Gallardo Monumental est le second ouvrage de Diego Borinsky, auteur de cette biographie de celui que l’on surnomme « El Muñeco » (la marionnette). Journaliste au Grafico et installé à Buenos Aires en Argentine, Diego rencontre Marcelo Gallardo pour un ouvrage retraçant sa carrière de footballeur mais aussi ses grands débuts en tant qu’entraîneur. De Marcelo Bielsa jusqu’à Didier Deschamps en passant par l’embuscade au stade Vélodrome, tout y passe. Entretien.
Bonjour Diego. Qu’est-ce qui a motivé ton choix d’écrire sur Marcelo Gallardo ?
Diego Borinsky : Je travaille au Grafico depuis de nombreuses années maintenant et quand on travaille dans la presse écrite, écrire un ouvrage c’est quelque chose qui vous motive. Déjà, il faut préciser que je suis supporter de River Plate et indéniablement cela a pesé dans la balance comme à l’époque de la remontée en première division des Millonarios quand j’avais écrit la biographie de Matias Almeyda avec qui j’avais de très bonnes relations. Avec ce qu’a réalisé Marcelo Gallardo dans sa carrière de joueur, partout où il est passé il a remporté un titre, et en tant que tout jeune entraîneur de River Plate avec les succès qu’on lui connaît, ce fut une suite logique.
Comment as-tu rencontré Marcelo Gallardo pour la première fois ?
D.B. : Au Grafico je m’occupe d’une rubrique qui se nomme 100×100 où l’objectif est de réaliser une interview avec pas moins de cent questions. J’ai réalisé cette dernière avec Marcelo Gallardo en 2014 alors qu’il ne travaillait plus depuis deux ans en tant qu’entraîneur, date où il avait été sacré champion d’Uruguay avec le Nacional Montevideo. L’interview s’est très bien déroulée, j’ai beaucoup aimé son style et de plus ce jour-là j’avais parié un pesos symbolique avec lui qu’il serait très bientôt entraîneur de River Plate. Deux mois plus tard, Ramon Diaz démissionne après avoir été champion d’Argentine et Marcelo Gallardo le remplace. J’ai donc gagné mon pari (rire).
Les premiers mois de Gallardo à River Plate se déroulent comme dans un rêve. Il révolutionne le jeu des Millonarios et remporte la Copa Sudamericana (ndlr : équivalent de l’Europa League en Amérique du Sud). C’est aussi à ce moment que tu décides d’écrire cet ouvrage, était-il enthousiasmé à l’idée de ce projet ?
D.B. : Pour revenir sur River Plate, les deux premiers mois de Gallardo ont été incroyables. Je n’avais jamais vu jouer River d’une telle manière et cela a terminé de me convaincre sur la nécessité d’écrire un livre sur lui. Je suis retourné le voir personnellement en lui proposant cette biographie juste avant le premier Superclasico face à Boca Juniors comptant pour la Copa Sudamericana. Au départ, il était très dubitatif car Gallardo n’est pas quelqu’un qui aime parler de lui. De plus, sa mère était tombée gravement malade puis est décédée le mardi 25 novembre juste avant la demi-finale retour de Sudamericana face à Boca. Bien sûr notre projet commun a été suspendu à ce moment-là avant qu’il n’accepte définitivement en mai 2015 pendant la campagne victorieuse de Copa Libertadores. Je lui ai annoncé qu’on devait se réunir une dizaine de fois pour réaliser ce travail, il m’a regardé d’un air assez surpris puis a appelé ses adjoints Matias Biscay et Hernan Bujan pour savoir s’ils étaient prêts à se joindre à nous pour parler de leur travail. Chose qu’ils ont accepté.
Pourquoi les fans absolus de Marcelo Gallardo qui connaissent déjà tout de sa carrière se doivent de lire cette biographie ? Quelle est la valeur ajoutée ?
