Au lendemain de la suspension de Marcelo Bielsa de sa fonction d’entraĆ®neur par le LOSC le 22 novembre 2017, Luis Campos en personne et certains mĆ©dias (LāEquipe, La Voix du Nord, etc) avaient mentionnĆ© ses mauvaises relations avec les salariĆ©s du club parmi les nombreuses raisons qui lui avaient valu son licenciement. Dans son Ć©dition du 17 mai dernier, le quotidien chilien La Tercera a relayĆ© une information qui a donc dĆ» en Ć©tonner plus dāun au domaine de Luchin. Car indĆ©pendamment de la situation lilloise (et parce que les exemples sont lĆ©gion) cette information nous dĆ©montre une nouvelle fois que sa relation avec les employĆ©s – quelle qu’elle soit – ne peut ĆŖtre le fondement principal de son Ć©viction.
29 dĆ©cembre 2017. Une des cuisiniĆØres de la sĆ©lection chilienne, Alicia Palacios Ascencio (73 ans) apprend son licenciement par la FĆ©dĆ©ration Chilienne de football (ANFP) avec une proposition d’indemnisation de prĆØs de $8 millions de pesos chiliens (soit un peu plus de 11 000 euros) pour 11 ans de bons et loyaux services. En mars dernier, cette ex-employĆ©e riposte devant les tribunaux en attaquant en justice lāentitĆ© chilienne pour licenciement abusif. La raison ? Elle affirme avoir commencĆ© Ć travailler au centre dāentraĆ®nement de la sĆ©lection Ć Juan Pinto DurĆ”n trĆØs exactement en 1980, dāabord de maniĆØre irrĆ©guliĆØre (elle Ć©tait payĆ©e seulement en espĆØces) avant de signer son contrat de travail au dĆ©but des annĆ©es 1990. Son objectif ? Faire condamner lāANFP Ć lui verser 22 950 euros, soit ce que lui doit la FĆ©dĆ©ration en prenant en compte son anciennetĆ©, plus 9690 euros pour licenciement abusif.
Quel rapport entre cette affaire et Marcelo Bielsa ? Alicia Palacios nāest pas nāimporte qui pour les joueurs, les diffĆ©rents staffs techniques qui se sont succĆ©dĆ© Ć Juan Pinto DĆŗran et notamment durant le mandat de Bielsa (2007-2011). Car avant de prĆ©parer les plats pour lāencadrement de la sĆ©lection et pour la gĆ©nĆ©ration dorĆ©e (celle dāArturo Vidal, Gary Medel, Claudio Bravo et Alexis SĆ”nchez), Alicia Palacios, cāest dāabord Ā«Ā Tata AliciaĀ Ā». Une salariĆ©e Ć part entiĆØre de la sĆ©lection qui suscite beaucoup dāaffection. Et comment.
Marcelo Bielsa lui-mĆŖme portait une affection toute particuliĆØre pour le Chili, ses joueurs, son staff technique ainsi que pour les employĆ©s du centre technique national de la sĆ©lection chilienne. Et Alicia Palacios en est un tĆ©moin privilĆ©giĆ©.
Le vendredi 4 fĆ©vrier 2011, soit le jour oĆ¹ le technicien argentin a annoncĆ© sa dĆ©mission de son poste de sĆ©lectionneur de la Roja, Bielsa avait mis un point dāhonneur Ć remercier les employĆ©s qui travaillaient au centre dāentraĆ®nement. Ā«Ā Je considĆØre mes trois annĆ©es et demi au Chili comme un cadeau de la vie. J’ai appris Ć aimer la vie iciĀ Ā», avait-il mĆŖme Ć©noncĆ© devant les micros, Ć©mu aux larmes. Quelques heures avant sa prĆ©sentation devant les mĆ©dias, il avait rencontrĆ© en privĆ© les employĆ©s dont Alicia Palacios pour leur expliquer les raisons de son dĆ©part et Ć quel point il ne les remercierait jamais assez pour leur dĆ©vouement quotidien.
Quelques jours plus tard, ‘Tata Alicia’ a pu constater que les propos de Bielsa nāĆ©taient pas des paroles en lāair. Alors que lāArgentin avait dĆ©jĆ quittĆ© le territoire chilien, elle a eu la surprise de recevoir un prĆ©sent inespĆ©rĆ© : un chĆØque de $10 millions de pesos chiliens (soit plus de 13 000 euros) signĆ© du nom de Marcelo Bielsa pour quāelle puisse rĆ©aliser un projet de longue date mais trop onĆ©reux, celui de pouvoir entreprendre des soins dentaires.
Pour complĆ©ter son geste, Bielsa avait accompagnĆ© son chĆØque dāune carte sur laquelle il lui avait notĆ© son numĆ©ro de tĆ©lĆ©phone pour quāelle puisse le contacter au cas oĆ¹ elle serait amenĆ©e Ć ĆŖtre en difficultĆ© professionnelle. Le numĆ©ro en question sāavĆØre ĆŖtre la ligne du fixe de la maison familiale de lāArgentin. Ā«Ā Je suis tombĆ© sur sa fille cadette, Mercedes. Il [Bielsa] nāĆ©tait plus en Argentine. Je nāai pas su comment le remercier. Jāai juste dit Ć sa fille de lui rapporter que tout allait bienĀ Ā», explique-t-elle aujourdāhui.
