La Grinta a réuni quatre anciens membres des Collègues, une section d’un groupe de supporters de l’Olympique de Marseille. La spécificité de cette section, c’est que les supporters ne sont pas de la région marseillaise. Du coup, c’était plus facile pour eux d’aller en déplacement qu’au Vélodrome. Et dans leur cas, tout match était un déplacement en soi. Des histoires à raconter, ils en ont un paquet.
Salut. Vous étiez tous regroupés dans une section qui s’appelait les Collègues. Vous pouvez la présenter ?
Mich : Les Collègues ont été créés suite à un désaccord avec une autre section de supporters qui s’appelait les Phocéens, qui venait de région parisienne et de la région Centre. On a créé les Collègues en 2000-2001. À la base, on était 50 abonnés et, en gros, 120 personnes qui suivaient, filles et garçons confondus. Le président et fondateur s’appelait Lionel. Au bout de 3 ans et demi, il a volé la caisse, avec 24 000 euros… J’étais trésorier de l’asso au bout de la deuxième année. Ensuite, des Gremlins se sont greffés sur ces 50 supporters ! Des personnes d’autres horizons quoi.
Blond : C’est pas nous les Gremlins ?
Mich : Si, entre autres ! Non, vous c’était le Clan Campbell Crew, CCC !… On faisait du car toutes les semaines, mais aussi du J9, train, avion. En 2000-2001, les Collègues ont commencé en flèche, ils étaient bien vus des Marseillais tout simplement parce que, à l’extérieur, c’était nous qui bâchions Dodgers par exemple. C’était des Parisiens qui faisaient ça. On leur disait qu’on n’était pas parisiens – on est banlieusards. Ils étaient maximum 5 ou 6 personnes de Paris même. C’est pas la même chose, c’est important, même si pour eux on était des Nordistes dès qu’on avait passé la Loire, où même le Rhône! Des supporters de Marseille, y en a partout, dans toute la France, en Guadeloupe, en Guyane, partout dans le monde. Les Collègues ont avancé, on a été 70 abonnés, aujourd’hui ils sont 33. La majorité était déjà là en 2000-2001. Les gens sont partis et la relève ne s’est pas faite. Certains sont descendus à Marseille et ont intégré d’autres groupes. Depuis le titre de 2010, il y a eu moins de résultats et de moins en moins de monde, y compris à Marseille même.
Vinz, Blond et K, vous êtes de Conflans (Yvelines), comme d’autres mecs des Collègues. Comment avez-vous intégré la section ?
Vinz : Le premier contact avec les Collègues date de l’époque où moi et un pote, DJ, faisions des déplacements en latéral. À chaque fois, on voyait les virages et on avait vraiment envie de les intégrer. On s’est renseigné, un Yankee nous a donné le numéro d’un Collègue par hasard. Entre temps je suis parti à l’armée, DJ s’est présenté à une réunion des Collègues. Il y avait du Ricard à volonté et il a grave kiffé !
Blond : Même les mecs de Conflans, je les ai rencontrés dans le bus. On s’était déjà croisé, mais ce sont les déplacements qui nous ont soudés.
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Alors pourquoi Marseille, vous les mecs de la banlieue de Paname ?
Mich : Moi, j’ai 34 ans, et dans les années 90, il n’y avait que l’OM. À l’école, on ne parlait que de l’OM. À la télé, pareil. Ma famille vient du sud de l’Italie, tout correspondait. Dès la quatrième, c’était l’OM, et puis ça a pas lâché.
K : Pareil… 26 mai 1993, ils gagnent la première Ligue des champions. Forcément, tu deviens fan. Paris, chaque fois qu’ils jouaient contre Marseille, ils se prenaient une rouste. Donc forcément, t’es pour Marseille…
Vinz : Pareil. Tous les potes, à l’école, étaient pour Marseille, c’était ultra rare de croiser un mec qui supportait le PSG.
K : Je me rappelle d’une époque où tu croisais un mec qui portait le maillot de Paris, tu le charriais carrément.
Comment c’était d’être supporter marseillais à Paris ? Il y a eu des histoires avec les supporters du Paris Saint-Germain ?
Mich : Il y en a eu vers la fin, avec le phénomène des stickers… Au début on ne le faisait pas trop. Quand c’était discret, ils te cassaient pas la tête, ça se voyait pas qu’on était supporters marseillais, c’était pas écrit sur notre front…
Blond : On a démarré par faire le truc Marseille Fans, c’était hyper large. On voulait regrouper plusieurs groupes et faire quelque chose de plus indépendant. Des mecs de chez nous sont allés sticker le Parc, et comme ils avaient plus de stickers Marseille Fans, le gars en question a remplacé par des stickers Collègues. On était ciblés direct. Stickers Collègues au Parc des Princes, avant un Paris-Marseille, c’était pas malin… Au début c’était gentillet, c’était assez familial, un peu comme les Dodgers.
