Alors que les informations au conditionnel affluent autour de l’avenir à l’Olympique de Marseille de Marcelo Bielsa, partons de cette incertitude momentanée pour nous replonger au sein de l’intersaison 2011-2012 à l’Athletic Bilbao. L’équipe basque vient de vivre une saison haletante bien que cruelle et tout un peuple n’attend qu’une seule chose : la reconduction de leur entraîneur pour la saison suivante.
25 mai 2012. 22 heures, finale de la Coupe du Roi entre l’Athletic Bilbao et le FC Barcelone. La bande à Iraola, Muniain et De Marcos à l’occasion de terminer la saison sur une bonne note, un titre que le club attend depuis 1984. Mais l’attente laissera place à la douleur. L’équipe basque est sèchement battue 3-0 comme elle l’avait été quinze jours plus tôt en finale de l’Europa League face à l’Atletico Madrid de Simeone. Les supporters viennent d’assister, incrédules, à l’impuissance de leurs joueurs, très loin d’imaginer qu’ils assisteraient à pareil spectacle. Mais au stade Vicente-Calderón, lieu de la finale, l’entraîneur argentin bénéficiera d’un inhabituel concert de chants en son nom (les classiques « A lo loco se vive mejor » – On vit mieux dans la folie – et « Bielsa quedate » – Bielsa reste -).
Bielsa réfléchit jusqu’à l’obsession. Malgré ces deux défaites indiscutables, il sait que l’afición de l’Athletic le soutient. Il connait également déjà la volonté de Josu Urrutia, le président, très clair à l’heure des bilans : « Nous travaillons seulement sur un projet, celui que Marcelo soit l’entraîneur la saison prochaine. » Ce seront ses derniers mots de la saison 2011-2012.
Bielsa, lui, a mis les choses au clair en amont en déclarant qu’il se prononcerait sur son avenir une fois la saison terminée. Avant d’ajouter que la décision ne dépendait pas que de lui. Au soir de la défaite, fidèle à lui-même, il déclare : « Je suis une des parties. Je pense qu’au cours de la prochaine semaine ce sujet devrait être définitivement résolu dans un sens comme dans un autre. Nous venons de perdre 3-0 d’une manière si éloquente et nous avons déçu tant de personnes, vous imaginez bien que parler de ce sujet, vraiment, je me sens irresponsable. »
Le football plutôt que les chèques
Comme toujours, la pudeur de son discours prévaut face à la désillusion quelques minutes à peine après la fin du match. Mais les âmes de milliers de supporters commencent à s’inquiéter. Pour ne rien arranger, quelques dirigeants commencent de leurs côtés à montrer quelques signes d’inquiétude par certains détails laissés par l’entraîneur. Absorbé par la compétition, les entraînements constants, les voyages et les matchs, Bielsa ne s’est pas préoccupé d’encaisser les chèques de ses émoluments qu’il recevait régulièrement chaque mois. Le directeur général du club, Jon Berasategi, lui donnait tous les mois ses bulletins de paie que, systématiquement, l’entraîneur gardait dans ses papiers. Il n’avait pas le temps, ou plus simplement, ne se souciait pas de s’en occuper, preuve de son faible intérêt à tout ce qui ne concerne pas le football.
Pour prendre sa décision, et comme il l’a lui-même affirmé au préalable avec Josu Urrutia, Bielsa a mis beaucoup de choses sur la balance. L’une d’elles est sa relation avec les joueurs, et celle-ci n’a pas toujours été idyllique comme on a pu nous le vendre. Si tous les joueurs ont loué le travail de l’entraîneur et que Marcelo Bielsa faisait de même envers l’engagement de son groupe, la saison n’a pas été un long fleuve tranquille. Précisons, les conflits les plus significatifs ont eu lieu lors des dernières semaines, quand les joueurs ont peu à peu flanché à mesure que la quête de titres grandissait.
Une fin de saison tendue
23 avril, lendemain de victoire face au Racing Santander (1-0), Bielsa met en place une petite opposition et Fernando Llorente n’est pas sensible aux blagues de certains de ses coéquipiers : « Une star comme toi, comment tu vas jouer ? », lui disent-ils de bon ton. La veille, Llorente a été sorti à la 65ème minute, le joueur souffrait de douleurs au genou. Peu emballé à l’idée de jouer, l’attaquant décide d’en faire part à Bielsa : « Mister, il serait mieux que je ne fasse pas l’opposition. Jeudi, nous avons un match (demi-finale retour en C3 face au Sporting Portugal, ndlr) et je ne veux pas insister. » Avant de donner un autre argument : « J’ai dû porter ma grande carcasse cette saison et je ne récupère pas comme un autre joueur, je pèse plus de 80 kilos. » Bielsa le prend mal, et lui reproche immédiatement son attitude. Au final ? Pas d’opposition pour le joueur avant que trois jours plus tard, l’Athletic ne se qualifie pour la seconde fois de son histoire en finale de Coupe d’Europe grâce à un but de… Llorente à la 88ème minute. Un match historique. Dans les vestiaires, alors que les instincts festifs se calment, Bielsa s’approche de Llorente et lui lance : « Tu as gagné une bataille mais tu n’as pas gagné la guerre ». « Quoi ? », lui demande Llorente, distrait. « Vous avez gagné la bataille, mais pas la guerre », lui répond dans la foulée Bielsa sous l’air, halluciné, du reste du groupe. Le match suivant, face à Saragosse, Llorente a commencé le match sur le banc.
