Dans les années 60 et à l’aube des années 70, si le football anglais ne domine pas encore le football européen, des génies sont disséminés au sein du royaume pour, à terme, y parvenir. L’histoire retient ainsi Brian Clough, Bill Shankly, Matt Busby, mais beaucoup moins Don Revie. Et pourtant, c’est avec lui que Leeds United a obtenu ses plus grands titres et s’est construit l’identité d’un club aussi magnifique que diabolique voire précurseur. D’où la question : au fond, n’était-ce pas le Leeds United de Don Revie qui dirigeait l’Angleterre ? Deuxième partie.
« De toutes les compétitions dans lesquelles nous sommes engagés, la C1 est celle que nous voulons gagner plus que tout », clame Don Revie dans le Yorkshire Post durant l’été 1969. A l’orée de la saison 1969-1970, l’objectif est plutôt explicite. C’est la C1, l’Europe, la grande. L’aboutissement du projet est à portée de mains. La reconnaissance de tout un pays passe par là. Par ce qui semblait inaccessible jusque-là. Et la meilleure chance d’atteindre les hautes cimes du football européen passe par le jeu. En cette fin des Sixties, l’approche offensive de l’équipe s’illustre par les chiffres : lors de la saison 1969-70, Leeds n’a gardé sa cage inviolée qu’à huit reprises contre vingt-quatre fois la saison précédente. De l’autre côté du terrain, United se permet d’exécuter Lyn Oslo (10-0) en Coupe d’Europe et remporte aisément la Coupe des villes de foires face à Ferencvaros (6-0 lors de la double confrontation) en 1968.
Sauf qu’ à lutter sur tous les tableaux, à l’issue de la saison 1969-70, les joueurs finissent exsangues. Peter Lorimer regrette le manque de turnover : « Don avait un effectif de 16 internationaux et il voulait faire jouer le même onze chaque week-end. Je pense que ça a été sa principale erreur. Des mecs comme Rod Belfitt et Mick Bates auraient dû davantage jouer. » Après la finale de la Cup contre Chelsea qui oblige un replay (1-1 au terme des 120 minutes), 48 heures après, United doit jouer face au Celtic la demi-finale retour de C1 à l’Hampden Park de Glasgow. Mais la bande à Bobby Murdoch l’emporte (3-1 sur l’ensemble des deux matchs) pour mettre fin aux rêves européens des hommes de Revie. Devant 136 505 spectateurs, le Celtic se qualifie pour sa deuxième finale européenne en quatre ans. « Pour Papa, l’équipe aurait dû gagner plus de trophées et particulièrement cette Coupe d’Europe. Il a tout gagné mais cette Coupe d’Europe était son Graal. Pour lui, tant qu’il ne la gagnait pas, c’est comme s’il lui manquait quelque chose », confesse son fils Duncan.
Parti à l’assaut de trois trophées, Leeds rentre en Angleterre pour s’attaquer à son dernier espoir de titre : le replay en FA Cup contre Chelsea. Nous sommes le 29 avril 1970 à Old Trafford et Leeds dispute son 62ème match de la saison. Chelsea l’emporte au bout du suspense (2-1 après prolongations). « Il faut se rappeler que tout le monde détestait Leeds. Ce n’est qu’après mon arrivée à Stoke que je me suis rendu compte que le sentiment était le même à Chelsea. Le premier match a décuplé leur confiance. Le fait de nous accrocher a donné aux joueurs ce supplément d’âme pour gagner la Coupe. » Le vestiaire de Leeds est dévasté. Neuf mois après avoir espéré faire le triplé, Leeds finit la saison sans trophées. Jack Charlton est amer : « On aurait dû gagner plus de trophées que nous ne l’avons fait, c’est évident. Mais Don voulait que l’on gagne toutes les compétitions et nous avons dispersé nos ressources physiques à un moment-clé de la saison. »
Composition des équipes de la finale de FA Cup saison 1969-1970 entre Chelsea et Leeds United. (www.thehardtackle.com)
« Je suis persuadé que si nous avions été engagé en Coupe d’Europe des clubs champions plutôt qu’en Coupe des villes des foires, on aurait eu de grandes chances de la remporter »
En un mois, trois titres sont passés sous le nez des hommes de Revie, mais l’esprit de conquête reste de vigueur. Certains signes sont significatifs, comme la densité de joueurs de Leeds présents dans le groupe anglais. A l’époque, dans la liste des 23 d’Alf Ramsey figurent Allan Clarke, Terry Cooper, Jack Charlton et Norman Hunter. Paul Madeley est aussi appelé mais refuse la sélection en sachant qu’il aura peu de temps de jeu. A l’intersaison, Revie est nommé pour la deuxième saison consécutive Manager de l’Année malgré une saison vierge de trophées. Mais l’homme reste toujours autant déterminé à l’orée de la saison 1970-1971.
