Après trois saisons passées à la tête de la Juventus, Antonio Conte a décidé, le 15 juillet dernier, de quitter le club bianconero. Avec lui, la Vieille Dame aura conquis cinq titres dont trois Scudetti, des records à foison, mais le père du renouveau juventino part en laissant un goût d’inachevé. Car avec Conte, la Juve avait retrouvé l’espoir, la gagne et son âme.
2006, année magnifique pour l’Italie avec cette quatrième Coupe du monde, mais année cauchemar pour les Bianconeri à cause de Calciopoli. Cannavaro, Vieira, Emerson, Zambrotta, Ibrahimovic quittent le club pour éviter l’affront de jouer en Serie B et de froisser leur réputation. Et même si les bandiere Buffon, Del Piero ou les magnifiques Trezeguet et Nedvěd démontrent leur amour pour la Vieille Dame, le mal est fait. La Juventus doit désormais, avec 9 points de débours, remonter en Serie A. Plus forte sera la rédemption.
Celle-ci s’initie par une totale reconstruction. Le club, dirigé par Giovanni Cobolli Gigli, dispose d’un jeune entraîneur (Didier Deschamps) et de quelques éléments prometteurs (Palladino, Chiellini, Marchisio, Giovinco, De Ceglie). Le club bianconero survole le championnat de Serie B, et revient immédiatement parmi l’élite. Didier Deschamps, en bisbille avec Alessio Secco (directeur sportif) quitte le club d’un commun accord avec la direction, et le rôle d’entraineur est alors confié à Claudio Ranieri. La Juve termine la saison à une honorable troisième place, réussissant l’exploit de placer Del Piero et Trezeguet en tête du classement des buteurs.
2008-2011 : Ranieri, Ferrara, Zaccheroni, Del Neri
La saison 2008-09 est celle du retour au premier plan. Le club retrouve sa place sur la scène européenne. La Juve se paie le luxe de battre deux fois le Real Madrid en Ligue des champions, et de titiller l’Inter jusqu’à la fin du championnat (deuxième). À deux journées du terme, Claudio Ranieri est cependant limogé pour avoir momentanément perdu les traces de la victoire. L’équipe est alors confiée à Ciro Ferrara pour sa première expérience en tant qu’entraîneur. Et la gestion devient foireuse.
Après le douloureux départ en retraite de Pavel Nedvěd, la saison 2009-10 est vierge d’un berger. De guide, il n’y en a plus. Sur le terrain comme en dehors. À l’intersaison débarque Diego, petit mage Brésilien du Werder Brême, finaliste de la dernière Coupe UEFA. Et malgré le retour de Cannavaro (Real), l’arrivée de Felipe Melo (Fiorentina), la Juve sera piètrement éliminée au premier tour de la C1, avec un sévère revers à domicile face au Bayern Munich (1-4). C’est le début d’un long fleuve tumultueux. La Juventus est sixième (terminera septième) et son état fait peine à voir. Incapable d’assurer ses arrières, elle est fébrile dans le registre offensif et quand elle y parvient, se retrouve dans l’embarras pour concrétiser les occasions. Les blessures de Buffon, de Chiellini, le niveau insuffisant de Cannavaro et des latéraux profanes (Grygera, Grosso, Zebina) sont les explications partielles du chaos. Ferrara avait été nommé parce qu’il était du sérail, disciple de Lippi, il voulait jouer avec Diego en dix. Or, la Juve remorque un être sans ligne directrice qui s’en allait ruiner les Giovinco, Marchisio, et autres De Ceglie.
La Juventus, État dans l’État des Agnelli, décide donc de fonctionner comme une société d’intérim par la nomination d’Alberto Zaccheroni, véritable routard transalpin (12 clubs), en lieu et place de Ferrara. La Juve termine septième avec une défense à trois insolvable. Nouveau fiasco.
