En 2007, l’Union Berlin doit rénover son stade pour retrouver le monde du football professionnel. Mais pour le club de 3e division allemande, il est difficile de trouver l’argent nécessaire pour un tel projet. La direction a alors l’idée parfaite pour accomplir cette tâche à moindre frais : proposer aux supporters de le faire.
L’Allemagne fait figure d’exception dans le paysage footballistique européen : alors que les clubs des capitales européennes (Real, Atlético, PSG, Arsenal, Chelsea, Roma, Lazio…) ont tous des palmarès assez impressionnants, Berlin apparaît comme une morne plaine. Le Hertha se bat plus pour le maintien que pour l’Europe, et ne peut pas se targuer d’un soutien populaire comme les clubs précédemment nommés. Pour trouver des fans à la vie à la mort de leur club dans la capitale allemande, il faut descendre d’un niveau, pour aller en 2.Bundesliga. Le 1.FC Union Berlin est le deuxième club de la capitale de l’ex-RDA, mais le premier dans le cœur de ses habitants. Le club est en effet situé dans la partie est de la ville, sans pourtant se traîner une image de produit du football communiste.
Le Fussball en RDA était extrêmement contrôlé, le régime contrôlait le nombre de clubs, leurs noms, leurs divisions, leurs structures. Le club du quartier de Köpenick est passé sous différentes formules, changeant plusieurs fois de nom, en étant parfois forcé à la fusion avec d’autres équipes par soucis de productivité footballistique, signe que même les loisirs étaient tenus d’une main de fer par l’État communiste. Après bon nombre de pressions, une équipe autonome renaît définitivement en 1966 sous le nom de 1.FC Union Berlin. Le club fait le yo-yo entre l’élite du football est-allemand et son deuxième niveau, et ce jusqu’à la réunification. Dans les années 90, le club manque plusieurs occasions de rejoindre la 2. Bundesliga, pour des raisons soit sportives ou soit financières. En 2001, le club réussit l’exploit d’aller en finale de la Coupe d’Allemagne, que les Berlinois perdent face à Schalke. Mais ces derniers étant vice-champions d’Allemagne, l’Union devient le seul club de 3. Division dans l’histoire du football allemand à jouer en Coupe de l’UEFA. Coïncidence historique : le Hertha participe également à la C3 lors de cette saison. Mais c’est ici que commencent les premiers soucis avec le stade « An der Alten Försterei », (traduire « à la vieille maison forestière »). Celui-ci n’est pas aux normes de la fédération européenne, et l’équipe doit jouer ses 4 matchs de tour préliminaire au Friedrich-Ludwig-Jahn-Stadion, dans lequel s’est également tenue la finale de Ligue des champions féminine 2015.
Un nouveau stade pour de nouvelles ambitions
La nécessité d’une nouvelle enceinte grandit de jour en jour. Entre 2003 et 2005, plusieurs propositions sont formulées par des architectes, allant jusqu’à 30.000 places. Mais l’argent reste un problème pour chacun des projets. Le nouveau président Dirk Zingler, venu renflouer le club quand il était au bord de la banqueroute, réagit à l’impatience des supporters en promettant en 2007 que le club trouverait quoi qu’il arrive un moyen de rénover l’ancien stade ou d’en construire un nouveau. Il se tourne dans un premier temps vers les pouvoirs publics, mais aussi bien la ville-état de Berlin que le Land entourant la capitale allemande, le Brandebourg, n’offrent pas assez pour un quelconque projet. Vient alors l’idée qui va rendre ce projet complètement unique : impliquer les supporters dans les travaux.
Ceci va se faire de deux façons différentes. Le club va dans un premier temps chercher à récolter plus de fonds. Pour cela, des parts du futur stade sont vendues à 500€ l’unité, exclusivement aux supporters de l’Union. Comme même la direction reconnaît que ce prix est assez élevé, des offres de financement sans intérêts sont proposées aux revenus les plus modestes, notamment des paiements en plusieurs échéances. Mais ce qui rend cette idée unique est la proposition qui a été faite aux aficionados de l’Union de travailler bénévolement sur le chantier du stade.
À la fin d’une saison 2007-2008 où les Berlinois ratent de peu la montée en 2. Bundesliga, les travaux commencent « An der Alten Försterei » le 2 juin. Pour la participation des supporters, une action est lancée : « Kiek an, wir bauen », qui est un jeu de mots qui signifie en berlinois « Regarde, on construit » mais « kiek » renvoie au terme footballistique « kick ». Les bénévoles sont tout de suite présents, ils veulent voir leur stade de toujours rénové, et prêt pour une éventuelle montée au deuxième étage. Le bétonnage de trois des quatre tribunes doit se terminer en août, puis le stade doit obtenir un toit et une pelouse chauffée. Mais l’opération est beaucoup plus longue que prévue, et les joueurs de l’Union vont passer la saison entière au Friedrich-Ludwig-Jahn-Stadion. Le bétonnage prend beaucoup plus longtemps que prévu et se termine uniquement en janvier. De ce fait, l’inauguration du stade est progressivement repoussée, d’octobre à janvier, de janvier à mars, de mars à mai.
