Il a été le fidèle compagnon de Marcelo Bielsa, son adjoint et son confident lors de ses premières aventures au Mexique comme lors de ses passages par les sélections argentine et chilienne. Il a aussi accompagné Bielsa lors de son séjour furtif à l’Espanyol Barcelone ou lors de ses deux saisons frénétiques à l’Athletic Bilbao. Et c’est précisément là-bas que les deux hommes ont pris la décision de séparer leurs routes après plus de deux décennies de travail en commun. Si une personne connaît Bielsa, c’est bien Luis Bonini. Son rôle au sein du staff est majeur dans le lien à faire entre le technicien et l’effectif. Bonini est la figure la plus proche des joueurs. L’ami et le motivateur. L’ancien préparateur physique décédé il y a quelques jours s’était confié à Marca à propos de son passage à Bilbao, du Chili, des contacts avec le Real Madrid, et de sa relation de plus de 20 ans avec Marcelo Bielsa.
Vous avez côtoyé Marcelo Bielsa pendant plus de 20 ans. La décision de mettre fin à votre relation était-elle difficile ?
Ça a été difficile, oui. Avec Marcelo, on se connaissait tellement bien qu’un regard suffisait pour savoir ce que l’autre pensait. Mais j’avais besoin d’arrêter pour une question de santé. J’étais vraiment secoué. Les années à l’Athletic Bilbao étaient très intenses bien qu’extraordinaires. Là-bas, j’ai eu la chance de pouvoir me mélanger avec les gens et de comprendre ce que signifie l’Athletic Bilbao pour le Pays Basque. Mais je n’ai pas eu de vacances et le travail était très intense. Lors de la seconde saison, il y a eu beaucoup de problèmes, nous avons beaucoup ramé. On s’est mis d’accord avec Marcelo pour se recycler. Cela ne signifie pas que tous les couples doivent se séparer, mais parfois vous devez vous séparer pour vous réinventer, pour vous fixer des objectifs individuels et non communs.
Pourquoi était-ce si intense ?
Marcelo est un type qui voit année par année et non par des contrats longs, bien qu’on soit restés en Argentine presque 8 ans. Lors de la seconde saison à l’Athletic, tout a commencé avec les fameux différends à propos des travaux qui étaient planifiés pour rénover Lezama (le centre d’entraînement, ndlr). Mais ce qui nous a aussi fait très mal, c’est la vente de Javi Martínez, la non-prolongation de Llorente, l’annonce d’Amorebieta de changer d’air ou la pubalgie d’Ander Herrera. Après une année spectaculaire, nous avons démarré la saison sans quatre de nos titulaires. Et cela est arrivé à une équipe qui n’avait pas un grand nombre de joueurs pour le très haut niveau. Alors qu’il fallait jouer l’Europe, le championnat, la Coupe. Cela a beaucoup conditionné les résultats. Une blessure de plus et on se retrouvait avec 50% de nos titulaires. Cela ne veut pas dire que ceux qui jouaient étaient mauvais. Ceux qui jouaient devaient pas à pas montrer leurs qualités et prendre leur temps. Il y a eu beaucoup d’usure.
À l’Athletic jouent seulement ceux de la maison…
Un jour, Urrutia (le président de l’Athletic Bilbao, ndlr) m’a dit : « Nous devons démontrer que nous sommes capables d’être compétitifs avec les nôtres uniquement ». Ça, c’était le défi, être compétitif. Finir champion ou non est souvent un accident.
Ça a été deux accidents…
Oui, clairement. Mais il est plus facile d’être champion à Barcelone, non seulement par la puissance du club, mais parce que le club est habitué à jouer à ce niveau. Tout au long de ma carrière, j’ai compris que l’échec n’est pas de ne pas être champion, mais de ne pas être compétitif. L’échec, c’est d’avoir une Ferrari et de l’emboutir. Et ça n’a pas été notre cas. Pour résoudre tous les problèmes que nous avons eus, il aurait fallu qu’on travaille beaucoup. Et on souffrait à l’idée de ne pas pouvoir donner aux Basques ce qu’on leur avait donné l’année précédente.
Vous n’aviez pas de joueurs pour maintenir ce niveau….