Mich : Après ça a un peu dévié, dans chaque groupe et chaque association je pense.
Vinz : Le but des Collègues, c’était de rester famille.
Blond : Fais pas semblant que t’étais en mode famille toi ! Il était en mode Clan Campbell !
Ce qui est bien, c’est qu’on entend vachement les mecs de Bolton
Vous qui avez fait un paquet de déplacements, vous êtes d’accord sur les matchs ancrés dans les mémoires ?
Blond : Moi je mettrais un match avant tous les autres, c’est Marseille-Nancy, match en hommage à Flo, 6-0.
K : J’allais le dire.
Blond : C’est ce match qui nous a fait aller au stade beaucoup plus souvent. On a bombardé après.
K : Flo c’était un pote à nous, à Vinz, moi je l’ai rencontré au lycée… Il a commencé à peu près en même temps que nous à aller au stade. Premier match contre Anvers, 0-0. Après c’était Nantes, 1er avril. J’avais juré que si Niang faisait un doublé, je me faisais floquer son nom sur le maillot, mais je l’ai jamais fait ! Il n’en faisait pas une à l’époque, c’était sa première année, il était naze, et là il met un doublé ! Deux jours après Flo trouve un job, ça faisait un bon bout de temps qu’il n’avait pas bossé. Sur la route, en partant à 9 heures du mat, il a un accident de moto et décède.
Du coup… j’ai bien kiffé la solidarité qu’il y a pu avoir. Même au Vél’, on nous a permis de faire un petit événement lors du match Marseille-Nancy. Il y a eu beaucoup de solidarité dans le stade. Sa photo a été projetée sur l’écran géant du stade Vélodrome, c’était super émouvant. On a fait un putain de craquage massif, c’était le meilleur hommage qu’on puisse lui faire. Et comme tu disais Blond, je pense que c’est le déplacement qu’il faut retenir. C’est celui-là. Et puis on gagne 6-0 quoi ! C’est pas tous les jours.
Blond : Et l’année d’après on gagne 3-0 contre Lille. Pendant un bon bout de temps, on se déplaçait toujours avec la bâche Flo, on avait toujours les étendards, on a fait des stickers, des chants, des tee-shirts. On avait toujours quelque chose jusqu’à la fin.
La preuve que les souvenirs sont liés à la vie intime du groupe, plus qu’à l’équipe ou à tout autre chose. Si je comprends bien, Flo était du CCC, lui aussi ! Si on laisse de côté ces magnifiques hommages qui vous suivront à tous les matchs, vous avez d’autres déplacements en tête pour les Collègues ?
Mich : On va tous être d’accord sur un déplacement, c’est Bolton.
Blond : On ne va pas être tous d’accord car les deux autres n’étaient pas là ! Au déplacément pour Bolton, on a passé 4 heures à la douane parce que Sbarrow, un collègue, nous a montré son cul… il avait pas noté la présence d’une porte en face, et deux petites filles de 14 ans sont passées et ont vu sa bite… (forcément, on se marre) leur père a porté plainte. On a perdu 4 heures à l’aller et au retour, traqués par les flics et les douaniers français et anglais ! Ils ont perquisitionné le bus, les vidéos, tout ! On a quand même pu voir le match, mais un pote s’est fait attraper, et le plus drôle, c’est qu’il n’avait absolument rien à voir là dedans ! Il est resté au poste pendant le match et a eu une interdiction de territoire pendant 5 piges ! Le match en lui-même, je sais même plus combien y a eu…
Mich : Je ne sais plus non plus !
Vinz : Si, 0-0, match de merde. Mais c’est clair que le match n’était jamais ce qui faisait un bon déplacement.
Blond : Le match on s’en foutait en fait !
