Le football argentin a repris ses droits depuis presque un mois et nous réserve comme à son habitude son lot de clasicos. Et comme toujours, La Grinta s’évertue à vous faire découvrir autre chose que Boca-River. En l’occurrence, il s’agit du « clasico del Oeste », le derby de la banlieue ouest de Buenos Aires qui oppose l’Almirante Brown au Deportivo Moron et joué ce mardi (3-4). Focus sur ce match pas comme les autres.
Carcasses de voitures abandonnées, cumbia à chaque coin de rue, maisons en ruines, casquettes, baskets, cartoneros… La Matanza et Moron, ces deux départements de la banlieue ouest de Buenos Aires, sont loin d’être une carte postale idyllique de l’Argentine. C’est la banlieue argentine, la vraie, le « 9-3 » local. Berceau de nombreux groupes de rock urbain argentin, on pourrait facilement décrire ces lieux par cette expression populaire inspirée du groupe de rock, Dividos : « En el Oeste, esta el agite ». Comprenez, c’est dans la banlieue ouest que ça bouge, qu’il y a le bordel. C’est ici que crèchent respectivement les deux plus grands clubs du secteur : l’Almirante Brown et le Deportivo Moron.
La Fragata et el Gallo
Almirante Brown a été créé en 1912 dans la ville d’Isidro Casanova, dans le département de La Matanza (en français, « la tuerie », ça ne s’invente pas). Le club est surnommé La Fragata (la frégate) puisque l’amiral Brown était un célèbre amiral de la marine argentine et est d’ailleurs considéré comme étant le père de celle-ci
Ses couleurs, noir et jaune, font référence au club uruguayen de Peñarol, puisque ses fondateurs, au moment d’acheter les premiers maillots, n’avaient trouvé qu’un jeu disponible et c’était ceux de Peñarol. Le Deportivo Moron a vu le jour beaucoup plus tard puisqu’il a été créé en 1947 dans le département voisin de Moron. Son surnom, el Gallo (le coq) fait référence à l’emblème de la ville de Moron. Almirante Brown et Moron n’ont jamais goûté aux joies de la première division et militent actuellement en Primera B Metropolitana, l‘équivalent du National local. Les deux institutions sont très proches géographiquement d’où l’origine de la rivalité. Moron peut se targuer d’avoir un stade flambant neuf et l’un des écrins les plus modernes d’Argentine, d’une capacité de 32 000 spectateurs.
Le Boca-River du pauvre
Le premier match entre les deux institutions s’est joué en 1957 et s’est soldé par une victoire de l’Almirante Brown. Bien qu’il y avait déjà une certaine haine due à la proximité, le vrai détonateur de l’antagonisme s’est produit deux ans plus tard, en 1959. Ce jour-là, un simple hors-jeu déclencha le début des hostilités. Le deuxième but de l’Almirante Brown fut, effectivement, entaché d’une position de hors-jeu ce qui provoqua la colère des joueurs et des supporters de Moron. Les violents incidents entre supporters et forces de l’ordre qui ont suivi obligèrent l’arbitre à suspendre le match. La rivalité n’a alors cessé de prendre de l’ampleur dans les années 1980 et au début des années 1990. Les nouvelles générations des deux clubs ont fait du gain de ce match un impératif. Une manière de montrer qui a le plus d’aguante, qui est le plus fort de la banlieue ouest.
La violence entre les deux clubs a atteint son paroxysme le 16 décembre 2001. Ce jour-là, les supporters de Moron et Almirante étaient dans un état second. À la sortie du stade, un jeune de 17 ans perdra la vie après avoir reçu trois balles. On n’a jamais su si ces balles avaient été tirées par les supporters de l’Almirante ou par la police. La barra de l’Almirante Brown a toujours été très proche de la Doce de Boca Juniors. De fait, cette barra est très divisée et fait souvent parler d’elle pour des violences au sein de la même hinchada. L’une des branches de la barra (« la banda Mostruo ») fait partie de la première ligne de la Doce. Des chefs historiques de la barra brava de Boca comme le défunt « el abuelo » (le grand-père) ou Maximiliano Mazzaro sont des fervents supporters de l’Almirante Brown. Le sulfureux ex-gardien du club de La Ribera, Pablo Migliore, ex-membre de la Doce, va souvent voir les matchs de son cher Almirante Brown en compagnie des poids lourds de la tribune d’Isidro Casanova. En face, la rumeur veut que la barra de River entretienne d’excellentes relations avec leur collègues du Deportivo Moron. Mêmes couleurs, presque même nom : los borrachos de Moron d’un côté et los borrachos del Tablon de l’autre, le coq d’un côté et la poule mouillée de l’autre. De nombreux barras de Moron faisaient également partie de celle des Millonarios.
Le Far West du football argentin
Moron et Almirante Brown ne sont pas les seuls à vouloir régner sur la banlieue ouest. En effet, on retrouve deux autres clubs qui s’imposent dans cette partie de Buenos Aires. Le premier, c’est le Deportivo Laferrere. Cette institution est née également dans le département de La Matanza comme Almirante Brown mais dans la ville voisine de Laferrere. Son hinchada surnommée « los villeros » (« villero » signifie habitant des villas miserias, des bidonvilles) a justement fait parler d’elle cette semaine pour sa violence et évolue désormais à huis clos jusqu’à la fin de la saison. Le deuxième est un club beaucoup plus grand et connu puisqu’il s’agit de Nueva Chicago, un habitué de la première division.
Bien que son stade, son siège social et son quartier historique, Mataderos, se trouvent à Buenos Aires intra muros à la limite du périphérique qui sépare la banlieue ouest de la capitale fédérale, une grande partie de son hinchada vient des quartiers de Villa Insuperable et de La Tablada qui se situent justement dans le département de La Matanza. Autrement dit, Nueva Chicago est quasiment un club de la banlieue ouest. Almirante Brown-Nueva Chicago est considéré comme un derby tant les deux hinchadas se détestent. Pour certains anciens d’Almirante Brown, la rivalité avec le club de Nueva Chicago est encore plus forte que celle avec Moron. Ces quatre clubs cohabitent au quotidien et se haïssent, ce qui constitue le véritable Far West du football argentin.
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Comme souvent dans ces clasicos argentins de divisions inférieures, le spectacle se situe dans les tribunes. L’ancien entraîneur de l’Almirante Brown – Blas Giunta, qui était resté près de 9 ans au club d’Isidro Casanova – s’occupe désormais du Deportivo Moron. De quoi mettre encore un peu plus de piment pour ce match. Malheureusement, encore une fois, cette rencontre s’est jouée uniquement devant des supporters locaux. Tant pis pour le football.