Bleu Ciel est le premier ouvrage de Florent Torchut, co-auteur de cette autobiographie de David Trezeguet sortie ce jour. Correspondant pour L’Équipe en Amérique du Sud et installé à Buenos Aires, Florent rencontre « El Rey David » (le Roi David) comme il est surnommé en Argentine. Il décrit son enfance depuis son quartier de Florida Oeste et sa carrière avec sa famille, ses entraîneurs et une pléiade d’anciens partenaires comme Zinedine Zidane, Alessandro Del Piero ou encore Thierry Henry. Bleu Ciel retrace le parcours d’un des derniers renards des surfaces. Un joueur caractérisé par sa passion et ses valeurs humaines, né à Rouen de parents argentins qui finira par être adopté par la France. Entretien.
Florent, combien de temps t’a pris l’écriture de ce livre et qu’est-ce qui a motivé ton choix d’écrire sur David Trezeguet ?
Florent Torchut : L’écriture de cette ouvrage m’a pris en tout et pour tout deux ans. Déjà, il fallait apprivoiser le personnage. Car si David Trezeguet ne s’exprime pas souvent dans les médias français c’est qu’il a un côté, un peu comme son papa (Jorge Trezeguet qui a aussi évolué en France en tant que footballeur professionnel, ndlr), très introverti. L’anecdote qui est assez marrante, c’est que la maman (Loly Trezeguet, ndlr) de David est l’opposée de cela. C’est une dame charmante qui vous reçoit tout de suite les bras ouverts. C’est vrai que c’est une question que l’on me pose souvent : « Comment est Trezeguet dans la vie ? ». Et bien tout d’abord il a fallu nouer un contact, le convaincre sachant qu’encore une fois ce n’est pas quelqu’un qui apparaît beaucoup dans les médias.
Il est vrai que Trezeguet a toujours paru timide, dès fois assez froid envers les médias. Cela a-t-il toujours été le cas ou ce sont les événements qui l’ont façonné ainsi ?
F.T : Je pense que c’est quelqu’un qui est très froid vis-à-vis des événements. Par exemple quand je lui parle du but en or de l’Euro 2000 en finale face à l’Italie, au début c’était assez compliqué de lui faire raconter les sensations qu’il a eu quand il a marqué ce but-là alors qu’il y en a très peu qui ont connu cette joie. Bierhoff, Blanc etc… Mais ça se compte sur les doigts d’une main lors d’une compétition internationale. Quand je lui ai demandé de me décrire ce but, cet instant, certes il confie que c’est l’un des moments-clés de sa vie, de sa carrière, mais il considère avant tout avoir fait son travail. Ce côté buteur-tueur plein de sang froid n’est pas une légende et explique aussi pourquoi il a su répondre présent dans les moments importants. David est avant tout un dingue de boulot et tous les gens que j’ai rencontrés, que ce soit Gérard Houiller ou encore Didier Deschamps, me disaient que quand il était en sélection c’était toujours le premier à aller se coucher car il était déjà focalisé sur les deux entraînements du lendemain. Mais pour répondre à ta question, c’est sa personnalité. Après en le connaissant, tu te rends compte que c’est un mec adorable et qui a de vraies valeurs. Ses copains d’enfance sont les mêmes avec qui il traîne aujourd’hui en Argentine. Il est aussi resté très proche de son oncle qui l’emmenait jouer au football dès son plus jeune âge et quand il donne sa confiance à quelqu’un, c’est quelque chose de très fort.
De quelle manière as-tu rencontré David Trezeguet pour la première fois ? Était-il enthousiasmé à l’idée de ce projet ?
