En Tunisie aussi, à l’heure où la priorité est à la lutte contre le terrorisme, le football continue. Nous avons assisté au clasico opposant le Club Africain à l’Etoile Sportive du Sahel. À Tunis, l’engouement pour le football est réel, souvent violent. Des jeunes se revendiquant de la mouvance ultra s’affrontent régulièrement dans les rues de Tunis alors qu’une bonne partie de la société tunisienne entretient encore une haine tenace vis-à-vis des force de l’ordre. On Tour.
Mégrine, banlieue sud de Tunis. Les hommes sirotent un thé et fument la chicha, attablés aux cafés du quartier. Les maillots rouge et blanc, ceux du Club Africain, sont déjà de sortie. Nous sommes à quelques kilomètres du stade de Radès, le match débute dans 3 heures.
Nous retrouvons Farouk, 25 ans, étudiant en droit et ancien Dodger’s (groupe ultra du CA). Autour d’un « chapati » (sandwich traditionnel), nous faisons le point sur le mouvement ultra tunisien. « C’est tendu » explique Farouk « les accrochages sont de plus en plus fréquents ». L’avant-veille du match, une émeute a opposé, sous nos yeux, ultras clubistes à ceux de l’Espérance de Tunis. Les deux clubs phares de la capitale tunisienne se vouent une haine féroce, comparable à l’antagonisme Roma-Lazio.
Les heurts ont lieu à cité El Khadra, quartier populaire de Tunis. Au moins une soixantaine de jeunes, mineurs pour la plupart, se chargent tour à tour armés de bâtons. Des pierres, mais aussi des cocktails Molotov sont jetés. Les policiers arrivent au bout de cinq minutes et arrêtent 2 ou 3 espérantistes. L’un d’entre eux sera pris à partie par une dizaine de clubistes restés dans les parages, on est à deux doigts du lynchage et les policiers auront tout le mal du monde à exfiltrer le jeune homme dans la fourgonnette. Entre les charges, un élément nous frappe : les protagonistes sont des gamins. L’un d’entre eux, se réfugie dans notre rue. L’air de rien, il sort de sa poche un couteau qu’il cache sous une voiture. Il n’a même pas 12 ans.
Notre histoire n’étonne guerre Farouk. « Les mineurs n’ont pas le droit d’aller au stade, les jours de match, ils restent dans la rue ». Depuis la révolution, la violence entre groupes augmente à Tunis : « Avant, on chargeait essentiellement les flics, on les détestait, car ils étaient mauvais et représentaient le pouvoir ». Mais le départ de Ben Ali a sonné la fin de l’union sacrée, notamment au Club Africain : « Plus personne n’a peur et tout le monde veut prendre le leadership en virage». Farouk prévient : « Le match contre l’Etoile du Sahel sera tendu ». Ces derniers mois, plusieurs bagarres ont opposé Dodger’s et Leaders Clubistes. Les deux groupes ultras du Club Africain fréquentent la même Curva Nord (Virage Nord). La tension entre les deux groupes est telle que les Leaders, habituellement placés en bas de la Curva Nord avec les Dodger’s, ont migré en haut pour éviter toute nouvelle confrontation.
« On les détestait avant la révolution, et on les déteste toujours ces flics »
Dans une heure et demie, le Club Africain accueillera l’Etoile du Sahel. Skander et Rami nous rejoignent. Ces collègues de Farouk sont aussi des supporters de la première heure. Ils nous emmènent au stade en voiture. En chemin, la sono crache, alterne minimal et chant du CA, alors que sur les murs, les fresques à la gloire des Rouge et Blanc sont de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que l’on s’approche du stade. « We will kill modern football », évoque l’une d’entre elles.
À un kilomètre du stade, un barrage filtrant nous arrête. Cigarette à la main, Skanner présente les places. « Baisse ta cigarette !», gronde le policier. « On les détestait avant la révolution et on les déteste toujours ces c… de flics », m’expliquera Farouk après avoir passé le barrage. Nous sommes désormais tout proches du Stade Olympique de Radès. Il a été construit en 2001 à l’occasion des jeux méditerranéens. Le stade est magnifique, au pied du massif de Djebel Bou Kornine, sa façade extérieure est ornée de motifs orientaux : un cadre idéal pour un match épique.
Nous prenons place en tribune pelouse, la tribune latérale jouxtant la Curva Nord. Dedans, un public quasi exclusivement masculin où maillots et joggings clubistes côtoient ceux du Borussia, de la Juventus ou encore du PSG, certains supporters endossant des vêtements de deux équipes différentes.