Quand tu as besoin d’un milieu défensif, on te l’amène. Ici non. Il fallait le former. Et tu dois attendre sa maturation. Et ce n’est pas : ‘le 25 mai 2016, ils seront prêts à être compétitifs’, non. Chaque joueur évolue à son rythme. Et si tu perds des joueurs de très haut niveau… Il y a peu, Guardiola m’a dit qu’il comprenait ce que Bielsa avait fait avec Javi Martinez, en le resituant en défense centrale quand Javi s’est blessé (avec le Bayern Munich). Beaucoup aiment jouer au milieu. Marcelo, par nécessité, par ce qu’il avait vu de lui, l’a repositionné en défense centrale et il a été excellent. À l’Athletic, tu dois construire. L’Athletic est l’équipe qui développe le plus sa formation et son secteur recrutement. Le travail que fait le club dans les divisions inférieures est peu valorisé dans le monde.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée ?
L’Athletic venait de faire une bonne saison en se qualifiant pour l’Europa League, mais ce qui m’a surpris, c’était que les gens n’étaient pas enchantés par l’équipe. Par sa manière de jouer. Quand nous avons demandé aux joueurs de jouer d’une manière totalement différente, ils ont accepté. On devait beaucoup travailler pour ça. Ça demandait beaucoup de temps. Il a fallu changer les méthodes d’entraînements, des entraînements qui duraient plus longtemps, biquotidiens, chose que le joueur n’aime pas. Mais les garçons l’ont accepté. On a perdu nos premiers amicaux mais au fil des matchs, les joueurs ont aimé cette façon de jouer. Tu dois courir beaucoup plus. Et l’Athletic était l’équipe qui courait le plus.
Et des joueurs ?
Marcelo avait vu tous les matchs de la saison précédente. Tous, et pas qu’une fois. Et il nous avait chargé de travailler sur tel ou tel joueur. On devait voir tous leurs matchs. Moi, j’en connaissais déjà quelques-uns comme Ander Herrera. Je l’ai vu débuter à Saragosse. Donc comme il m’avait impressionné, je l’ai suivi. Gurpegui m’a aussi beaucoup impressionné par son professionnalisme. Comme Iraola, des gars qui étaient très importants pour les jeunes et ceux qui arrivaient. Il n’est pas facile de vivre dans un vestiaire avec des jeunes, et eux étaient très sensibles à l’idée de les insérer dans la vie professionnelle.
Ils disent que vous étiez l’alter-ego parfait de Bielsa. L’homme proche, accessible, familier…
Marcelo est un type très timide, mais fort de ses convictions. On avait une très bonne relation à l’heure de la discussion. On parlait de tout, bien qu’à la fin celui qui donnait la ligne directrice, c’était Marcelo. Mais Marcelo te laissait dire les choses en public, parler du système, aux joueurs, et m’a permis d’être souvent avec eux. Bielsa vient au joueur comme son entraîneur. C’est-à dire que Bielsa fait progresser les joueurs donc le joueur l’estime. Il l’estime parce qu’il sait qu’il va le faire progresser. Et c’est un argument de taille pour être un grand entraîneur. J’ai demandé à Guardiola comment il avait fait pour que son équipe qui avait tout gagné puisse changer de système. Il m’a répondu que l’unique manière pour que le joueur te suive, c’est qu’il te veuille.
Votre fonction portait sur la partie physique et la motivation ?
Oui. Je suis très proche du joueur. Ma fonction est de tout savoir sur le joueur. Je dois savoir tout ce qui se passe à son propos. Que ce soit sa relation avec le kiné ou l’intendant parce que nous sommes une équipe et nous parviendrons au succès que si nous luttons ensemble pour le même objectif. Ma fonction au sein du staff technique de Bielsa était la conduite du groupe. Tout ce qui concernait la logistique, tout passait par ma fonction. Bielsa s’occupait du football, la manière de gérer le groupe, de la tactique jusqu’au choix des joueurs.
Un exemple de cela et dont beaucoup se souviennent en Amérique du Sud était votre célèbre sermon au « Chupete » Suazo : « Te quiero ver y la concha… »
(Il rit) Une honte. C’était grossier. Je ne savais pas que j’étais filmé. Je l’ai appris 2-3 jours après quand un ami m’a envoyé un message. Les gens l’avaient comme sonnerie de portable. Parfois, tu as besoin d’aller jusque-là. À l’époque, c’était un joueur-clé. On avait besoin de ses dérochages, qu’il vienne demander le ballon parce que la transition défensive de l’Uruguay était lente. On devait lui faire comprendre qu’il était la clé du match.