F.T : Au départ, je l’ai rencontré quand il est arrivé à Buenos Aires et à River Plate. On ne se connaissait pas du tout et je dois dire qu’il était pas forcément enthousiaste et j’ai dû présenter le projet de différentes manières avec un dossier de photos comprenant les grandes étapes de sa carrière que ce soit à Platense, en équipe de France etc. On peut dire ce que l’on veut, mais ça reste quelqu’un d’assez sensible et je pense que j’ai su trouver les mots justes pour le convaincre. Le côté affectif avec la France, l’histoire de son père qui a aussi évolué dans l’Hexagone ont été des facteurs décisifs. De plus son histoire est incroyable, il ne faut pas oublier que Trezeguet débarque en France en 1995, il connaît sa première sélection le 31 janvier 1998 contre l’Espagne pour l’inauguration du Stade de France et six mois plus tard, il est champion du monde. Se rendant compte de tout cela, voyant mon enthousiasme et aussi la possibilité de laisser une trace de tout cela à sa famille, ses enfants, ses amis etc. Il s’est laissé convaincre et une fois convaincu, il s’est investi d’une manière formidable. Ça aussi c’est un autre pan de sa personnalité, quand il emballé par quelque chose il ne fait pas les choses à moitié.
Pourquoi les fans absolus du « Roi David » qui connaissent déjà tout de sa carrière se doivent de lire cette autobiographie ?
F.T : Justement quand David s’est investi à fond dans le projet, il a confié des choses qu’il n’avait jamais dites auparavant et a mis des mots sur les moments de sa carrière. Forcément, il parle de ce but en or lors de l’Euro 2000 où il a l’impression de rendre à la France tout ce qu’elle lui avait donnée mais il se confie aussi sur la finale de la Coupe du monde 2006 quand il rate son penalty. C’est une chose qu’il l’a rendu extrêmement triste. Et puis il y a eu cette nuit avec Maradona, la nuit même de cette finale de 2006 à Berlin. Il en avait déjà vaguement parlé mais cette fois du coup, il rentre dans les détails. Maradona était dans le même hôtel que l’équipe de France ce triste soir de juillet et la maman de David dit à son fils : « Viens, il faut que je te présente quelqu’un ». À ce moment-là, il se retrouve nez à nez avec Maradona et ils ont discuté toute la nuit effectuant une nuit blanche. Lors de cette fameuse nuit, Maradona lui dira une phrase qu’il n’oubliera jamais en cette période difficile qui faisait suite à la descente de la Juventus en Serie B : « Tu sais, tous les grands joueurs ont raté un penalty en Coupe du monde. Platini l’a fait, moi aussi j’en ai raté un contre la Yougoslavie en 1990, cela fait partie de la carrière des grands joueurs. Ne t’en fais pas, tu en verras d’autres ». À partir de ce moment-là, Maradona avait remis sur pied Trezeguet qui pensait arrêter sa carrière en équipe de France. Au final, l’histoire veut qu’elle se terminera assez vite vu qu’il ne correspondait pas au style de jeu du sélectionneur Raymond Domenech. Au-delà de cela, on raconte aussi son enfance en Argentine, le baby-football, les picaditos dans les rues de Buenos Aires, l’asado (barbecue, ndlr), le maté (infusion traditionnelle) et son retour à River Plate son équipe de cœur quand il boucle la boucle. En gros, toutes ces formes de cultures argentines que les français ont sûrement envie de découvrir aussi. L’idée est vraiment de montrer un Trezeguet que pas beaucoup de personnes connaissent, un mec avec des valeurs, un footballeur à l’ancienne qui joue avec le cœur, qui vit son football comme un fan et que l’on ne voit pas beaucoup dans la presse people. Pour la petite anecdote, à son retour a River Plate, Daniel Passarella confie dans le livre que dès sa signature David lui a demandé de descendre sur la pelouse et a regardé le Monumental excité comme un gosse à l’idée de commencer à jouer. Mais il y a aussi une grosse plus-value dans cette autobiographie, ce sont les intervenants à chaque chapitres.
« Il n’y a jamais eu de conflits entre Thierry Henry et David Trezeguet, c’est une chose qui a été inventée par la presse. D’ailleurs, Thierry Henry a accepté de préfacer Bleu Ciel«
Justement, quels intervenants as-tu rencontrés ? Toi qui a voyagé dans les pays des championnats majeurs où il a joué, est-il perçu de la même manière en Argentine, en Italie et en France ?