Trente minutes avant le début de la rencontre, le stade Radès donne de la voix. En Virage Nord les Leaders Clubistes, torse nus, donnent l’impulsion. En bas, les Dodger’s reprennent les chants, accompagnés des North Vandals et des African Winners avec qui ils partagent le virage. Les African Winners sont les pionniers du mouvement ultra tunisien. Crée en 1995, c’est le premier groupe de supporters organisé dans le pays. Le mouvement ultra en Tunisie est donc tout récent, ce qui explique la présence de visages très jeunes parmi les groupes ultras.
À l’entrée des joueurs, la Curva Nord déploie un sublime tifo issu d’une collaboration entre tous les groupes. Plusieurs banderoles formulent un message en anglais adressé aux Etoilistes : « Il y a toujours 2 versions de l’histoire, si vous n’en connaissez qu’une, vous ne connaissez rien » et « même s’ils vous font champions, ça ne signifie rien ». En face personne, ou presque, seulement 150 supporters de l’Etoile du Sahel sont présents et la moitié du stade est vide. La faute aux restrictions de places, imposées par le gouvernement dans toute la Tunisie depuis la révolution. Prises au nom de la lutte contre le terrorisme, ces mesures visent aussi à limiter les violences, car les autorités craignent les ultras. Certains groupes ont été très actifs pendant la révolution. Résultat : seulement un tiers des 60.000 places que peut contenir le Radès ont été mises en vente pour la réception de l’Étoile du Sahel.
Malgré leur septième place, les locaux attaquent d’entrée de jeu et centrent plusieurs fois dans la surface. Mais l’Étoile, en bleu, calme rapidement leurs ardeurs. 5e minute Ahmed Akaichin reprend un caviar de la tête et ouvre le score. Farouk enrage, jure et donne un coup de pied au siège le plus proche.
Le match est chaud, peu après l’ouverture du score, un joueur de l’Étoile se blesse. Le public perd patience, les sifflets montent et les premières bouteilles sont lancées depuis la tribune latérale aux abords du terrain, les prémices d’une tempête. Assis sur un banc, les CRS observent sans broncher.
Le match dégénère rapidement, à la 15e minute, les Clubistes obligent le gardien adverse à s’employer. Dans la foulée, un Rouge et Blanc se blesse. Début d’une échauffourée sur le terrain. C’en est trop pour les supporters. Une pluie de projectiles émane de la tribune latérale, forçant les CRS à brandir leurs boucliers. L’un d’entre eux, inattentif, est percuté en pleine tête par une bouteille de Fanta.
Fumigènes et fusées contre tonfa et lacrymo
L’ambiance est chaude. En virage, les ultras lancent constamment des chants repris de manière sporadique par le public qui se fait principalement entendre par des sifflets à l’encontre des visiteurs et de l’arbitre. Les chants alternent arabe, français et italien. Une banderole est déployée en Curva Nord : « Vous nous faites honte, gagnez !!! ». Alors les locaux poussent, mais les Étoilés vont faire preuve d’un réalisme glaçant et doubler la mise sur leur troisième offensive.
L’intensité monte d’un cran en deuxième mi-temps. Les Clubistes dominent, mais manquent de réalisme. Les débats sont tendus et les joueurs sont sur les nerfs. Beaucoup de fautes, 11 cartons jaunes seront distribués et un Clubiste sera exclu. Peu avant l’exclusion, une nouvelle décision litigieuse va engendrer un énorme craquage en virage. Une vingtaine de fumigènes sont allumés par des North Vandals qui portent bien leur nom. Des fusées montent au ciel, les sièges sont arrachés tandis que les torches finissent au pied des CRS. Ces derniers n’en attendaient pas moins pour riposter. Des gaz lacrymogènes sont tirés dans le secteur des Vandals.
« Eh, oh, les Rouge et Blanc sont dangereux, eh, oh, anti-arrivistes, anti-racistes ». Dans la confrontation, le stade a choisi son camp. En virage comme en tribune, des chants anti-policiers sont scandés avec frénésie tandis qu’un déluge de projectiles s’abat sur les CRS. Ces derniers font une incursion en bas du virage et surprennent plusieurs jeunes au milieu de la fumée. Des coups de matraques pleuvent, le temps que tout le monde regagne sa place.
Ce craquage n’inversera pas le cours du match. Le CA s’incline malgré une réduction du score de Sabeur Khelifa, l’international tunisien prêté par l’OM (1-2).
La sortie du stade s’effectuera dans le calme. Avec Farouk, nous revenons sur l’ambiance. Seulement 20.000 spectateurs présents et une ambiance de feu. On comprend mieux pourquoi les autorités limitent le nombre de places. « Ici, ça se passe comme ça, quand ils font n’importe quoi, les ultras mettent la pression ». Le derby contre l’Espérance de Tunis se profile dans un mois. Ça sent déjà la poudre.
Vraiment très intéressant comme reportage.Bien tourné, ce regard différent sur le football, et ce mal être de la jeunesse Tunisienne à travers le football.
Merci
Giorgio