La direction nomme alors Luigi Del Neri, confirmation que la conscience bianconera part en lambeaux. Au cœur du marasme : Aquilani, Quagliarella, Krasic, Motta, Pepe et Bonucci. Le caractère et les individualités parviennent à faire en sorte que la Juve joue les premiers rôles. Mais après la trêve hivernale, les Juventini ont encore la dinde sur l’estomac qu’ils doivent, en plus, engloutir un os : Fabio Quagliarella, l’avant-centre qui porte à bout de bras la Vieille Dame, se blesse (rupture des ligaments croisés du genou gauche) face à Parme (1-4). Conséquence ? Exit les espoirs minimes de titre et six mois à souffrir le martyr. À glisser inexorablement du classement. Plus que sportive, la crise turinoise est identitaire. En mars 2011, la typologie de l’équipe est claire : Buffon est convalescent, Marchisio, milieu axial de formation se démène comme il peut sur le côté gauche et Miroslav Krasić fait seul figure d’ailier. Pour quel soutien, quel mouvement ? C’est confus, absurde, indescriptible. Gigi Del Neri s’amourache à jouer avec son 4-4-2 modulable en 4-2-4, en faisant prévaloir son système aux joueurs à disposition. Le temps où la tradition de jeu turinoise s’exprimait est loin. Celui où les dix ouvriers se battaient pour leur génie avec, pour la construction du jeu, le plus intelligent et dévoué des six. Nous sommes en mai 2011 et la Juve est ridicule.
« Je veux vaincre »
Pour l’an IV en Serie A depuis le Calciopoli, la Juventus est appelée, à nouveau, à sortir du bourbier. Une situation vécue et revécue. Pour la première fois depuis vingt et un ans, les Bianconeri ne se sont pas qualifiés pour une compétition européenne au terme de la saison. Il ne faut plus tirer la sonnette d’alarme mais réveiller l’histoire du club.
Au printemps 2010, Andrea Agnelli avait repris en main le club et décidé de resituer des ambitions qui jusque-là avaient été abandonnées. Le neveu de « l’Avvocato« (Giovanni Agnelli) avait mis tous les moyens de son côté : aval familial, recapitalisation, évocation d’un projet sportif avec le Scudetto en point de mire axé autour du flambant neuf Juventus Stadium, dépenses sur le marché des transferts en conséquence, etc. Fin mai 2011, il n’aura fallu qu’une semaine pour que le projet voit définitivement le jour : intronisation d’Il Capitano Antonio Conte, ancien homme fort du vestiaire turinois et signature d’Andrea Pirlo, libre de tout contrat. Reto Ziegler, Lichtsteiner, Elia, Vucinic, Giaccherini, Estigarribia (en prêt), Borriello et Arturo Vidal suivront avant que l’on décide de lever les options d‘achat de Pepe, Motta, Matri, Quagliarella, et Martin Caceres.
Pourquoi Conte ? Qu’a-t-il de plus que Ranieri, Zaccheroni, Del Neri ou Ferrara ? Antonio ne supporte pas le Napoli comme Ciro, possède un bagage technique que Ciro n’a jamais eu, et quand on a évolué treize saisons sous le maillot bianconero dont cinq saisons de capitanat, les valeurs du club, on les connait on ne peut plus parfaitement que les trois honnêtes sexagénaires. « Il faut avant tout retrouver l’esprit Juve. Le reste arrive automatiquement », estime l’ancien joueur aux 400 matchs avec la Vieille Dame. Outre le fait d’avoir humé pendant de longues années l’atmosphère du Piémont, Conte a fait ses classes en obtenant brillamment la promotion en Serie A avec Bari (saison 2008-2009), Siena (saison 2010-2011) et avec l’expérience de l’élite (démissionnaire de l’Atalanta Bergame durant la saison 2009-2010). Conte s’est préparé, pas à pas, pour la suite logique à sa passion : entraîner pour gagner. Parce qu’un joueur cultivé à la gagne ne cesse pas d’être un mort de faim le lendemain. Conte est un damné et un sentimental, la Juve, il l’a dans le sang :
« Entraîner la Juve a toujours été un rêve pour moi, l’objectif que je m’étais fixé en commençant ma carrière d’entraîneur ». « Il faut afficher une grande volonté de se battre, une grande envie de transpirer, de sortir du terrain détruits, d’afficher son attachement à ce maillot, se rappeler que nous sommes la Juventus et que la bonne équation est ‘Juve égale gagner’ ».