Une gĆ©nĆ©rositĆ© qui contraste avec le manque de reconnaissance de la part de la FĆ©dĆ©ration Chilienne de football aprĆØs plus de 37 ans dāexercice pour une indemnisation dāĆ peine 11 000 euros. Ā«Ā Et sans mĆŖme un āmerciāĀ Ā», prĆ©cise-t-elle. Si lāancienne cuisiniĆØre se souvient parfaitement de ses employeurs et des changements structurels de la sĆ©lection depuis 1980 pour faire valoir ses droits et son anciennetĆ©, de son cĆ“tĆ©, lāANFP affirme que sa dĆ©cision est lĆ©gitime, quāelle est conforme Ć la loi et quāil existe une jurisprudence dans ce type de litiges lorsque les revenus des entreprises diminuent. Mais Alicia Palacios tient Ć clamer sa situation haut et fort.
Car au-delĆ de la question financiĆØre, il est question de la maniĆØre dont elle a Ć©tĆ© mise Ć la porte. Ā«Ā Jāai demandĆ© Ć avoir un entretien avec Arturo Salah (actuel prĆ©sident de la fĆ©dĆ©ration chilienne de football) qui Ć©tait mon patron dans les annĆ©es 1990, affirme-t-elle. Je voulais lui dire que j’avais besoin que la FĆ©dĆ©ration reconnaisse mes annĆ©es de service et quāelle me laisse travailler encore deux ans pour finir de payer mon petit appartement.Ā Ā» Mais cette demande a Ć©tĆ© refusĆ©e.
Depuis son licenciement, Alicia Palacios affirme vivre dans lāangoisse au quotidien en raison du statu quo juridique et de tout ce que cela engendre, Ć savoir vivre sans salaire, sans ses indemnitĆ©s de licenciement et mĆŖme sans pension. Ā«Ā Moi qui ai travaillĆ© toute ma vie, j’ai dĆ» aller Ć la municipalitĆ© pour voir Ć quoi jāavais droit puisque je suis sans ressourcesĀ Ā». Puis de poursuivre :Ā Ā«Ā Monsieur Marcelo [Bielsa] māa fait don de 13 700 euros et eux, ceux Ć qui jāai dĆ©diĆ© ma vie, veulent me payer que 11 000 euros ? Bielsa māa offert plus de 13 000 euros de maniĆØre dĆ©sintĆ©ressĆ©e et eux ne veulent pas me payer ce quāils me doivent sur 40 ans de travail. Ils veulent me payer que sur 11 ans de travail et un mois de prĆ©avis. Quāest-ce que je fais avec 11 000 euros si jāai besoin de plus que Ƨa pour payer mon appartement ? OĆ¹ vais-je travailler Ć 73 ans ?Ā Ā», demande-t-elle inquiĆØte, dans un pays oĆ¹ les retraites sont si misĆ©rables que le Chilien lambda est trĆØs souvent vouĆ© Ć travailler mĆŖme aprĆØs avoir cotisĆ© toute sa vie.
Dans son combat, elle a pu compter sur le soutien public et total de Claudio Bravo, qui lāa ouvertement soutenu sur les rĆ©seaux sociaux. Le portier de la Roja a ainsi rĆ©agi sur son compte Twitter. Ā«Ā JāespĆØre que cette femme merveilleuse sera respectĆ©e pour toutes ses annĆ©es de travail, de dĆ©vouement et dāaffection pour la sĆ©lection chilienne.Ā ĆĀ celle qui connaĆ®t tous nos secrets et toutes nos peines. AĀ bientĆ“t Tata Alicia, je tāaime tellement. Merci pour ĆŖtre toujours lĆ !!!Ā Ā»
Espero que a esta maravillosa mujer le respeten todos los aƱos de trabajo, dedicaciĆ³n y cariƱo en la selecciĆ³n de Chile. Conocedora de todos nuestros secretos y penas. Nos vemos pronto TĆa AlĆcia 😘😘 La Quiero Mucho mi viejita 😍 Muchas Gracias por Estar Siempre!!! pic.twitter.com/uX5QhB9tzT
ā Claudio Bravo MuƱoz (@C1audioBravo) 17 mai 2018
Idem pour Jean Beausejour. AprĆØs avoir appris cette affaire, lāactuel joueur de lāUniversidad de Chile et ancien ailier de la Roja a appelĆ© Alicia Palacios pour lui tĆ©moigner tout son soutien et la remercier des annĆ©es passĆ©es Ć ses cĆ“tĆ©s. Ā«Ā Jāai beaucoup pleurĆ©, dit-elle. Mon garƧon [en parlant de Beausejour] māa dit que je n’Ć©tais pas seule et qu’ils m’aideraient si l’ANFP ne me payait pas mon dĆ». JāĆ©tais Ć la fois heureuse et triste de les ennuyer/embĆŖter. Il m’a remerciĆ© pour tout, māa rapportĆ© qu’ils avaient discutĆ© entre joueurs de ma situation et qu’ils Ć©taient de tout cÅur avec moi. Ća m’a touchĆ©.Ā Ā»
Ā Affaire Ć suivre.