Football populaire en veux-tu en voilà ! La Grinta vous fait vivre une rencontre de Primera B Metropolitana (troisième division argentine) entre deux clubs de quartier de Buenos Aires aux réputations sulfureuses : Excursionistas et San Telmo. Pas forcément alléchant sur le papier, ce match l’était beaucoup plus en tribunes. Une bonne raison de se rendre à l’Estadio Excursionistas pour un On Tour dans le quartier de Bajo Belgrano au cœur de la Barra del Nevado.
Il est 14 h 30 (19 h 30 en France) aux alentours de l’Estadio Excursionistas ce samedi. Connu aussi sous le nom « El Coliseo del Bajo Belgrano » en référence au quartier qui l’abrite, le calme y règne encore. Pas un chat dans les environs. À une heure du coup d’envoi, seules les odeurs d’asado (barbecue) indiquent qu’une rencontre de football va bel et bien se dérouler ici. Bon dernier en championnat et déjà condamné à descendre en Primera C Metropolitana (quatrième division argentine), il faut dire que le Verde – comme est surnommé le CA Excursionistas – n’attire pas les foules cette saison. « Aujourd’hui vous ne verrez que les vrais supporters », assure Ricardo, la quarantaine, choripan (sandwich-saucisse) à la main. « Mais au fait, vous venez de France pour ce match ? C’est bien ça ? Soit vous êtes taré soit dépressif, c’est au choix », se marre t-il.
Il est vrai que nous ne rencontrerons pas beaucoup de touristes dans le secteur. Si la réputation du club de San Telmo n’est plus à faire, celle de Excursionistas n’est pas en reste. Les plus avertis d’entre vous ont sûrement déjà vu, ou du moins entendu parler, du reportage de Canal + Espagne sur les barras bravas. Le journaliste Jon Sistiaga y figurait en compagnie d’Alejandro Flores dit « Chiquitona », à l’époque leader de la Barra del Nevado, nom de la barra brava locale. Couteau en main et flingue dans le sac, il déclarait à l’époque une semaine avant d’être assassiné : « Pour être leader de la barra d’Excursionistas, il faut avoir beaucoup de sang sur les mains. Ici on ne respecte personne ». Ambiance.
« Même la police ne te sauvera pas »
Pourtant, fondé le 1 février 1910, Excursionistas reste un petit club de quartier de Buenos Aires, comme il en existe tant d’autres. El Verde a connu la première division seulement sous l’ère amateur sans connaître le bonheur d’évoluer une seule fois en Primera B Nacional (deuxième division) depuis la création de l’AFA (fédération argentine de football) qui marquera le passage au professionnalisme. Sorti de terre dans le quartier de Palermo, limitrophe à Bajo Belgrano (quartier qu’il occupe aujourd’hui), il doit sa naissance à une bande d’amis qui réalisaient énormément d’excursions (d’où le nom Excursionistas) sur le Delta du Río Parana et sur l’Isla Maciel… Désormais l’un des quartiers les plus dangereux de la capitale argentine où évolue le CA San Telmo avec qui Excursionistas entretient une grande rivalité (tout comme avec Dock Sud, autre club de la Isla Maciel, mais aussi Almagro, Platense, Deportivo Laferre, San Miguel et Colegiales). Même si le vrai clasico reste face à Defensores de Belgrano, un club situé à quelques pâtés de maisons. Le CA Excursionistas, en plein quartier résidentiel qu’est aujourd’hui Bajo Belgrano, doit ses origines populaires à la villa (favela, éradiquée en 1977) attenante implantée plus d’un siècle et demi. D’où l’autre surnom du club : Villero (habitant de la villa).
Entrée du Coliseo del Bajo Belgrano. (Bastien Poupat/La Grinta)
À un quart d’heure du coup d’envoi, nous prenons place en platea (latérale) dans la tribune où se trouve la Barra del Nevado positionnée « à la lensoise ». Après avoir croisé ce mythique tableau d’informations pour les socios improvisé sur l’un des murs de l’enceinte, nous observons les membres du groupe de supporters installer les différentes bâches. Le match commence dans quelques minutes et le stade d’une capacité de 7.500 spectateurs se remplit peu à peu laissant tout de même de nombreux espaces clairsemés. De plus, l’interdiction de déplacement pour les supporters visiteurs en Argentine, certes désormais partielle, n’arrange pas la donne. Notre tribune n’échappe pas à la règle mais le noyau de la Barra del Nevado est correctement représenté. C’est en guise de recibimiento que la barra lancera un chant détonnant et sans équivoque : « San Telmo nous allons te tuer, même la police ne te sauvera pas »… Le match est lancé.
« Faites vous pardonner, gagnez le clasico »
Pendant que la Barra del Nevado récite tout son répertoire accompagné de tambours et autres drapeaux, sur le terrain ce n’est pas le Brésil 1970, loin de là… Il faudra attendre la 42 ème minute et une énorme erreur de la défense d’Excursionistas pour voir l’ouverture du score du Candombero (surnom du CA San Telmo). 0-1 à la pause. « On a l’habitude cette saison. Quand on est remonté de Primera C Metropolitana à Primera B Metropolitana on avait espoir de faire une bonne saison et de pouvoir se maintenir. Aujourd’hui on en est loin… », lâche Rodrigo complètement résigné et abattu. Ce qui n’est pas le cas de la Barra del Nevado, qui, en dépit des circonstances ne lâche décidément rien en début de seconde période.
Les efforts des plus chauds supporters d’Excursionistas seront récompensés en l’espace de dix minutes quand King puis Nadalin viendront renverser la situation. 2-1, et les chants redoublent d’intensité. « Qu’ils jouent comme cela et qu’ils gagnent le clasico face à Defensores de Belgrano la semaine prochaine pour notre dernier match à domicile, c’est tout ce que l’on demande après cette saison horrible. Qu’il se fasse pardonner de cette manière », s’emballe Juan membre de la Barra del Nevado, bob vert et blanc les couleurs d’Excursionistas sur la tête.
Peut-être un peu trop vite… Comme si la suite était écrite par avance, Excursionistas retombe dans ses travers et encaisse deux buts en deux minutes à cinq minutes du coup de sifflet final. Malgré tout applaudis par toute la Platea, les joueurs du « villero » sont prévenus par un chant : « Ce samedi coûte que coûte, ce samedi il faut gagner le clasico ». Une victoire ferait office d’un bon lot de consolation pour ces derniers fidèles après une saison plus que morose.
Par Bastien Poupat à Buenos Aires