Pour parvenir à ses fins, nul besoin d’entrer sur le marché des transferts selon Revie, qui estime que le talent de l’effectif n’a jamais été aussi important. Seul Albert Johanneson, libre, quitte le club pour York City. Mais encore une fois, les choses ne vont pas se passer comme prévu. Dès le second tour de la League Cup, Sheffield United élimine les Whites. Une nouvelle fois, Leeds finit second du championnat (à un point d’Arsenal). Une nouvelle fois, la rentabilité des efforts doit passer par la Coupe d’Europe. Leeds affronte la Juventus en finale de la Coupe des villes de foires. La finale à lieue à Turin ? Qu’importe. Leeds est supérieur, le démontre lors des deux matchs (malgré le 3-3 au score cumulé) et remporte sa deuxième coupe européenne. Une victoire facile, trop facile pour Eddie Gray : « Je suis persuadé que si nous avions été engagé en Coupe d’Europe des clubs champions plutôt qu’en Coupe des villes des foires, on aurait eu de grandes chances de la remporter. L’équipe arrivait en pleine maturité et n’avait jamais été aussi bien armée. On a montré qu’on était très forts en allant gagner à Liverpool à Anfield, leur première défaite à domicile en un an, et on a battu une très bonne Juventus. »
Un second sacre européen qui n’enflamme néanmoins pas le Royaume. Il faut dire que dans le même temps, le football anglais s’éclate. Le Manchester de Busby a glané la C1 en 1968, Manchester City remporte la Coupe des vainqueurs de Coupes en 1970, et Chelsea est en route pour la C2 en 1971. Donc célébrer la victoire d’une équipe qui n’inspire pas la sympathie, non merci. Et pourtant. S’il y a bien une équipe dont l’image est écornée, faussée, c’est celle de Leeds United. Quoi que le club fasse, il reste impopulaire. Le public neutre est davantage enclin à soutenir Manchester United ou Liverpool plutôt que Leeds. Leeds, c’est le club qu’on aime détester. La meilleure manière de s’en rendre compte, c’est lorsque vous perdez. Et quand Leeds se fait éliminer en février 1971 dès le 5ème tour de la FA Cup par Colchester United, club de quatrième division, toute l’Angleterre s’est gaussé comme jamais.
Ces critiques, Don Revie peine à les expliquer et refuse de les comprendre. Pourquoi nier le changement d’orientation dans le jeu ? Pourquoi ne pas reconnaître le talent de ses joueurs ? Revie le prend comme une insulte personnelle. Face à cette adversité, l’équipe aborde le début de saison 1971-1972 tambour-battant en obtenant 14 points sur 21 possibles lors des sept premiers matchs de championnat. Puis très vite éliminé de la Coupe des villes de foires et de la League Cup, c’est en FA Cup que l’on voit le meilleur Leeds. Le 19 février, United détruit Manchester United (5-1) et la victoire contre Southampton (7-0) est considérée comme l’une des plus belles de l’Histoire du club. Leeds en avait aussi empilé sept contre Lincoln City en 1961 et face à Chelsea en 1967, mais ici, c’est la manière dont il est question. Après une énième victoire de plus de six buts d’écarts contre Notthingham Forrest pour une cinquième victoire en six matchs, Alan Hoby, journaliste au Sunday Express, écrit : « J’avais l’habitude de penser qu’à leur âge d’or, le Real Madrid, Manchester United, le Celtic et Tottenham représentaient la perfection poétique dans le football. J’avais l’habitude de penser qu’ils étaient les meilleurs clubs que je n’avais jamais vu, mais je commence à me demander si Leeds, avec leur tactique avancée, leur élégance et leur flair ne les a pas tous supplanté. »
D’ailleurs, le mois de mars est parfait : 4 matchs, 4 victoires, 17 buts marqués. A l’issue de la victoire contre West Bromwich Albion (1-0) à deux journées de la fin, Leeds est à deux points du leader Manchester City, qui en a déjà terminé. Derby County et Liverpool sont aussi à l’affût à un point du leader mancunien avec respectivement un et deux matchs à jouer. Devant une fin de sa saison qui s’annonce dense, Leeds prend l’initiative de demander à la Football League de revoir le calendrier, mais le secrétaire de la Football League, Alan Hardaker, refuse la requête.
