Après vingt-quatre journées de championnat, le Levante de Paco López est treizième de Liga à huit points de Getafe, cinquième. Mais au-delà du classement, son équipe a la sixième meilleure attaque d’Espagne. Et le plus grand succès de l’entraîneur espagnol est d’avoir transformé l’équipe à son image, avec une personnalité bien définie. Depuis son arrivée, Levante tente de nouvelles expériences, impressionne par son style et pourrait parachever son ascension avec une place européenne en mai. Avant la réception dimanche soir du Real Madrid de Santiago Solari, anatomie de jeu des Granotes.
Idée : « Ce qui n’a pas de limite, c’est l’envie, le désir et la passion »
Parce que pour les esthètes, un tel match est une nouvelle étape dans la construction d’une identité de jeu, ce match est crucial pour Levante et Paco López. Un genre de grand match que le technicien espagnol a pris l’habitude d’imprégner de son jeu. Le 13 mai 2018 lors de la 37e journée de Liga, alors que Paco López et son 4-4-2 restaient sur sept victoires lors de ses neuf premiers matchs, ils accueillaient à la Ciutat de València le Barça d’Ernesto Valverde, invaincu depuis 43 matches de championnat.
Quelques heures plus tard, après la victoire de Levante (5-4), le technicien catalan s’inclinait en conférence de presse : « Ils sont actuellement en forme, ils sont très rapides en contre-attaque et c’était certainement un match surprenant. Mais c’est étrange car soyons clairs, ce n’est pas normal que nous encaissions cinq buts car nous n’avons jamais été dans cette situation de toute la saison. Toutefois, il faut prendre en compte le fait que c’est une équipe qui peut marquer à tout moment, qui ne joue pas avec la pression de descendre en seconde division. Nous devons reconnaître le mérite de l’adversaire ». Ce soir de 13 mai 2018, les propos de Valverde semblent faire écho à ceux de Pep Guardiola à propos de Bielsa après une rencontre Bilbao-Barça (2011) impressionnante d’intensité : « Ce que j’ai appris de Bielsa, c’est le courage de ses équipes. Peu importe où, contre qui, et quelle que soit l’équipe qu’il dirige, il osera toujours aller vers l’attaque. »
Il y a quelques semaines, le Barça a coulé une nouvelle fois contre Levante (2-1) lors du match aller des huitièmes de finale de Coupe du Roi avant de se rattraper au retour (0-3) grâce à son numéro 10. Le 16 décembre 2018, le Barça de Valverde, s’est fait malmener par les hommes de Paco López pendant plus d’une demi-heure avant que Messi n’entre en scène (3 buts, 2 dernières passes) et permette aux Catalans de l’emporter 5-0. Un tremblement de terre dès l’entame de la rencontre qui rappelle la victoire acquise au Bernabéu (1-2) en octobre dernier alors que le LUD menait 0-2 dès le premier quart d’heure de jeu.
Après cette rencontre marquée par un passage du 4-4-2 au 3-5-2, Paco López déclarait sur le changement de composition : « L’important, ce n’est pas le schéma mais son développement et sa mise en forme ». Les adversaires, les joueurs et le jeu peuvent varier, mais la manière non : « Nous avons une personnalité offensive à laquelle nous ne renoncerons pas ». Interrogé par El País en décembre sur ce changement, le technicien espagnol lâchait : « Je ne m’enferme pas dans un schéma. J’essaie d’utiliser celui qui s’adapte plus à l’idée du football que nous devons jouer et aux joueurs. Nous jouons conformément à une idée de jeu et au profil de nos joueurs. C’était le moment de changer par la situation que nous vivions et nous avons pris cette décision ». Lors de sa conférence d’après-match face au Real, Paco López énonçait un dicton : « Le talent a une limite, mais ce qui n’a pas de limite, c’est l’envie, le désir et la passion. Je suis très fier du travail de mes joueurs. » Mais quel travail ?
En 2017, pour leur retour en première division avec Juan Muñiz, les Granotes mettaient en œuvre un jeu amorphe, contrairement à d’autres « petits ». Las Palmas entreprenait de bien construire depuis l’arrière, Eibar déclenchait un des meilleurs pressings d’Europe… mais Levante restait enfermé près de sa surface, dans l’attente du bon moment. Son manque d’identité de jeu forte en faisait une équipe fiévreuse, qui voyait la lumière par intervalles grâce à la grande activité du Colombien Jefferson Lerma et aux rendements offensifs du trio Ivi-Morales-Jason. Et cela se payait en championnat : début mars, Levante, avec 21 points (3 victoires, 12 nuls, 12 défaites), était à un point du dix-huitième.