D.B. : Comme je disais un peu avant, Marcelo Gallardo n’est pas quelqu’un qui parle beaucoup de lui et il a confié des choses qu’il n’avait jamais dites auparavant et a mis des mots sur les moments fort de sa carrière de joueur et d’entraîneur. Il y a aussi énormément d’anecdotes qu’il n’avait jamais raconté et qui font comprendre la personnalité de Gallardo. En France par exemple, à la fin de son aventure monégasque en 2003 il voulait revenir à River Plate car il sentait que son cycle à Monaco était terminé. Jean-Louis Campora, président de l’ASM à l’époque, refusait cette option et Gallardo, voyant que son président ne répondait pas a ses sollicitations au téléphone, est parti directement dans le bureau de Campora frappant à sa porte comme vous pouvez l’imaginer pour lui dire qu’il retournerait à River Plate… Au final, il a obtenu gain de cause. Ce genre d’anecdotes sont omniprésentes dans le bouquin et il y a aussi beaucoup d’intervenants.
Quels sont ces intervenants ? As-tu voyagé dans les pays des championnats majeurs où il a joué et est-il perçu de la même manière en Argentine, en Uruguay, en France ou encore aux USA ?
D.B. : Non. Par contre, j’ai effectué près de 45 interviews avec des personnes qui ont travaillé de près ou de loin avec Marcelo Gallardo. Que ce soit auprès de ses adjoints, son staff mais aussi d’anciens entraîneurs qui ont eu sous leur coupe Gallardo en tant que joueur dont Marcelo Bielsa avec qui ses relations sont très bonnes.
« À Monaco, Didier Deschamps a menti à Marcelo Gallardo. Depuis les relations sont assez froides entre les deux hommes »
En tant qu’entraîneur, Marcelo Gallardo remporte dès sa première saison le titre de champion d’Uruguay avec le Nacional de Montevideo puis avec River Plate c’est l’explosion. Une Copa Sudamericana après 17 ans de disette pour les Millonarios sur le plan continental puis la Copa Libertadores 2015. Comment l’expliques-tu et comment définirais-tu le style Marcelo Gallardo ? Quelles sont les sources d’inspiration de Gallardo ? Chose assez rare, Marcelo Bielsa intervient dans cette biographie, en est-il une ?
D.B : Bielsa est l’entraîneur qui a éveillé en Marcelo Gallardo l’envie de faire ce métier. Même en tant que joueur, il était très curieux et demandait souvent des explications à El Loco. Comme lui, Gallardo est un obsessionnel au niveau du travail et a regardé en boucle, pendant ses deux ans de pause entre le Nacional de Montevideo et sa prise de fonction à River, les matchs du Barça de Guardiola, du Milan AC de Sacchi mais aussi l’Universidad de Chile de Jorge Sampaoli ainsi que la sélection chilienne du même Sampaoli. D’ailleurs, la « U » de Sampaoli avait éliminé le Nacional de Gallardo en Copa Sudamericana. À l’époque, Marcelo avait déclaré que cette équipe l’avait impressionné et qu’elle irait très loin dans la compétition. En Uruguay tout le monde lui avait ri au nez, résultat l’Universidad a remporté la compétition en développant un jeu rarement vu sur le continent. En s’inspirant de ces références, le style Gallardo est un jeu offensif et porté vers l’avant. Être protagoniste de la rencontre et presser l’adversaire très haut est quelque chose d’essentiel pour lui. En plus de cela, c’est aussi un meneur d’hommes et il a su donner beaucoup de caractère à River chose qui n’est pas forcément dans l’ADN du club contrairement à Boca. Chose très importante à signaler aussi, Gallardo est le seul a avoir gagné la Copa Libertadores en tant que joueur et entraîneur de River Plate, ce n’est pas rien.
Justement, Gallardo fait partie de cette nouvelle génération d’entraîneurs argentins en pleine émergence. Ces derniers répètent souvent qu’être protagoniste dans le jeu est le plus important au-delà du résultat. Cette saison, sur les 30 clubs de première division, 18 entraîneurs ont moins de 45 ans. Marcelo Gallardo est-il l’instigateur de ce phénomène ?