Revie et Hardaker, c’est une longue histoire d’amour. Le comte de Harewood, président de Leeds, se souvient : « Avec moi, tout se passait dès que nous nous rencontrions, mais avec Don, le courant ne passait pas. Ça a duré des années. Leurs relations allaient si mal que tout ce qu’il aurait pu lui demander allait être refusé. Que ce soit pour une simple coopération quelconque ou le poste de sélectionneur. Il n’aimait juste pas Don. » Peter Lorimer corrobore : « Don était le genre de mecs à se faire des ennemis, et malheureusement pour nous, il s’est fait un ennemi avec Hardaker. » Quelle que soit la raison de l’inimitié entre les deux Yorkshiremen, Leeds doit jouer Chelsea à domicile le lundi, voyager à Wembley pour la finale de la Cup contre Arsenal le samedi, et 48 heures plus tard, faire le voyage pour Wolverhampton. Soit trois matchs en huit jours qui allaient décider si Leeds pouvait imiter Arsenal (1971) et Tottenham (1961), seuls clubs à avoir réussi le doublé Coupe-Championnat depuis le début du siècle. Trois matchs qui allaient décider si Leeds pouvait rentrer dans l’histoire.
Avec une victoire sur Chelsea (2-0, Bremner et Mick Jones), Leeds assure son destin en mains. Un nul ou une victoire contre Wolverhampton suffit au club du Yorkshire pour être sacré champion. En remportant la Cup contre Arsenal le samedi, la semaine parfaite se profile. Mais le lundi soir, à Wolverhampton, Leeds s’incline 2-0 face aux Wolves. Plus que le match, United perd le titre mais aussi son honneur. Jack Charlton est dépité : « On s’est fait avoir par la FA et la Football League. Pouvez-vous imaginez aujourd’hui une équipe jouer le dernier match de championnat un lundi soir deux jours après une finale de FA Cup ? On n’a pas eu d’explications. A la fin c’en était trop, et on a perdu. Mais cela ne devrait pas se produire. » Une issue de championnat d’autant plus frustrante que Leeds avait pratiqué son plus beau football depuis l’arrivée de Revie et que le grand bénéficiaire demeure le Derby County de Brian Clough.
La flexibilité tactique de Revie
« Je n’ai pas compris pourquoi le manager du meilleur club d’Angleterre voulait me faire signer. Don m’a expliqué qu’il voulait dans un premier temps me faire jouer latéral, poste auquel je n’avais jamais joué. Ensuite, je devais remplacer Norman Hunter. Je n’étais pas très sûr quant à ma faculté de jouer latéral, mais je me suis dit : ‘si Don Revie pense que je peux jouer là, pourquoi pas ?’ Le deal n’a duré que 2 minutes », énonce Trevor Cherry à l’abord de la saison 1972-1973. Leeds accueille Cherry et Roy Ellam d’Huddersfield Town, club de troisième division pour la plus grande surprise des intéressés, à mille lieux de s’imaginer que Don Revie puisse connaître parfaitement tous les joueurs de la Football League.
Repérer un potentiel inexploité était une grande qualité de Revie durant ses années au club. « Don avait un véritable œil pour repérer la meilleure position en fonction du joueur. A son arrivée, il faisait jouer Norman Hunter en milieu relayeur pour finalement le faire jouer défenseur central. Il a aussi converti Terry Cooper d’ailier gauche en latéral gauche, Johnny Giles était ailier droit à Manchester United mais Don a fait de lui un milieu de terrain. Tous ces joueurs ont continué à être de grands joueurs dans leurs positions respectives. Don m’a aussi déplacé de ma position de milieu à celle d’ailier gauche. Les gens oublient que lorsque j’ai marqué les deux buts contre Burnley en 1970, je les mets en partant du milieu parce que j’ai joué dans cette zone », affirme le magnifique gaucher Eddie Gray.