F.T : Il y a un ou deux grands témoins par chapitre qui reviennent sur des moments -lés de sa carrière. Gérard Gili, sa maman Loly, son père Jorge, son oncle Tomaso, Luis Fernandez, Daniel Bravo, Jean Tigana, Fabien Barthez, Gérard Houiller, Christian Damiano, Zinedine Zidane, Didier Deschamps, Marcelo Gallardo, Robert Pires, Thierry Henry, Alessandro Del Piero, Willy Sagnol, Manu Petit, Mauro Camoranesi, Gigi Buffon, Abel Aguilar, Daniel Passarella, Matias Almeyda, Ezequiel Ponce, Paolo Montero, ils sont tous là ! Un petit exemple, Zidane revient sur son penalty cette fois glorieux face à l’Italie en quart de finale de Coupe du monde 1998 où il se dit impressionné par ce gamin de 20 ans qui prend le ballon à un tel moment. D’ailleurs, Zinedine Zidane et Didier Deschamps sont unanimes pour dire que c’est à ce moment-là qu’il gagne sa place dans le groupe France avec Thierry Henry car ils ont démontré qu’ils en avaient. En parlant de Thierry Henry, j’ai aussi eu la chance que ce dernier accepte de préfacer Bleu Ciel. Pour revenir à ta question sur la perception de Trezeguet, ce qui m’a aussi bluffé c’est que tous les grands joueurs que j’ai contactés dans tous ces pays ont de suite accepté quand ils ont su que c’était pour David. Que ce soit Del Piero qui ne donne pas beaucoup d’interviews, Buffon, Zidane, Henry qui préface pour la première fois un livre etc. Je me suis rendu compte à quel point Trezeguet était apprécié car c’est un joueur qui n’a jamais fait de vagues et qui a su rester humble. Il y a un terme qui est revenu à chaque fois c’est sa qualité de buteur, même Henry reconnait ne jamais l’avoir eu comme lui, Del Piero non plus alors que c’est le meilleur buteur de l’histoire de la Juventus de Turin… Tu sentais de l’admiration et c’est impressionnant venant de joueurs comme ceux-là.
Comment a réagi David Trezeguet quand tu lui as appris que Thierry Henry préfaçait son bouquin ? Des médias évoquaient à une certaine époque des relations tendues entre les deux joueurs, qu’en est-il réellement ?
F.T : Pour les deux, et j’ose croire qu’il ne sont pas langues de bois, il n’y a jamais eu de conflit et c’est quelque chose qui a été inventé par la presse. Henry m’a démenti le fait qu’il avait revendiqué de jouer dans l’axe que ce soit avec Roger Lemaire, Jacques Santini ou encore Raymond Domenech. Même Trezeguet est lucide sur ce point et m’a avoué qu’en 2006 quand Thierry Henry joue en pointe, l’Equipe de France marche sur l’eau et atteint la finale. Quelque soit sa relation avec Raymond Domenech à l’époque, il dit qu’il ne peut absolument rien reprocher et critiquer sportivement car le groupe termine en finale de Coupe du monde ! De plus, il ne croit pas un seul instant que Thierry Henry ait fait pression pour jouer en pointe. Le système de Domenech était basé avec une pointe, la place était pour Henry et les deux l’ont accepté ainsi. Pour tout dire, j’ai eu pas mal de difficultés à contacter Thierry Henry et un jour j’ai dit à son agent : Voilà, prends le numéro de Trezeguet et dis à Thierry qu’il le contacte car il vient d’arriver en Italie à Turin. Deux semaines plus tard, j’ai appris que Trezeguet était parti à Londres et qu’il a dormi une semaine chez Thierry Henry. Cela s’est super bien passé, ils étaient très contents de se retrouver car ils avaient perdu contact depuis que David avait quitté l’Europe. Mais ils m’ont assuré qu’ils étaient restés en bons termes et que chacun avait fait sa vie. Henry est parti à New York, Trezeguet est revenu en Argentine donc voilà. Personnellement, je l’ai appris par l’oncle de David qui m’a dit que cette semaine à Londres s’était super bien passée, qu’ils s’étaient ressassés pas mal de souvenirs, qu’ils avaient évoqué leur actualité, leur futur, comme deux vieux amis. Par la suite j’ai reçu un message de l’agent de Henry qui me disait : « C’est OK, tu peux venir à Londres quand tu veux ». Voilà comment ça s’est fait avec Thierry Henry. Par la suite, les deux compères m’ont même confié qu’ils n’avaient pas beaucoup d’amis dans le football, mais pour leur part ils se considéraient en tant que tels.