Au Chili, comment êtes-vous parvenus à créer ce lien si spécial qui existe encore aujourd’hui ?
On venait de quitter la sélection argentine et on avait des offres très intéressantes. D’Espagne, de Porto, il y avait aussi une offre spectaculaire des Etats-Unis. De la sélection australienne. Marcelo cherchait un projet susceptible de l’enthousiasmer, parce que diriger la sélection argentine avait été merveilleux. Ce groupe, c’était une Formule 1. Et le Chili restait sur deux campagnes qualificatives où ils n’avaient pas réussi à se qualifier. Regarde, on venait d’annoncer notre départ de la sélection argentine et quelques jours après, après avoir joué l’Espanyol Barcelone, Camacho quittait le Real Madrid. Et Marcelo reçoit un appel d’une personne importante du Real Madrid pour entraîner le club. Et il lui a répondu : « Je viens de quitter la sélection d’Argentine, vous pensez que je peux diriger le Real Madrid ? »
Bielsa ne voulait pas aller au Real Madrid ?
Ce n’est pas qu’il ne voulait pas aller au Real Madrid. Quitter la sélection argentine a été un crève-cœur. On ne l’a pas quitté parce que nous le voulions mais parce que les circonstances ont fait qu’il n’a pas pu continuer. Mais la sélection était déjà qualifiée pour le Mondial 2006. Ce n’était pas le moment. Qui ne veut pas aller au Real Madrid ? Mais on était un duo. On venait de diriger l’Argentine, notre rêve. Ça a été très dur.
Qui l’a appelé ?
Je ne peux pas le dire. Mais ça a été dur de dire non au Real Madrid. Seul Bielsa peut le faire. N’importe qui pense : ‘Je quitte l’Argentine, le Real Madrid m’appelle, j’y vais en courant.’ Lui non. Il ne voulait pas qu’on pense qu’il avait quitté l’Argentine pour s’engager avec le Real Madrid.
Revenons-en au Chili. Vous n’étiez pas convaincu à l’idée d’entraîner cette sélection.
On a pris deux années sabbatiques. Moi, j’étais enthousiaste à l’idée d’entraîner l’Australie ou les États-Unis parce que c’étaient deux sélections idéales pour pouvoir construire. Mais lui préférait le Chili parce qu’il y avait un changement générationnel. J’ai pensé : ‘Comment allons-nous aller au Chili alors que l’équipe ne s’est pas qualifiée pour les deux dernières Coupes du monde, qu’elle vient de subir un nouvel échec en Copa America et qu’elle vient de connaître un scandale. Pourquoi irons-nous au Chili ?’ ‘Parce qu’au Chili, on peut construire une équipe compétitive.’ On a donc été au Chili. Les dirigeants nous ont supporté parce qu’on était très pénibles avec Bielsa et Berizzo. On leur a proposé un travail très dur à subir et les garçons l’ont accepté. Là-bas, ça n’a pas été ma plus grande réussite dans ma carrière, mais sportivement, c’était la concrétisation d’un rêve. J’ai commencé à Ferrocarril Oeste, l’équivalent de Grenade, et on a fini deux fois champions ! Et une saison en étant invaincus ! Ferrocarril n’est jamais parvenu à redevenir champion depuis. Imagine-toi ce qu’on a accompli. Mais ça c’était un rêve différent. Réussir à jouer face aux grands en rivalisant. On est resté 3 ans pour jouer l’Espagne parce qu’ils ne voulaient pas nous jouer. On ne voulait pas jouer la France (d’aucune manière !). Ça a été la meilleure réussite, parvenir à être compétitif comme nous l’avons fait lors du Mondial en Afrique du Sud.
On dit qu’il s’agit de la meilleure génération qu’ait connu le football chilien, mais il lui manque un titre. La prochaine Copa America pourrait être ce titre ?