K : Tu te souviens Moscou, Mich ? En 2008 ? J’en ai une bonne pour ce match ! Le club affrète un avion pour les 200 supporters de Marseille. L’avion décolle, t’as de tout, des Winners, des Commandos Ultra, des Fanas, puis nous. À un moment donné il y a un mec des Winners, il doit avoir peut-être 34 ans à l’époque… il attend que l’avion décolle, se roule un joint et commence à le fumer dans l’avion ! Le stewart arrive et lui dit, « non mais messieurs, vous êtes dans un avion, vous n’avez pas le droit de fumer, qu’est ce que vous faites… ». Il le regarde, et il lui dit (avec l’accent marseillais), « oh, tu crois que l’avion va faire demi-tour, allez, va te faire enculer ! ». Normal, le mec quoi ! En arrivant là-bas, on est cerclé par les militaires qui nous laissent sur la place Rouge et nous donnent 3 heures. On revient un peu à la bourre, le bus nous amène au stade… Au stade, on s’éparpille un peu tous… Je me retrouve avec DJ et Valence. DJ est ivre mais il rentre, Val’ pareil, et moi, le militaire me regarde, et me bloque. Il me fait (avec l’accent de l’Est) « for you, tonight, no football ». Il avait un chien sans muselière, une sorte de berger allemand, et le mec me met un coup de matraque et me fait signe de partir. Là je vois quatre ou cinq mecs, des Russes, qui veulent me tirer mon écharpe… je tombe sur un Collègue, Canto, qui appelle Colette ou Cazadamont, je sais plus, qui appelle à son tour le chef de la sécu, l’embrouille de fou… Cazadamont négocie avec le chef de la sécu du stade qui finalement me laisse rentrer. Le mec avait grave le mort ! Il m’a regardé jusqu’à la fin et voulait me tuer ! Ça devait être par rapport à mes origines suédoises (K. n’est pas suédois, sauf si la Suède est au sud de la France).
Mich : Le voyage à Dublin, qui n’était pas un déplacement, est un très bon souvenir aussi, tout comme les tournois antifascistes. Organisé par plusieurs groupes, ça regroupait les supporters antifascistes. On a participé à un de ces tournois organisé par Liège en Belgique, avec les Winners Saint-Quentin, des mecs de Rennes, Bordeaux, Sainté, deux mecs de Paris des Lutèce de l’époque, ou Supras, je sais plus. Bouffe, boisson, football, sympa. On rigolait bien à ces tournois, on dormait sur place, dans des tentes.
Blond : Il y avait Lens aussi, car DJ s’est ensuite fait plumer sa casquette en déplacement à Lens par des mecs de Lens avec qui il avait bu l’apéro quelques jours auparavant ! Sinon, y avait aucune embrouille dans les tournois, même pas avec Vinz, pourtant il a essayé !
Vous avez vu pas mal de stades à l’étranger. Les ambiances à envier ?
Mich : On a fait Moscou, Dortmund, Munich, Madrid, Bolton, Liverpool… Les plus belles ambiances c’est Milan et Liverpool. Liverpool on en fait tout un pataquès, avec leur hymne, en fait, le CD est lancé et tout le monde chante. N’empêche, c’est beau quand même. Anvers en Belgique est pas mal aussi.
Blond : En Angleterre, ils chantent de temps en temps et puis se taisent. Sinon Sankt Pauli, que je n’ai pas fait avec Marseille, c’est vraiment quelque chose. Les joueurs sont là pour leur tribune, ils vont voir tout le monde à la fin du match, ils viennent chanter avec les supporters, en France tu vois jamais ça…
Mich : L’amour du maillot. Nous, c’est tout juste s’ils viennent nous dire bonjour. Faut presque les forcer. C’est pareil pour tous les clubs français. C’est une histoire de mentalité.
Des ambiances en France ?
Tous d’accord. Sainté.
Mich : Ils sont au-dessus, à Sainté, niveau tifosi, niveau ambiance.
Même pas le Parc ?
Mich : Le Parc, au niveau sonore, certes. Mais quand y avait des supporters… Des vrais. Pas les pseudo-supps.
Blond : Monaco c’était bien aussi, on entendait que nous !
Mich : À Monaco t’es chez toi!
Vinz : L’ancien stade de Nice (Le Ray).
K : À l’ancienne. En bois. T’as l’impression que ça allait s’effondrer…
Aucun de vous ne fait plus partie des Collègues. Quand est-ce que vous avez arrêté et pour quelles raisons ? Vous retournez au stade de temps en temps ?
K : J’ai fait partie des Collègues de 2004 à 2009. J’ai continué ensuite en indépendant, mais avec le boulot, j’ai plus le temps.
Mich : J’ai arrêté il y a trois ans, en 2012. 12 ans en tout, de 2000 à 2012. Pareil, je n’ai plus le temps, je gère un club de foot maintenant. Mon pote est président et moi vice-président. Ça marche bien.
Vinz : De 2004 à 2009… Je suis arrivé chez les Collègues quand je suis rentré à l’armée en 2004. Pour la fin… un jour j’appelle Mich en 2009, ma dernière année de l’armée, et il m’annonce que je me suis fait virer. C’était pour le premier match de la saison, Marseille-Strasbourg.