Son intronisation est la signature d’une prise de conscience, celle de voir resurgir un esprit. Celui de la Juve. Redonner à la Juve cette antipathie qu’elle a toujours suscitée et cultivée. Mais aussi sa colère et son humilité. Sous Conte, ceux qui ne partageront pas le projet ou qui ne rentrent pas dans les plans seront mis de côté. Sans scrupule. Ziegler, Elia et Krasic en paieront le prix fort dès le début de saison. Car Conte personnifie le club. Rigoureux et franc parce qu’ambitieux. Au sein du club, on ne parle plus de construction ou autre dénominatif mais d’unité. De projet. Conte, plus direct, parle de sueur. Travail. Labeur. Histoire. Mais surtout, son discours est trempé dans le sentiment de revanche. Revanche vis-à-vis de cette Juve déshonorée, ulcérant au plus profond l’âme de Conte.
« Je n’ai pas signé ici pour des objectifs à minima. Je veux vaincre. Tout mon passé le dit. C’est ma vie. A la Juve cela doit marcher comme cela ». « Notre objectif c’est de redevenir une équipe compétitive. L’histoire de la Juve l’exige, et à travers le travail est l’implication totale, on doit ramener ce club là où il doit être. » « L’objectif principal est de redevenir crédible, redevenir la Juventus… C’est à travers le travail, le sacrifice et l’attitude adéquate nous devrons ramener cette ‘société’ où elle le mérite », martèle-t-il.
Une méthode et des idées
Dans un club qui cherche à renouer avec sa tradition perdue dans les affaires récentes, Conte a avant tout mis sur la table les valeurs de la Juve, son style singulier et traditionaliste. Dans la droite lignée du credo du club turinois, il a su transmettre sa passion, ses convictions et sa détermination à ses joueurs : « Nous devons gagner, et basta. Mon discours ne changera pas jusqu’à la fin de la saison ». L’édit non-écrit juventino ne s’intéresse pas qu’au résultat mais à l’effort pour y parvenir. Aller au bout de ses idées, avec élégance ou agressivité, mais résolument. Et avec Conte, il y a une valeur ajoutée : cette quête passera par un jeu proactif.
« Il y a tout pour bien faire et réaliser de belles choses. On aura besoin d’un peut de tout pour relancer la machine. Une mentalité de gagnant, la culture de l’effort, le sacrifice, et la volonté de bien jouer ». « Ce qui importe, ce sont les principes et les idées, qui doivent naturellement se développer avec le travail, l’expérience et le rapport quotidien avec les joueurs. Je veux que mon équipe garde le ballon, explique-t-il. La Juve doit faire le jeu, encore et toujours. Je veux avant tout une équipe solide, qui sait conquérir le ballon et prendre le jeu à son compte ».
Revendiquer une idée de jeu est fort louable, encore faut-il que les dires se concrétisent sur le terrain. C’est dans le jeu que le technicien se révèle. L’équipe turinoise a d’abord été organisé dans un traditionnel 4-4-2 ou 4-2-4 fidèle aux schémas prônés par ses anciens entraîneurs Fabio Capello et Marcello Lippi. Puis ceux-ci ont évolué : 4-3-3, 3-4-3 pour adopter au fil de la saison 2010-2011, le 3-5-2. Une usure de schémas liés par la compréhension au fil de la saison de l’indispensable présence au milieu du terrain du trio Pirlo-Vidal-Marchisio ; par l’adaptation tactique de Conte aux circonstances de jeu ajoutée à un turn-over opportun entre matchs de Coupe et de championnat. Résultat, Conte a su rendre moderne une équipe qui, depuis sa descente forcée en Serie B, ne l’était plus. La maîtrise technique et la solidité défensive permit à l’équipe turinoise d’occuper la moitié de terrain adverse, par sa densité au milieu de terrain et l’exploitation de la largeur. Marchisio confesse en 2011 : « Conte a mis en place un nouveau module de jeu, des milieux de terrain techniques sont arrivés (Pirlo et Vidal notamment, ndlr)… Notre coach nous a appris à jouer au ballon, à mieux le conserver ; même les défenseurs essaient de gérer la balle au lieu de la balancer en avant ».