Trezeguet a passé ses diplômes d’entraîneurs il y a quelques mois. Zidane, qu’il connaît bien et qui intervient dans ton ouvrage, vient tout juste de prendre les commandes du Real Madrid. Qu’en est-il de son envie d’entraîner même s’il occupe actuellement la fonction de président des légendes de la Juventus Turin ?
F.T : Pour le moment, il a fermé la porte de ce côté-là. Lui il aime bien ce côté manager, directeur sportif voire même marketing mais il m’a confié que pour le moment ce n’était pas son projet tout en ne fermant pas complètement la porte. Il m’a toujours dit : « Peut-être un jour ». Mais pour l’instant, il préfère rester travailler dans l’ombre.
Finalement David Trezeguet, est-ce que ce n’est pas un grand champion avec un goût d’inachevé ? Une défaite en finale de Ligue des champions, il y a aussi ce fameux penalty face à l’Italie en 2006, son départ douloureux de River Plate après avoir contribué à sa remontée…
F.T : Oui c’est un peu ça, c’est triste d’ailleurs. La carrière de David se résume à un moment de joie et derrière il y a toujours un truc qui casse tout. Il est clair, et ça il me l’a aussi confié que de ne jamais avoir gagné la Ligue des champions reste le plus gros regret de sa carrière. Cette finale en 2003 face à l’AC Milan lui a toujours laissé un goût amer car il estime que Milan n’avait pas fait un bon match, tout comme la Juve d’ailleurs, mais ça se joue à la pièce et il rate aussi un penalty lors de la séance de tirs au but. En ce qui concerne River Plate, son club de cœur, il est un peu triste d’avoir terminé dans ces conditions parce que l’entraîneur ne voulait plus de lui (Ramon Diaz, ndlr) et il a trouvé cela injuste pour le coup. Mais Trezeguet n’est pas du genre à se plaindre, il estime que cela fait partie de son histoire, de sa carrière. Pour l’équipe de France c’est pareil, beaucoup d’anciens de 1998 trouvent dommage qu’il n’ait pas terminé autrement. Mais lui ne le perçoit pas exactement comme ça, c’est quelqu’un d’assez positif qui se dit qu’il a eu la chance d’être champion du monde, champion d’Europe, de gagner beaucoup de titres avec la Juve, d’avoir eu la chance de vêtir un jour ce maillot à la bande rouge sur le torse et c’est ce que l’on retiendra…
Une dernière question Florent, Bleu Ciel va paraître en français pour le moment. Une traduction en espagnol ou en italien, là où David Trezeguet a marqué l’histoire, est-elle envisageable ?
F.T : C’est un souhait et personnellement j’aimerais beaucoup que le livre soit diffusé un maximum. À Turin, il y a une vraie demande car il ne faut pas oublier que David Trezeguet reste le troisième meilleur buteur de l’histoire de la Juventus et le meilleur buteur étranger de l’histoire. Il a passé dix ans au club, c’est aussi l’étranger qui a passé le plus de temps dans le club donc il y a forcément un vrai amour dans cette ville qu’il nomme son « Lugar del Mundo ». En Argentine il y aussi un intérêt donc ça reste dans les tuyaux.
*Bleu Ciel, David Trezeguet, préface de Thierry Henry co-écrit avec Florent Torchut, paru chez Hugo Sport (2016), 17 euros.
Propos recueillis par Bastien Poupat à Buenos Aires en Argentine