15 jours avant, le groupe avait pu observer une scène similaire. Déjà face au Sporting Portugal (demie-finale aller de C3), dans les vestiaires du stade José Alvalade de Lisbonne, l’Athletic vient de s’incliner 2-1, et Bielsa reproche à voix haute la performance du capitaine Andoni Iraola. Le joueur, exaspéré, lâche alors : « S’il continue comme ça, je me casse. Le prochain match, il va se le mettre… ». Élément indispensable à l’équipe, le capitaine jouait depuis plusieurs semaines sous infiltrations. Blessé, il l’est à tel point que le défenseur est indisposé à une potentielle participation à l’Euro (alors qu’Arbeloa est dans le même temps critiqué). Les dossiers médicaux des médecins du club envoyés à la fédération espagnole stipulaient à Vicente Del Bosque qu’il était préférable que le joueur ne soit pas convoqué.
En cette fin de saison, les cadres du vestiaire ne comprennent pas l’attitude de leur entraîneur. Ander Herrera souffre d’une pubalgie et se voit affublé d’un cinglant « reste un lâche » par l’Argentin quand le relayeur lui suggère de le mettre quelque temps au repos pour être au mieux de sa forme lors des matchs-clés. Le remplacement de Fernando Llorente en finale de la Coupe du Roi à quinze minutes de la fin du match n’a pas non plus été accepté par le groupe, et encore moins par le principal intéressé. Ainsi, quand un journaliste radio demande à ce dernier son avis sur la prolongation de Bielsa, il répond que « chacun sait ce qu’il a à faire. »
À la recherche d’indices
Mais ces conflits n’ont pas changé l’opinion des joueurs : c’est grâce à l’arrivée de Bielsa s’ils ont progressé. Le désir général tend vers sa reconduction à la tête de l’équipe. L’hésitation provient davantage de Bielsa lui-même, appliqué à passer tous les aspects au crible et désireux de dialoguer avec les cadres de l’équipe (il s’entretiendra avec Iraola et Gurpegui). Dans l’attente, ses adjoints, même les plus proches, ne connaissent pas sa décision. Ni Luis Bonini, ni Claudio Vivas, ni Diego Reyes, ni Pablo Quiroga. Des fidèles qui, de leur côté, préfèrent rester pour la tranquillité et la qualité de vie de la ville.
Malgré l’inconnu sur l’avenir de l’Argentin, quelques indices ont fait surface. Par exemple, le technicien a été renouveler sa carte de vidéo club où il avait l’habitude de louer des films qu’il regardait pendant ses heures de repos. Bielsa est un passionné de cinéma (en particulier du cinéma espagnol) et il allait régulièrement s’y approvisionner. Il aurait aussi pu se servir de cette habitude pour alimenter le flou autour de son avenir…
L’indice le plus sérieux est parti d’une simple photo prise par un journal local où l’on voit l’Argentin au croisement des rues Egaña et Alameda près de San Mamés. De cette photo, le journal n’établit aucun lien avec quoi que ce soit, mais le site El Desmarque Bizkaia le fera à la place dudit journal. Le site entame une enquête à son compte, en se rendant aux rues identifiées. Sur cette place, se trouve le commissariat central de la Police Nationale de Bilbao. Lieu central pour les démarches administratives : renouvellement de papiers ou obtention de passeport. Les journalistes ont alors découvert que Bielsa et ses adjoints avaient été amenés à renouveler leur permis de résidence/de séjour qui expirait en juillet. La délégation du gouvernement a confirmé que la demande avait été effective et que le technicien et ses adjoints, comme le prévoit la loi, avaient obtenu un renouvellement automatique pour deux années supplémentaires.
Une attente sur fond de rumeurs
Si la décision de Bielsa reste en suspens, elle le reste aussi bien pour les supporters que pour le conseil d’administration. Comme il le révélera plus tard, l’Argentin continuait de méditer. L’effectif a-t-il atteint son plafond de performance ? Les deux finales perdues l’ont très fortement marqué. Il se sentait « honteux », « le responsable n°1 » de ces deux défaites. De l’espoir qu’il avait su faire renaître chez les supporters, il ne lui restait que le goût amer de la fin de saison. C’est ainsi qu’il continua à se rendre à Lezama (le centre d’entraînement) chaque jour, du matin jusqu’en fin d’après-midi, pour se réfugier dans le travail, sans rien dire, évidemment.
Et si au début de la semaine suivante se répand l’information selon laquelle Fernando Llorente a signé à Arsenal pour 30 millions d’euros (alors que Llorente est à Paris pour suivre Roland-Garros, et il n’est nullement question de sa clause libératoire de 36 millions d’euros, seul élément permettant au Basque d’être transféré), les discussions entre Bielsa, Urrutia et José Maria Amorrortu (directeur sportif) se poursuivent.
L’heure est aux exigences de l’entraîneur. Des exigences contradictoires puisque selon certaines sources, Bielsa veut vivre à Lezama quand d’autres affirment qu’il a déjà acheté une demeure en Biscaye. Pour quelques journalistes argentins, il aurait donné une liste de transferts prioritaires bien qu’il ait toujours dit qu’il n’exigeait aucun renfort. Son nom a été évoqué à Barcelone après le départ de Guardiola (Tito Vilanova prendra sa succession), il a été dit que l’Athletic n’était qu’un club de passage, etc. En définitive, personne ne savait quoi que ce soit sur ses intentions. De l’écrit sur du sable, pour remplir le journal.
De son côté, l’entité basque était satisfaite du travail de l’Argentin et témoin durant la saison de l’unanimité des supporters à son sujet. Même si ces derniers étaient défaits et meurtris, Bielsa n’a jamais été considéré comme un problème, mais comme une solution. Et c’est le 3 juin 2012, par le biais d’un communiqué sur le site officiel du club, qu’ils ont pu respirer.