C’est très difficile à dire. Aujourd’hui, le Chili possède une équipe très compétitive. Il faut voir comment arriveront les joueurs. Il faut toujours attendre avant de donner un pronostic. C’est comme prédire le temps sans satellite. Je vois que Vidal retrouve son niveau. Plus le niveau de la compétition est élevé, meilleur sera le joueur. Alexis est à son niveau. Il commence à marquer des buts mais je n’aimais pas comment il jouait. Et puis Valdivia est fondamental.
Pourquoi Valdivia est si spécial alors qu’il n’arrive pas à devenir ce joueur décisif que tout le monde attend ?
Si, Valdivia était régulier, mais bon… Quand il a commencé à l’être, un entraîneur m’a dit : « Luis, les bons joueurs ne se blessent pas. » Regarde Cristiano, regarde Messi… Xabi Alonso. Le bon joueur est celui qui joue tous les matchs. Je l’ai appris de Maradona. Maradona jouait avec une cheville enflée et se l’est cassée. Si Valdivia avait cette régularité, il serait l’un des meilleurs. Il pourrait jouer dans n’importe quelle équipe au monde. Il a un savoir-faire, une sagesse, une lecture du jeu, une capacité à donner les ballons entre les lignes qui est incroyable. Rien ne l’effraie. Mais il a le moteur d’une BMW dans un châssis de Citroën. Il a tant de capacités qu’il ne supporte pas le travail physique. Quand Pochettino était à l’Espanyol Barcelone et qu’il avait De la Peña dans son effectif, il lui a dit : «Poche, le remplaçant c’est Valdivia ». Je voulais l’extirper de la péninsule arabique pour qu’il joue dans un championnat plus compétitif. Si Valdivia avait joué en Espagne, il se serait accompli en tant que joueur. Au Brésil, il ne parvient pas à être bien physiquement.
Alexis Sánchez vous a appelé quand il est arrivé à Barcelone…
Il m’a surpris, parce que ce n’est pas un garçon qui a l’habitude d’appeler. Il m’a demandé mon numéro et m’a appelé pour nous remercier. Il m’a toujours dit : « Je veux être le meilleur du monde. » Je lui répondais : « Pour être le meilleur, tu dois jouer à Barcelone. » Quand il y est arrivé, il m’a appelé pour nous remercier, de ce que lui avait dit Marcelo, Eduardo Berizzo… C’est un joueur phénoménal.
C’est à vous que l’on doit son changement physique spectaculaire ?
Ça montre qu’il agit en tant que professionnel. Mais c’est lui qui s’y est employé. Il restait après les entraînements ou venait avant. Il venait en dehors des entraînements pour faire des exercices physiques… Le changement ne vient pas de Bonini, mais d’Alexis. Il se l’est imposé et a travaillé tous les jours.
Est-ce qu’Arturo Vidal était prêt pour jouer le Mondial ?
Non. Mais comment dire non à un joueur. Mais non. Pour moi, il a joué à 30% de ses capacités. Il a fait face avec tempérament et envie. Maintenant, Vidal est à 80% de ce qu’il peut faire. Les blessures au genou prennent du temps à guérir. Par pure expérience, on met du temps à retrouver son niveau.
Entraîner vous manque ?
Maintenant, oui. Mais j’aime aussi faire de la télévision, ça me divertit. Ça m’amuse de voir le football de l’autre côté. Mais l’adrénaline que te donne la préparation d’un match n’a pas d’équivalent. Donc ça commence à chatouiller.
Il y a des rumeurs qui disent que vous pourriez débarquer dans un club chilien. On vous verra bientôt ?
C’est très difficile de quitter Bielsa. Je ne le dis pas de manière péjorative. Mais quand tu trimes avec Bielsa, tu le fais avec l’un des cinq meilleurs. Et je le dis après avoir vu le travail de la plupart des entraîneurs. Marcelo Bielsa, ce qu’il a, où il va, il le transforme.
Et revenir avec Bielsa un jour ?
Pourquoi pas. Nous sommes très proches. Il faudrait envisager de nouveaux projets.
S’il ne prolonge pas à Marseille, peut-être dans le football arabe ?
Avec le football et avec Bielsa, il ne faut jamais dire jamais. Mais Marcelo est un animal de compétition. Donc aller dans la péninsule arabique, je ne l’y vois pas vraiment.
Propos traduits de l’espagnol par Romain L.