Avec cette capacité de Revie de faire évoluer les joueurs où bon lui semble, Leeds enchaîne les bons résultats. Après deux défaites successives contre Newcastle United et Liverpool, Leeds ne perd que deux rencontres en 22 matchs de championnat. Mieux encore, en FA Cup, United élimine le Derby County de Brian Clough champion en titre. Une fois encore, Leeds est en course pour trois titres potentiels. Avant de jouer à Salonique la finale de C2, Leeds affronte Sunderland en finale de la FA Cup. Sunderland n’a plus jouer de finale nationale depuis 46 ans. Pour Leeds, il s’agit de la troisième finale de FA Cup en quatre ans. Aucun club de seconde division depuis West Bromwich Albion en 1931 n’a gagné la coupe nationale la plus prestigieuse. Leeds ne peut pas perdre. Et pourtant, à Wembley, devant 100 000 spectateurs qui soutiennent Sunderland, Leeds connaitra un jour ‘sans’ aux dires de Cherry.
« Je suis renversé mais je me lève à nouveau. Vous n’allez jamais me voir à terre. » Tel était le mantra de l’équipe après la finale de Cup perdue pour surmonter l’adversité. En dix ans, Leeds a connu plus de déception que de moment de bonheur dans la quête du succès. Everton profite même de la situation pour présenter un contrat de 5 ans de 100 000£ annuel à Revie, soit 17 500£ de plus que ce qu’il perçoit avec Leeds.
Et puis cette défaite tombe mal car la finale de la Coupe des Coupes contre l’AC Milan approche. L’état des troupes n’est pas au beau fixe, Peter Lorimer est blessé, et un élément vient mettre son grain de sel, l’arbitrage. Parlons-en de cet arbitrage, un véritable scandale. Un coup-franc sifflé à la limite de la surface pour un duel pourtant licite est à l’origine de l’ouverture du score des Rossoneri (but de Chiarugi) dès l’entame de match (5ème). Dans la foulée, une faute évidente dans la surface en faveur de Leeds n’est pas sifflée, puis une deuxième faute, puis une troisième. La frustration est à son paroxysme jusqu’au coup de sifflet final. De cette défaite injuste (0-1), Lorimer se souvient : « Les décisions arbitrales ont mis Revie hors de lui. Vous pouvez perdre contre une équipe qui vous est supérieur mais perdre de la sorte était un sentiment horrible. »
Preuve du caractère exceptionnel de cette finale, l’arbitre grec Christos Michas est suspendu sur le champ par sa propre fédération et par l’UEFA. A Leeds, ce match hante encore les esprits. Richard Corbett, membre du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen, lance une pétition 35 ans après les faits pour renverser le résultat. Démarche qui n’aboutira pas eu égard à la prescription des faits. Un an après la finale, Brian Glanville, journaliste au Sunday Times, publie une enquête accablante dans laquelle il est question de corruption d’officiels par les clubs italiens dans les années 60 : « J’ai travaillé avec Keith Botsford et nous avons observé une corruption généralisée concernant la Juventus et l’AC Milan. La finale Leeds-Milan n’était pas dans notre rapport mais je pouvais voir que jamais Leeds ne gagnerait cette finale. »
La recherche de l’invincibilité
Malgré les événements, Revie reste très optimiste à l’entame de la saison 1973-1974. « Bon, les gars, nous avons été la meilleure équipe de la dernière décennie. Je sais que nous n’avons pas autant gagné qu’on ne le devait, mais désormais c’est du passé. Maintenant, j’ai pensé à quelque chose pour cette saison : finir invaincu. » Seulement un club avait réussi à faire l’exploit de finir la saison sans perdre un seul match en Football League (anciennement Premier League) : Preston North End, lors de la saison inaugurale de la première division (1888-1889). « Quand Don nous a fait cette déclaration, on s’est regardé et on s’est demandé s’il avait bien prononcé la phrase qu’on venait d’entendre », se souvient Trevor Cherry.