D.B. : Difficile d’affirmer que Gallardo fut celui qui a impulsé tout ce processus. Mais une chose est sûre, quand tu vois River Plate, club tant populaire dans le pays, sur le continent et dans le monde, jouer ainsi, cela peut-être une prise de conscience. C’est une génération qui travaille avec beaucoup d’adjoints contrairement à l’époque où l’entraîneur gérait seul. Par exemple, Gallardo a intégré dans son staff une femme, qui se nomme Sandra Rossi, mais aussi un psychologue à l’intérieur du groupe et un superviseur. Cette génération est aussi composée de jeunes entraîneurs qui ont évolué en Europe en tant que joueurs, ce qui amène des idées neuves.
Dans cette biographie, Marcelo Gallardo raconte cette fameuse embuscade au Stade Vélodrome « du tunnel » avec Christophe Galtier notamment. Galtier actuellement sur le banc de Saint-Étienne, si Gallardo entraîne un jour en France, serait-il prêt à passer l’éponge là-dessus ?
D.B : Je pense que oui, cela appartient au passé maintenant. Mais pour ce qui est d’entraîner en France, pour le moment je ne pense pas que cela soit d’actualité d’autant plus que Gallardo est en contrat avec River Plate jusqu’en 2017. Pour revenir à cet épisode, Gallardo avait été marqué. C’était un match avec une extrême tension car Marseille se devait de gagner car il luttait pour le maintien et le climat était délétère ce jour-là. Dans le livre, Marcelo raconte que les Marseillais avaient préparé leur coup car des agents de sécurité ont aussi participé ainsi que d’autres joueurs et membres du staff. Il dit aussi que les caméras avaient disparu et qu’il a été roué de coups. Ce qu’il n’avait jamais raconté en revanche, c’est l’épisode quelques minutes plus tard dans le vestiaire. Marcelo a tout retourné en s’adressant violemment a ses coéquipiers qui ne l’avaient pas aidé mais eux ne comprenaient rien car ils n’étaient même pas au courant de ce qui venait de se dérouler.
Dans cet ouvrage, les mauvaises relations qu’il entretient avec Didier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de France, sont aussi évoquées. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
D.B : Pendant ses deux ans de non-activité, Marcelo Gallardo s’est rendu en France pour voir un match du PSG face à Chelsea en huitième de finale aller de la Ligue des champions. Au Parc des Princes, apparaît un homme en survêtement qui lui donne une accolade chaleureuse, c’était Marcelo Bielsa qui, lui, finalisait son accord avec l’OM. Vient ensuite Didier Deschamps et là ce fut assez froid. Dans le livre, Marcelo Gallardo explique que Didier Deschamps lui a menti quand il était entraîneur à Monaco en lui disant qu’il comptait énormément sur lui et le match suivant Gallardo était sur le banc. Cela a aussi été l’élément déclencheur du départ de Gallardo de Monaco. Cela peut paraître anecdotique mais ça reflète très bien la personnalité d’El Muñeco. Il attache énormément d’importance aux relations de confiance joueurs-entraîneur. Pour lui c’est primordial, et il l’a prouvé ensuite avec des discussions très franches que l’on peut voir dans cette biographie qu’il a pu avoir avec Teófilo Gutiérrez ou encore Fernando Cavenaghi.
Dernière question Diego, la France est un pays où Gallardo a marqué les esprits. Une traduction de ton ouvrage en français est-elle envisageable ?
D.B : Cela n’a jamais été évoqué avec la maison d’édition mais pourquoi pas. Quand on écrit un ouvrage, le souhait que l’on peut avoir est qu’il soit diffusé un maximum donc je ne ferme pas la porte à cette option.
*Gallardo Monumental, Diego Borinsky, en espagnol, paru chez Aguilar.
Propos recueillis par Bastien Poupat à Buenos Aires en Argentine