vous faire découvrir les plus grandes rivalités qui font le monde du football. Qu’elles soient entre supporteurs, sur le plan sportif ou encore sur le plan politique, nous sélectionnerons chaque week-end un match afin de vous faire découvrir des oppositions qui ne s’arrêtent pas à un simple match de ballon. Cette semaine, nous avons choisi le choc de Serie B (D2 italienne) entre le troisième, le Hellas Vérone et le deuxième Livourne. Ça tombe bien, car en plus d’être un match particulier pour les deux clubs et leurs tifosi, il s’avère que cette partie est également primordiale pour l’accession en Serie A… Récit…
Hellas Verona, le souvenir du passé
Brigate Gialloblù. Un nom n’ayant certes plus de résonance officielle, mais irrémédiablement accolé à la ville de Vérone et à son club phare depuis 71. Au Hellas plus qu’ailleurs, politique et football se sont toujours étroitement mêlés. Dans une Italie en pleine crise politique et en proie à une violence lancinante, l’apparition de ce groupe devenu légendaire aura, des années durant, cristallisée l’ensemble des reproches dont fut affublé le phénomène ultra italien. Simple prolongement de la vie quotidienne, le stade va rapidement s’imposer pour la jeunesse, comme un espace supplémentaire où affirmer sa personnalité et poursuivre, en somme ses combats quotidiens. Aussi, si les premières curve transalpines sont à leurs débuts davantage orientées à gauche, le cas véronais va se distinguer de la masse par ses accointances avec l’extrême droite. Cette radicalisation ne se généralisera qu’une vingtaine d’années plus tard dans les autres stades de la Botte. Depuis le début des 70’s, Vérone peine ainsi, et ce bien des années après la disparition des Brigate, à se défaire de cette image de ville raciste, héritage d’un passé tumultueux devenu très consistant par la force des médias notamment. Les croix celtiques et autres symboliques racistes ont depuis plusieurs années disparues des tribunes jaunes et bleues, mais cette atmosphère particulière subsiste, à moindre mesure, résultante d’une nette prédominance de jeunes gens d’orientation néo-fasciste au sein de la Curva Sud du Bentegodi. Avec la dissolution du groupe ultra local en 91 à cause de la répression et des poursuites judiciaires en cours contre les leaders véronais, les ex-brigadistes furent les premiers en Italie à importer le modèle anglais de supportérisme façon kop, moins organisé, plus individuel et imprévisible aussi dans sa démonstration partisane. Si les groupements de supporters sont maintenant plus informels et ne s’affichent plus comme par le passé – une multitude d’étendards et de drapeaux garnissent désormais la tribune –, l’esprit et la philosophie originelle demeurent.
Livorno, berceau du communisme
Livorno, petit port de Toscane où naquit le Parti Communiste Italien en 1921, marqué au fer rouge de l’histoire et de la crise économique. Historiquement tous les ingrédients sont présents pour que les deux villes et les deux clubs s’opposent. La Brigate Autonome Livornesi, plus connu sous la dénomination BAL, un nom qui tout comme son homologue veronista n’a plus aucune résonance officielle, mais qui reste affilié à la ville et à son club. Ce groupe de supporteurs voit le jour en 1999 suite à une fusion des anciens groupes ultras, Magenta, Fedayn, Sbandati et Gruppo Autonomo. 99 c’est aussi le numéro que portait Cristiano Lucarelli pour leur rendre hommage. Lucarelli, c’est l’attaquant vedette qui a fait retrouver la Serie A à Livourne en 2004 après 55 ans de purgatoire. Cet homme atypique qui jouait au football et qui pensait en même temps… Adulé et éternellement accolé à Livorno après avoir refusé un milliard de lires de la part du Torino, préférant rejoindre le club de son coeur alors en Serie B. Il avait même été jusqu’à éditer un livre « Tenetevi il milliardo » (gardez-le votre milliard). Lucarelli restera à jamais – à l’image de Livorno où là aussi politique et football se sont toujours mêlés -, un joueur qui n’a jamais eu peur d’afficher ses convictions, comme celle que l’argent ne fait pas forcément le bonheur. La BAL se caractérise vite par une idéologie d’extrême gauche. Elle sera à l’origine de l’initiative « Fronte di resistenza ultras » (Front de résistance ultras) qui comprenait les groupes ultras des clubs de Ternana, Ancona, Casertana, Savona et Cosenza. Ce front a pour but d’enrayer l’idéologie d’extrême droite au sein des curve italiennes. Dans cette Curva Nord, les tifosi livornesi mettent en avant leur foi pour leur club et leur idéologie. Il n’est ainsi pas rare de voir des drapeaux du Che Guevara, de l’URSS ou encore de la Palestine flotter dans le stade Armando Picchi, tout cela accompagné de chants révolutionnaires mythiques tels que « La Bandiera Rossa » ou encore « Bella Ciao« . De même, les livornesi se démarquent fréquemment via des actions fortes. Ce fut encore le cas récemment avec l’organisation d’une quête au stade, visant à collecter une somme d’argent afin d’acheter plusieurs défibrillateurs à des clubs de la région n’en ayant pas les moyens. A l’heure où l’Italie traverse une grave crise politique ce match s’annonce donc encore plus bouillant que prévu. « Nous allons brûler la ville toute entière » avaient déclaré les ultras de Vérone lors du match aller, des mots qui résonnent encore dans toutes les têtes avant cette manche retour. Toujours lors du match aller, cette rivalité entre les deux clubs a pris une nouvelle tournure lorsque des chants insultants Morosini – joueur de Livorno décédé d’un arrêt cardiaque l’an dernier – se sont élevés du settore ospiti véronais.
Une place pour deux en Serie A
Alors évidemment, un match Hellas-Livorno, c’est un peu la confrontation de deux mondes que tout oppose. L’extrême gauche face à l’extrême droite, le Che pour idole, le drapeau national de l’autre. Depuis toujours, les matchs entre les deux clubs symbolisent une dualité entre deux micros-sociétés que tout distingue, mais également une lutte entre deux des curve les plus impressionnantes d’Italie, vocalement et visuellement. Ajoutez à ça une réelle opposition sportive cette saison et vous obtenez un match explosif. Le Hellas flirte depuis plusieurs années maintenant avec la Serie A tandis que Livorno retrouve son réel niveau après avoir été au fond du gouffre. L’an dernier, les gialloblù n’ont déposé les armes qu’en demi-finale des play-off sde Serie B face à Varese après une excellente saison régulière. De son côté le club « Amaranto » avait lui terminé 17ème lors de ce même exercice. Cette année, surfant sur cette continuité et un groupe extrêmement solide, Verona 3ème, lutte avec Livorno 2ème – qui a su remonter la pente avec un recrutement intelligent -, pour s’assurer cette seconde place permettant l’accession directe parmi l’élite du football italien (les deux équipes ne sont séparées que par deux points). La première place semble, elle, inaccessible pour les adversaires d’un soir, Sassuolo solide leader, comptant actuellement neuf points d’avance sur Livorno. Nul doute que la partie de demain nous offrira un spectacle de choix. Livorno, Hellas Verona, deux clubs légendaires de par leur histoire respective, symbole de la richesse et de la passion générée par le calcio, ce bien au-delà du stade.
Par Thibaut V. et Bastien P.