Dès sa première saison, le natif de Lecce a fait l’unanimité. Giuseppe Marotta, directeur sportif, et Marcello Lippi, reconnaissaient les mérites du jeune entraîneur non sans dithyrambes : « Cette saison nous sommes en haut du classement, et nous nous devons d’y rester. Conte est notre prophète, un grand bravo à Agnelli d’avoir fait ce choix ». « Antonio est en train de gérer la situation d’une manière fantastique. Il apporte tout ce qu’il manquait aussi bien sur le plan technique que psychologique. L’enthousiasme avec lequel les joueurs se donnent à fond est révélateur de la manière dont le discours a été reçu », observait Lippi, admiratif.
« Si Milan veut le Scudetto, il devra cracher du sang jusqu’à la dernière journée »
Un enthousiasme qui se comprend aisément : ce Scudetto est d’autant plus important qu’il se joue contre le Milan, champion en titre. Alors bien sûr, quand on connaît l’adversité entre les deux clubs (ndlr : la rivalité des années 90), pas de meilleur adversaire pour que Conte trouve les mots :
« Nous allons nous focaliser sur l’équipe qui nous précède, le Milan, car nous avons atteint la maturité nécessaire pour le faire, et jouer le titre jusqu’au bout. Si Milan veut le Scudetto, il devra cracher du sang jusqu’à la dernière journée. C’est pour ça que je ne veux voir aucun de mes joueurs adopter une attitude superficielle pendant le reste de la saison ».
La Juventus ira glaner ce Scudetto par l’approche mentale et tactique de Conte, sans nul doute l’artificier numéro 1 du vingt-huitième titre (ou trentième, c’est selon) de la Juve. Mais aussi par la gestion d’un collectif qui, à défaut de présenter un Platini triple capocannoniere, David Trezeguet ou Pippo Inzaghi, mêle légendes, joueurs formés ou post-formés au club, et des recrues prêtes à répondre aux exigences. Un amalgame qui fonctionne à merveille puisque la saison bianconera touche le sans-faute. Invaincue toute la saison, meilleure défense de Serie A, elle rejoint le Pérouse 1978-1979 et le Milan de Capello 1991-1992. Autrement dit, elle rentre dans l’histoire. La Juve est redevenue la Juve.
Domination nationale
Un an après, le dimanche 5 mai 2013, la Juventus est sacré championne d’Italie pour la deuxième fois d’affilée. En deux saisons, Antonio Conte n’a perdu que neuf rencontres toutes compétitions confondues. Le club est passé d’une rivalité renaissante avec le Milan à une soudaine position d’hégémonie.
Si lors de la saison 2012-2013, la Juve est l’équipe à battre, elle a su garder son intensité, sa concentration, son abnégation. Sa maîtrise. La Vieille Dame est à l’image du FC Barcelone, de l’Atlético Madrid, du Borussia Dortmund et du Bayern Munich : une machine collective qui broie ses adversaires par son pressing, son organisation et sa qualité dans le jeu de transition. La touche athlétique (intégration de Pogba) développe encore la flexibilité tactique et permet à la Juve de posséder un collectif plus abouti que la saison précédente et que les autres clubs de Serie A. Capable aussi bien de défendre bas afin de se projeter vite vers l’avant, que d’occuper la partie de terrain adverse pour trouver les décalages. Les catégories statistiques défensives et offensives parlent pour elle. Elle reste l’équipe la plus disciplinée, celle à la meilleure possession du ballon (57,7 %), au plus grand nombre de frappes cadrées (6.8/match), au meilleur ratio à la passe (85.8 %). Principal fait d’armes : une invincibilité record de 49 matchs, derrière les 58 matchs d’invincibilité du grand Milan de Capello (26 mai 1991–21 mars 1993).