À l’instar de la saison précédente, Revie, pour cette prouesse inatteignable, continue de faire confiance à son groupe sans solliciter le marché des transferts. Si Jack Charlton, à 38 ans, quitte le club, de jeunes joueurs émergent : Gordon McQueen, Joe Jordan, Frank Gray (petit frère d’Eddie). Et l’effet est immédiat. Sept matchs, sept victoires. Après douze matchs, Leeds demeure toujours invaincu. ‘Sur les 12 matchs, on en a gagné neuf dont une victoire à Anfield lors de la semaine qui a précédé notre match contre Manchester City.’ Revie nous a alors dit : ‘Je veux que l’on soit invaincu à l’issue de la saison et qu’on gagne le championnat. Si vous ne le faites pas pour moi, je partirai et j’irai chercher des mecs qu’ils le feront.’ On a battu Manchester City et on était encore invaincu jusqu’en février », explique Cherry.
Revie est tellement obsédé par l’invincibilité en championnat qu’il délaisse pour le moins explicitement les diverses coupes nationales. United se fait ainsi très vite éliminé de la League Cup contre Ipswich (dès le second tour). Et lors du 2ème tour de la Coupe UEFA contre Hibernian, Peter Lorimer raconte: « Don voulait qu’on perde ce match, mais ils étaient tellement nuls qu’on est allés jusqu’aux tirs aux buts. On a fait 0-0 à l’aller à Elland Road, et au retour, il a fait tourner ou fait jouer des gars à des positions inhabituelles. John Shaw, notre gardien, était encore ado mais a pris ce match comme une occasion de se montrer. Résultat, on était encore à 0-0 à la pause. On est revenu aux vestiaires et la réaction de Don était assez comique : ‘Je n’ai jamais vu une telle performance, John. Vraiment brillant, mais je dois te sortir mon garçon, va à la douche’. Au final, vu qu’on est allés aux tirs aux buts, Don nous a dit de nous qualifier pour se faire sortir au prochain tour. » Et Leeds se qualifiera. Au prochain tour, contre Setubal, Revie autorise les joueurs à faire du golf la veille du match, chose impensable en cas de rencontre importante habituellement. Avant de voler au Portugal (et d’être éliminé), Leeds bat Ipswich (3-0) et égale-là Liverpool avec un record de 19 matchs d’invincibilité. Le nouveau record sera établit le week-end qui suivra avec une victoire contre Chelsea (2-1).
Bristol City élimine Leeds au 5ème tour de la FA Cup et après 29 matchs d’invincibilité, le 16 mars, United perd face à Liverpool. Peter Lorimer raconte l’état des troupes et l’attitude de Revie avant la dernière ligne droite du championnat : « Il n’y a pas meilleur que Don dans le management et l’osmose d’une équipe. Il l’a prouvé par le passé et le prouve encore puisque malgré les déceptions, nous sommes toujours autant compétitifs. Son grand truc était notamment de ne pas manger avec les joueurs après un match, il sentait que les nerfs étaient encore à vifs. Il venait juste nous dire : ‘Profitez de votre week-end parce que lundi matin nous aurons un meeting pour parler de ce qui s’est mal passé. Ça nous ruinait notre week-end parce qu’on avait en tête ce qu’on avait mal fait et ce qu’on aurait pu faire… Dans le management, c’était un homme très habile. Le lundi, il nous laissait dire ce qu’on avait à dire donc le meeting était constructif et on était tous déterminés à faire amende honorable, concentrés sur le prochain match. » Second à six points de Leeds mais avec deux matchs en retard, Liverpool chute dès son premier obstacle (Arsenal) et Leeds finit la saison avec cinq points d’avance. Pour la deuxième fois sous l’ère Revie, Leeds United est champion d’Angleterre. Liverpool se consolera en glanant la FA Cup aux dépens de Newcastle United (3-0).