Mais cela ne s’arrête pas là : le club rencontre ensuite des difficultés avec l’entreprise qui doit monter le toit. Cette partie ne pouvant pas légalement être laissée à des bénévoles, outre l’aspect extrêmement dangereux, Union Berlin embauche une entreprise slovaque, Omnec, pour couvrir leur nouvelle enceinte. Celle-ci avait promis de travailler dans un premier temps durant la période de Noël, mais a dû attendre la fin du bétonnage. Après cela, la firme commence à repousser petit à petit le moment de son intervention et les supporters s’inquiètent. Même si le président tente de les rassurer, lui aussi doit se rendre à l’évidence, et ce sera une entreprise autrichienne qui prendra le relais à partir du mois d’avril. Enfin une date de réouverture peut être définie : le 8 juillet 2009. Même si des ajustements ont lieu jusqu’aux derniers moments, cette date est maintenue, et cette fois, le match amical contre le Hertha Berlin, déjà prévu lors de la première date d’inauguration, peut se tenir. Les Est-Berlinois perdent 3-5 mais gagnent un stade dont ils sont fiers. Tellement qu’ils veulent aller encore plus loin.
À la nouvelle maison forestière
Malgré tous ces travaux et un déménagement provisoire, le club parvient à monter en 2. Bundesliga après avoir fini premier de 3. Liga. Même si le stade est comme neuf, il reste quelques manquements pour être en parfaite harmonie avec les normes du football professionnel allemand. Les dirigeants vont alors poursuivre l’effort en rénovant la tribune nord, seule tribune aux places assises, et en profiter pour régler les derniers détails dans l’enceinte. Dans un premier temps, le club voulait poursuivre la rénovation dès la saison suivante. Mais le problème qui s’était posé dès 2007 se pose de nouveau : il faut de plus grands moyens financiers. Pour ces nouveaux travaux, le club a besoin de 15 millions d’euros. L’Union va de nouveau se tourner vers ses supporters avec une nouvelle vente de parts du stade, pour une valeur de 3 millions d’euros. Le club lui-même fournit 2 millions mais ce seront surtout les sponsors qui vont fournir le plus d’argent : l’entreprise de management sportif UFA sports finance la tribune à hauteur de 3 millions d’euros et la banque DKB offre 7 millions. Malgré ce financement corporatiste, le stade peut garder son nom traditionnel et les travaux sont lancés en mai 2012.
Les travailleurs volontaires démontent l’ancienne tribune en seulement un mois. La véritable construction de la nouvelle tribune débute donc au mois de juin et les supporters ne manquent pas à l’appel. Cette partie du stade doit comprendre quatre étages, un espace VIP pour 1.700 personnes et en tout et pour tout 3.557 places assises. Celle-ci doit être prête pour l’été suivant. Cette fois le problème n’est pas d’ordre pratique, mais d’ordre financier. La construction est finalement plus chère que prévue, et le club va demander de l’aide auprès de la ville-état de Berlin. Celle-ci accepte finalement de verser plus de 3 millions d’euros, et la tribune peut être terminée sans aucun nouvel obstacle. Dès le mois de juillet 2013, les constructions sont terminées et Union Berlin inaugure sa nouvelle tribune lors d’un match amical face au Celtic Glasgow, que les Berlinois emportent. Cette part de l’enceinte fait 23,5 mètres de hauteur pour 100,5 mètres de largeur, un accomplissement exceptionnel lorsqu’on sait que le plus gros du travail fût réalisé par des bénévoles. Le stade compte désormais 21.873 places et aura nécessité l’aide de plus de 2000 personnes. Beaucoup, notamment dans les médias locaux, ont renommé l’ancien « Stadion an der alte Försterei » (stade à la vieille maison forestière), « die neue Försterei » (la nouvelle maison forestière).
Des discussions ont été entamées depuis quelques mois, pour définir si « die Alte Försterei » doit être encore agrandie dans les années à venir. Mais ce chantier pose la question de la proximité entre les clubs et leurs supporters. La ligue de football allemand a permis au football de rester populaire dans une certaine mesure grâce à la règle du 50+1. Cette règle interdit aux clubs de football professionnels d’appartenir à une seule entité à plus de 50%. Il existe certes des exceptions, mais celles-ci sont strictement régulées par la Ligue et la Fédération. Ainsi les clubs sont obligés d’impliquer leurs supporters, de Berlin-Est à Munich. L’exemple de l’équipe de Köpenick reste néanmoins une exception. Le surnom du club « Eisern Union », l’union en acier, ne peut pas être plus approprié pour un club si proche de ses supporters qu’il peut leur demander de reconstruire eux-mêmes le stade. C’est la continuité naturelle d’une relation de confiance. Une vraie relation en béton.
Sympa l’article. Une histoire qu’il faut connaitre. Ce sont des entreprises qui marquent l’histoire d’un club.
Curieux de savoir ce qu’en disent les joueurs.
Petit bémol concernant la traduction du terme ‘Eisern Union’, qui réfère directement au Eiserne Vorhang, le rideau de fer. Le lecteur non-germanophone raterait alors le lien entre le surnom du club et le passé relativement récent de tout un pays – voire de toute l’Europe.