Et pourtant, l’adversaire s’adapte. À ses systèmes, ses joueurs, son état d’esprit. Il joue avec ses nerfs, propose des organisations défensives tantôt hautes pour l’empêcher de relancer proprement, tantôt basses afin d’éviter les combinaisons sur les ailes et la capacité de projections, etc. Il lui demande de confirmer son adaptabilité à tout, partout, tout le temps. Mais malgré ces nouvelles contrariétés qui longent la saison, avec brio ou non, elle continue de gagner. Et d’étonner.
Car la saison aura été marquée par la suspension de quatre mois de Conte (accusé de non-dénonciation de matchs arrangés), remplacé successivement par Massimo Carrera et Angelo Alessio. Malgré ce désagrément, la Juve aura tenu la tête du championnat de la seconde à la dernière journée. Les Bianconeri perdent face à la Roma en février, période durant laquelle le club éprouve des difficultés ? Qu’à cela ne tienne, ils remporteront 28 points sur 30 possibles lors des dix matchs qui suivront. Si la Juventus perd peu, elle le doit à sa solidité. 44 buts encaissés en deux saisons, seuls le Milan et le Napoli ont encaissé moins de 40 buts pour cette seule saison 2012-13. La bande a Conte a accumulé plus de points, gagné plus de matchs et inscrits plus de buts que le premier acte. La Juve, revenue aux affaires, compte en faire profiter le continent.
La domination sans conteste sur la Botte demandait confirmation de sa pertinence à l’échelle continentale. La Juventus est de retour en C1 et les intentions ne changent pas : vaincre. Le temps est venu de montrer à l’Europe notre nouvelle dimension. C’est la nouvelle étape du projet Juve.
L’échec européen, une tare ?
Quarts de finale de C1, la Juve rencontre le Bayern Munich. Et pas n’importe lequel. Les Bianconeri subissent de plein fouet le « nouveau » football total (tel que le définit Jonathan Wilson) auquel ils aspirent. L’équipe de Jupp Heynckes (au bon souvenir de ses années Gladbach) met en place un pressing tout-terrain pour perturber la relance turinoise (défense centrale + Pirlo) avec un bloc très haut. Et la méthode fait mouche. Asphyxié, le club turinois est éliminé à l’issue de la double confrontation et saura a posteriori qu’il aura fait face à la meilleure équipe européenne du moment. Le Bayern d’Heynckes avait tout fait mieux que ce que la Juve était censé maîtriser : son expression collective par le pressing, les mouvements avec et sans ballon, et la compacité de son organisation. La Juve réapprend l’extrême difficulté de glaner la C1 avec des équipes au collectif tout aussi bien organisé. Conte se consolera en peaufinant son nouveau système pour terminer la saison, le 3-5-1-1, alternative au manque d’attaquants. Oui, le futur double champion d’Italie ne tient toujours pas son buteur. Mais la saison 2013-2014 viendra régler tout ça.
Troisième. Troisième saison que Conte est sur le banc, et au vu des exploits accumulés, l’ancien guerrier sait que la réussite de la saison reposera sur la performance européenne. Peut-être pas pour lui, mais pour les tifosi. Avant même que la saison débute, l’histoire de la Juve et sa propre exigence le rattrapent. Celle qui lui confère de répondre à l’attente qui l’a su (re)susciter dans le cœur des juventini. Plus que contre un quelconque adversaire, Conte doit faire face à l’immensité d’une entité qu’il aime et qui lui rend bien, qu’il l’a parachevé, qu’il a gâté mais qui ne se rassasie jamais. Alors à l’aube de cette saison 2013-2014, l’attente est grande.