La figure Don Revie
Encore aujourd’hui, joueurs et supporters se demandent encore ce qu’il se serait passé si Revie n’avait pas donné davantage de liberté à ses ouailles. « Les gens ont commencé à louer notre football une fois que Don nous avait permis de jouer avec plus de liberté – tout en suggérant qu’il aurait dû le faire plus tôt. Mais ce qu’ils oublient, c’est que l’équipe avait besoin de patience pour être mature. On était une équipe jeune au milieu des années 1960, particulièrement à partir du moment où Bobby Collins est parti (on notera la corrélation entre son profil athlétique et l’idée de jeu développée ensuite, ndlr), car on avait besoin d’un guide. Petit à petit, l’équipe a mûri et je pense que Don a vu que nous étions suffisamment matures pour prendre nos propres décisions, et que celles-ci seraient les bonnes », précise Johnny Giles.
Plus de deux décennies après sa mort, Don Revie demeure une figure toujours autant sujette au débat. D’un côté, les supporters de Leeds et les anciens joueurs, unanimes pour affirmer qu’il a construit pendant dix ans l’une des plus belles équipes qu’on ait pu voir sur un terrain de football. Que Revie est un entraîneur tellement en dehors de son temps par sa science et son professionnalisme que ses rivaux ont mis des années à rattraper leur retard. Et de l’autre ceux qui, avec dédain, n’attribuent ses trophées qu’à des magouilles arbitrales et à la chance. Qui ne voit en elle que vice et méchanceté.
A contrario, l’unanimité règne pour saluer la faculté de Revie à transformer des gamins en hommes, un groupe en une fratrie. Une bande si engagée à défendre son coéquipier que si vous bottiez les fesses à l’un d’eux, c’est comme si vous bottiez les fesses à l’ensemble. Lorimer explique : « Don était notre mentor. Il n’y avait pas de trouble-fête ou de gars du genre. Même aujourd’hui, on se considère encore comme des amis. On se plait à passer du temps ensemble, à jouer au golf, etc. Je parle encore à quelques joueurs de Manchester United ou Liverpool de l’époque qui me disent qu’ils revoient un ou deux anciens coéquipiers mais pas toute l’équipe. Nous, on se revoit tous. » Sur l’harmonie, Mick Jones surenchérit : « C’est un hommage à Don de voir que durant toutes ces années personne ne voulait partir du club. Même ceux qui n’étaient pas en équipe première. Aucun d’entre eux. Je vais encore à Elland Road pour quelques matchs et à quelques-uns qui étaient en réserve, je leur demande : ’Pourquoi ne pas être parti ?’ Ils me répondent que c’est parce qu’il y avait Don. Parce qu’il avait ce don pour que chacun se sente impliqué. Aujourd’hui, même dans les plus grands clubs, des joueurs demandent à partir, mais ça n’a jamais été le cas de Leeds sous Don. »
Mais toutes les bonnes histoires ont une fin. 17 octobre 1973, Wembley. L’Angleterre accueille la Pologne pour le dernier match des éliminatoires à la Coupe du monde 1974. 1-1, il reste moins de 5 minutes à jouer. L’Angleterre a besoin d’une victoire pour se qualifier mais bute sur un Jan Tomaszewski des grands soirs. Alf Ramsey qui, 7 ans plus tôt avait permis à l’Angleterre d’être championne du monde, sait ce qui l’attend en cas de non qualification : la porte. La FA a prévenu, et son temps est venu. La FA a alors besoin d’un nouveau sélectionneur. S’il y a eu beaucoup de spéculations à propos du successeur, malgré deux titres de champion d’Angleterre, deux coupes d’Europe, une FA Cup et une League Cup, Don Revie ne fait pas partie initialement des prétendants. Alors comme durant toute sa vie, toute sa carrière de joueur, d’entraîneur, Revie ira chercher ce qu’il est venu chercher. La FA a changé de secrétaire (Ted Crocker remplace Dennis Follows), et le 4 juillet 1974, Don Revie est désigné sélectionneur de la sélection. Après 13 années au club, Don Revie quitte Leeds United et c’est toute une ville qui pleure son entraîneur : « J’étais très triste quand j’ai su que Don partait pour diriger l’Angleterre, déclare John Reynolds, le jardinier du club. Bien sûr, je comprenais pourquoi il voulait partir, mais je comprenais aussi que le club n’allait plus être le même. »