Le 5 mars 2018, Paco López prend le relais. Et fait presque tout l’inverse. Avec l’ancien entraîneur de la réserve en quatrième division, l’équipe passe d’une disposition très prudente à être capable d’aller chercher l’adversaire dans son camp. L’Espagnol implante une identité claire : en attaque et en défense, tout passe par l’unité et la cohésion. Levante a adapté son style aux ambitions joueuses de son entraîneur chauve, qui s’inspire d’un autre chauve, ancien de la Liga, Jorge Sampaoli : « Notre identité est de ne pas avoir peur, de ne pas attendre et de plus penser à leur but qu’au nôtre ». Désormais, Levante bâtit un pressing haut par moments pour éviter la sortie de balle adverse. Et quand ils ne pressent pas en raison du contexte du match, les joueurs se positionnent en bloc médian puis mettent en place un jeu de transition vertical depuis leur camp. Dans certaines rencontres, l’équipe déploie des variantes tactiques pour faire face à ses rivaux. Résultat : en onze journées, l’équipe bat notamment Getafe, Eibar, Bilbao, Séville, Barcelone et conclut la saison à 46 points avec un bilan renversant (8 victoires, 1 nul, 2 défaites).
Quitte ou double
L’un des traits de l’identité du Levante de Paco López est le pressing à la perte. Si avant son arrivée, l’équipe reculait pour mieux attendre, avec lui, elle avance pour donner plus d’incertitude. En phase sans ballon, le replacement discipliné a laissé place au pressing intense de ses offensifs. À domicile ou à l’extérieur, lorsqu’elle évolue en 3-5-2, elle ne compte quasiment pas d’entrejeu. Seul Campaña reste posté devant la défense. Morales, Roger, Jason, Bardhi, Rochina et les ailiers sont eux chargés d’établir un pressing de tous les instants. Quitte ou double.
À noter, sur les phases sans ballon, la transformation d’Enis Bardhi. Totalement déconnecté du bloc-équipe sous Juan Muñiz, il est devenu un pion engagé dans l’équipe de Paco López. « Je ne sais pas si je l’ai amélioré. Je crois que nous nous trompons en étiquetant les joueurs talentueux seulement comme tels, parce qu’en fait, eux aussi travaillent. Nous lui avons fait savoir qu’il y a une phase de travail sans ballon dans laquelle tous les joueurs doivent apporter. Il l’a simplement compris. » détaille le technicien à El País.
Station médiane
Quand Levante n’a pas réussi à récupérer le ballon à sa perte, il s’organise en 5-3-2. L’engagement mis lorsque l’adversaire entre dans certaines zones spécifiques du terrain est dangereux pour les chevilles. Cette station médiane du bloc Granota peut donner lieu à de longues séquences de possession pour l’équipe rivale. Mais dans cette disposition, elle pense plus au but adverse qu’au sien. « Nous ne sommes pas une équipe avec une méthode suicidaire. Nous essayons d’avoir un équilibre mais nous avons une personnalité offensive à laquelle nous n’allons pas renoncer » confiait l’entraineur espagnol à El País en décembre.
En raison du contexte du match, Levante accepte de subir un peu plus, pour concrétiser les transitions. La situation passe d’un comportement agressif sans ballon et des distances élevées entre les joueurs à un bloc-médian dense où prime l’occupation de l’espace pour empêcher la progression rivale, en bouchant spécialement l’axe du terrain. Adapt or die.
Mais selon le rival et le plan du match, ce type de situations peut être modifié pour donner plus de solidité à l’équipe. Face à des équipes comme le Barça ou le Betis, qui impose de la largeur, Levante passe du 5-3-2 au 5-2-3. Avec ses 5 défenseurs et 3 chasseurs, l’équipe est prête à gérer le troisième central et éviter une situation embarrassante dans l’axe.