Conte le sait et reste fidèle à lui-même. Le 3-5-2 doit s’exprimer avec les arrivées conjuguées de Tevez et Llorente, la rotation doit permettre de maximiser les performances en C1 et le discours reste inchangé, avec cette ambition fière. Sans surprise, les résultats en Serie A suivent. La Juve a affirmé sa suprématie face aux rivaux romains et napolitains pour glaner son troisième Scudetto consécutif. Comme le grand Torino, le Milan du début des années 1990 de Sacchi puis de Capello, et l’Inter (2008-2010). Un exploit au-delà de ce qu’avait pu faire la Juve de Boniperti ou celle des grands managers comme Trapattoni et Lippi sous lesquels Conte a joué. La Juventus est devenue la première équipe de l’histoire de la Serie A à casser la barrière des 100 points (102) et à avoir gagné tous ses matchs à domicile. « Ce que cette équipe vient de réaliser ne peut être amélioré », s’enorgueillit Conte.
En Coupe d’Europe, en revanche, la Juventus n’aura pas confirmé les espoirs suscités, éliminés prématurément de la C1 dans un groupe à sa portée (Real Madrid, Copenhague, Galatasaray). Au-delà de l’adaptation ou non du 3-5-2 à l’échelon européen (Conte a joué avec une défense à 4 lors de la double confrontation face au Real Madrid), la Juve a péché, comme au fil de la saison en Serie A, dans son intensité, sa discipline collective (usure physique) et son manque de réalisme (20,2 tirs/match en phase de groupe de C1, taux le plus élevé tous groupes confondus). Conséquence, elle s’est trouvée en difficulté face à des prétendants a priori lambda : Copenhague, Galatasaray, Fiorentina, Benfica, et n’a pu dans ces conditions jouer la finale de C3 (éliminée en demi-finale face aux Lisboètes) chez elle, au Juventus Stadium.
« Je discute régulièrement avec les vieux maîtres, comme Lippi, Capello, ou Sacchi. Il n’y a qu’à eux que je demande conseil »
Et puis alors qu’il avait prolongé son contrat en mai dernier, le Mister décide le 15 juillet dernier de s’en aller. Comme ça, d’un coup, alors que la reprise avait débuté par un stage à Vinovo. Au-delà des raisons véritables de son départ (manque de moyens pour futures recrues, divergence dans la communication ou de compréhension de vue sur le futur du club), comme pour Guardiola, l’exigence demandait de se réinventer.
C’est à son paroxysme que Conte a voulu mener l’esprit Juve. Les valeurs du club doivent se retranscrire sur le jeu, au-delà du labeur, que la « famille » s’exprime avec harmonie. Résultat et contenu ne sont pas dissociables mais interdépendants, tout le temps. Une exigence qui ne se nourrit pas de n’importe qui : « Je discute régulièrement avec les vieux maîtres, comme Lippi, Capello, ou Sacchi. Il n’y a qu’à eux que je demande conseil », avouait-il lui-même à son arrivée. Soit le syncrétisme de la tradition et de la modernité, du résultat et de la postérité. Ce n’est pas pour rien si Arrigo Sacchi l’avait félicité durant la saison 2012-2013 par une tribune dans La Gazzetta pour son dévouement, sa vision du football et en lui décelant ce qui démarque les grands entraîneurs des autres, la sensibilité.
Si Conte avait continué l’aventure l’année prochaine, il aurait pu devenir le sixième entraîneur européen à accomplir la passe de quatre (championnats remportés successivement) après la Juve de Carlo Carcano, le Real Madrid de Miguel Muñoz, l’AS Saint-Étienne d’Albert Batteux, le FC Barcelone de Johan Cruijff et, depuis cette saison, l’Ajax de Frank de Boer. Mais ces trois Scudetti et la qualité du jeu proposé auront démontré que la force de cette Juventus dépasse le cadre de records ou la quête d’un trophée particulier (C1). Elle aura rendu fier comme jamais les tifosi juventini pour une chose : avoir redonné du prestige à la Vieille Dame après le traumatisme du Calciopoli.
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