Blond : J’ai fait le dernier match en 2010. J’ai commencé par un Saint-Étienne-Marseille et j’ai fini par un Saint-Étienne-Marseille. Il était pourri d’ailleurs ce dernier match… Il faisait très froid et on était à 3 pèlerins au milieu de la tribune, tous les autres étaient en bas. Puis j’ai eu des enfants… j’avais déjà ralenti les déplacements, certaines personnes qui ont intégré les Collègues m’ont cassé les couilles à un moment donné. Ils ont cassé notre délire. Au début, c’était marrant, pas trop sérieux. Après c’est devenu pourri. Je venais avec mon frère qui supporte Paris et on le faisait chier.
Vinz : Leur délire c’était de trouver un numéro de supporter pour aller le taper.
Mich : Ces mecs-là ont fait un an, 2009.
K : J’ai continué à faire des déplacements avec eux, en indépendant. Ils continuent encore, par leurs propres moyens. Ils sont allés à Valenciennes, ça a été annulé, à Bordeaux, à Naples… Mon dernier match c’était à Reims en 2012. Je pense que je vais y retourner de temps en temps.
Blond : Quand le stade sera terminé, j’emmènerai les deux petits et ma femme en virage. On est déjà allé dans le parcage à Rennes-Marseille en 2011 avec le petit.
Vinz : J’ai envie parfois mais c’est difficile. Ça bouffe le week-end entier, c’est des sous, du temps…
Mich : Ce qui est sûr, c’est que si on y retourne, ce sera en virage. On va pas se foutre avec les beaufs à Jean Bouin ou en Ganay (tribunes du stade Vélodrome) !
Blond : On a toujours dit qu’un jour on se referait un déplacement tous ensemble.
Ça vous manque pas trop ?
Mich : Mes potes me manquent, certains stades, certaines personnes de Marseille, ça reste 12 ans de ma vie…
Blond : On avait presque tous un surnom chez les Collègues. Gros Porc, Canto, Sbarrow, Harry Potter, Valence, le Gendarme..
Vinz : Mich était le trésorier, celui qui essayait d’apaiser les tensions…
Blond : C’était l’intermédiaire avec le président, Mich acceptait beaucoup de choses de nous, que les autres ne pouvaient pas accepter. C’était un peu notre papa, même s’il n’est pas beaucoup plus âgé que nous. K, c’est celui qui dormait jamais en déplacement ! Il ne se drogue pas, mais il ne dort jamais. Vinz, c’est le mec ingérable dès qu’il a une dose d’alcool!
Mich : Blond, c’est celui qui roulait des trucs, et lançait les chants.
K : Et le mec qui gueule tout le temps.
Vinz : Le casse-couilles !
Les Collègues ont donc changé…
Mich : Ils sont 33 désormais. Beaucoup sont partis de la région parisienne, certains ont eu des enfants. Ils n’ont plus le temps. À un moment donné, il y a un renouvellement à faire. On était un peu trop sectaires, les mecs n’osaient pas rentrer chez les Collègues. C’est pour ça qu’il y a moins de monde…
Vinz : Les mecs venaient essayer, on était tellement cons qu’ils ne revenaient jamais…
Mich : On avait le droit de faire tout ce qu’on voulait dans le bus, et la fumée gênait les gens. On utilisait toujours un bus depuis Conflans qui était géré par un couple de Conflans. On respectait beaucoup ces gens-là. En arrivant, Vinz, K, Blond et d’autres, nettoyaient toujours. On a même été invité à leur mariage.
Vous étiez quand même vachement motivés.
Blond : Nous quand on allait à Marseille, on était à domicile, mais à 900 bornes de chez nous, donc forcément on était chauds bouillants contrairement aux autres. Ceux qui sont à Marseille, ils habitent à côté du Vélodrome, c’est banal pour eux d’aller au stade. Un déplacement c’est pas pareil, ils ont décidé de se déplacer, ça bouge beaucoup plus.
Mich : C’est pareil pour tous les clubs et tous les groupes. Enfin si tant est qu’il reste des groupes… Je pense au Paris Saint-Germain qui n’en ont plus, malheureusement. Malheureusement ou heureusement, je ne sais pas dans quel sens il faut le dire. Les interdictions de stade, ça tombe dans tous les sens. Il a répression, c’est à l’image de la France.
Blond : Tout ce qu’on amenait dans les stades ne serait plus toléré maintenant. Les drapeaux, tee-shirts, on ne pourrait plus faire comme avant.
Merci à Blond, K, Mich et Vinz