Le Commandant José Luis Morales
Si l’équipe essaie de presser le rival dans son camp et de récupérer la balle proche de la surface adverse, la plupart du temps, c’est son bloc médian qui est responsable de la récupération de balle. Et par extension, de la sortie en transition. Ici, l’équipe met l’un de ses joueurs à profit : son capitaine José Luis Morales. Surnommé « El Comandante », il transforme les transitions avec ballon de Levante en deux temps en arme létale. D’abord, c’est par les projections coordonnées de ses coéquipiers pour entraîner les adversaires que Morales a de l’espace pour conduire la balle. Puis, parce que Morales est redoutable par son placement, sa faculté à éliminer ses vis-à-vis et à montrer la voie à son équipe.
Devenu postulant naturel à la Roja, il est le taulier (8 buts, 2 passes décisives) d’une attaque rapide et guide son acolyte Roger Marti (9 buts), avec qui il est monté en première division. En plus, deux autres joueurs sont pris dans le sillage de Morales. Le talentueux ailier droit Jason, pièce clé de l’équipe lors de la promotion en Liga. Auteur d’une grande saison, il rejoindra le FC Valence cet été. Et Borja Mayoral, prêté par le Real Madrid.
Profondeur et jeu long
Si Levante est une équipe proactive dans les phases sans ballon, elle cherche à donner du sens à ses moments avec. Les centraux Granotes ont l’habitude de minimiser les risques en jouant avec deux circuits de construction : chercher un déplacement des attaquants dans la profondeur ou ouvrir sur un côté.
Lorsqu’ils ont le ballon dans les pieds, Cabaco, Postigo, Rober et Vezo cherchent long. Par moment, ni phase de préparation prolongée à outrance, ni échanges stériles entre les centraux et les milieux, ils allongent de longs ballons et de longues diagonales à destination de Morales ou Jason. Quitte à ce que le ballon soit perdu, ou un temps partagé avec l’adversaire. Dans l’utilisation du ballon, Cabaco rentre plutôt dans l’archétype du défenseur shérif façon Atlético de Simeone. À ses côtés depuis peu, Rúben Vezo, recruté en prêt durant l’hiver. Tout comme le replacement de Coke en défense central pour chercher les milieux Bardhi ou Rochina entre les lignes.
Toutefois, la mécanique principale de construction passe au sol. Et toujours par les latéraux. A côté d’eux, José Campaña est le joueur qui offre une sortie de balle en l’absence de ligne de passes verticales, et apporte son soutien pour combiner. Mais devant eux, on trouve deux situations. D’une part, les séduisants milieux relayeurs, Enis Bardhi et Rubén Rochina, qui se proposent entre les lignes pour attaquer ou élaborer dans les half-spaces.
Le week-end dernier encore, contre le Celta Vigo de Miguel Cardoso (1-4), les hommes de Paco López ont marqué deux buts en utilisant ces circuits de passe. Si Rúben Rochina a réalisé un beau match, Levante a brillé sur plusieurs points : récupération du ballon, sorties de balles, attaques placées, attaques rapides. Et les deux milieux ont excellé.
D’autre part, les milieux relayeurs et attaquants s’occupent de l’espace libre dans le dos du latéral ou des centraux adverses. Ensuite, ces derniers trouvent généralement un nombre conséquent de partenaires dans la surface en raison de la densité sur toutes les phases de jeu désirée par Paco López. Ici, une caractéristique de l’équipe se fait remarquer : l’importance de ses latéraux (40% des attaques se font sur le flanc gauche, 37% à droite) dans la phase de construction. Ce sont les pôles de créations de l’écosystème Levante.
En perte de vitesse depuis la deuxième quinzaine du mois de décembre, Levante a vu les places européennes s’éloigner (à 3 points de la cinquième place lors de la 16e journée, à 8 points lors de la 24e). Et si les hommes de Paco López se dévoilent étonnamment séduisants mais surtout bons dans l’identité collective, ils ont des difficultés en défense. L’équipe encaisse un nombre de buts élevés sur coups de pied arrêtés (9) et à la suite de fautes individuelles d’une arrière-garde moyenne (4 buts concédés sur penaltys). Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, Paco López a imposé sa patte sur un groupe au même visage mais au comportement bien différent d’il y a quelques mois. En moins d’un an, Levante s’est métamorphosé de promu à un acteur crédible de Liga. De quoi voir l’Europe la saison prochaine ? Getafe, Alavés, Valence, Eibar, Leganés, l’Espanyol, le Betis, la Real Sociedad et l’Athletic Bilbao -rien que ça- l’ont aussi en vue. Mais après tout, dans cette Liga, les nouvelles forces de cet effectif sont celles-là : toujours y croire peu importe l’adversaire. Todo se equilibra al final.