Ayant opposé un club de deuxième division à un club de troisième division, la finale de Coupe de Roumanie 1973 est restée dans les annales. À une époque où le football roumain était vampirisé par le Dinamo Bucarest, le FC Arges Pitesti et l’Universitatea Craiova, des joueurs sans histoire ont crée la surprise et écrit leur légende. Récit d’une épopée.
Si les années 1980 restent la plus belle décennie du football roumain avec quelques demi-finales européennes et bien entendu le triomphe du Steaua en Coupe d’Europe des Clubs Champions, les années 1970 avaient fabuleusement préparé cette montée en puissance. Cela commence en 1970 au Mexique. À l’époque, la sélection nationale retrouve la Coupe du monde, 32 ans après sa dernière participation. L’équipe menée par le capitaine Mircea Lucescu, alors âgé de 25 ans et quelques autres noms du football roumain comme Radu Nunweiller ou Cornel Dinu se permet même d’accrocher le Brésil de Pelé, en ne perdant que 3-2.
Les clubs roumains ne sont pas en reste. Au début des 70’s, trois clubs se disputent le titre de champion de Roumanie : le Dinamo Bucarest de Mircea Lucescu, le FC Arges du génie Nicolae Dobrin et l’Universitatea Craiova de Ion Oblemenco. La Coupe de Roumanie reste alors la propriété partagée des clubs de Bucarest avec cinq victoires du Steaua Bucarest, une du Rapid et une du Dinamo pendant les sept saisons précédant notre mythique édition 1972-1973.
Une blessure change la destinée du Chimia Ramnicu Valcea
À l’époque, le Chimia Ramnicu Valcea est un club lambda du football roumain, qui végète en deuxième division. Le club d’Olténie vit dans l’ombre de son grand voisin, l’Universitatea Craiova. Cependant en 1971, la destinée du club change grâce à la blessure d’un de ses joueurs. Dumitru Dragomir a alors 25 ans et mène une honnête carrière de défenseur dans le club de sa ville. Seulement, une grave blessure met un terme à son avenir sur les prés pendant un match de Coupe contre le FC Arges.
Dragomir est contraint d’oublier sa carrière de footballeur. Il explique ce qui s’est alors passé : « Les dirigeants m’ont alors proposé d’être secrétaire du club. Je vivais une situation compliquée, je travaillais dans une station d’épuration chimique avec cent hommes sous ma responsabilité. À l’époque, j’étais le seul footballeur à travailler. Quelques mois avant la fin du championnat 1971, j’ai dit aux dirigeants de Ramnicu Valcea : « Si vous m’écoutez, je vous amène en première division ». L’été suivant, j’ai viré 14 joueurs donc certains hommes extraordinaires qui avaient joué en équipe de Roumanie mais qui étaient sur la fin. »
Dumitru Dragomir doit alors recruter mais les caisses sont vides. Il trouve un subterfuge unique pour disposer de fonds : « J’ai fait de l’argent avec des photos ! J’ai imprimé 100 000 photos de l’équipe et on les a vendu à tous les salariés du département. Ils étaient forcés de les acheter par le parti (communiste), 10 lei (2 euros, ndlr) la photo. Les directeurs d’entreprise en prenaient cent chacun ! » Voilà comment l’histoire commence…
Dragomir recrute malin
La ville de Ramnicu Valcea dispose à l’époque d’un petit avantage. Il s’agit d’une ville de cantonnement régional pour le service militaire obligatoire. Ainsi la jeune perle de Craiova, Costica Donose, doit passer deux ans à Ramnicu Valcea. Bien entendu, Dragomir saute sur l’occasion et se fait prêter Donose par l’Universitatea Craiova.
Le jeune Dragomir, qui a juste 27 ans en 1973, accueille Ion Haidu, un ancien international, qui évoluait au Dinamo Bucarest et flaire aussi le bon coup avec Gheorghe Gojgaru qui évolue en troisième division. Dragomir l’achète pour une bouchée de pain et Gojgaru devient le fer de lance de la merveilleuse saison 1972-1973. Il faut dire que le dirigeant avait sa manière bien à lui de prendre soin de ses joueurs comme se rappelle Gojgaru : « Dumitru Dragomir m’a offert une belle vie. Il s’était arrangé pour que je mange gratuitement à la cantine du Parti (communiste) à Valcea. Et puis les supporters m’aimaient. À la fin du match, ils m’attendaient et me mettaient des billets dans les poches ! ».
Teo Ciobanu, défenseur à l’époque, présente ainsi les joueurs de l’épopée : « On avait une sacrée équipe, messieurs, dames : Haidu venait du Dinamo, un joueur de grande valeur, Costica Donose, il suffit de prononcer son nom et tout est dit, Sutru au milieu, bon Dieu, une malice dans le jeu comme personne n’avait. Devant, deux renards, Gojgaru et Vasile Iordache. Dans les buts, l’araignée Fane Stana et avant tout, il y avait nous derrière ! Avec Ciobanu, Pintilie et Petrica, personne ne passait. Même si un train arrivait, on le renvoyait… »
Des surprises à chaque tour
L’autre équipe de ce conte est le Constructorul Galati, une petite équipe de troisième division. C’est d’ailleurs celle-ci qui crée la première surprise en Coupe lors de la saison 1972-1973. Le Constructorul se permet de battre le finaliste de l’édition précédente, le Jiul Petrosani 1-0 puis le leader du championnat, le grand Dinamo Bucarest. Encore sur le score de 1-0. Le Dinamo Bucarest qui avait gagné 7-0 au tour précédent tombe de haut.
De son côté, Chimia Ramnicu Valcea élimine Steagul Rosu Brasov puis le CFR Cluj. Mais en quart de finale, l’obstacle semble insurmontable, le FC Arges Pitesti est l’adversaire dans un match qui, comme c’était la coutume à l’époque, se joue sur terrain neutre. Lors de cette saison 1972-1973, le FC Arges Pitesti vient juste de remporter le championnat de Roumanie et surtout a fait souffrir le grand Real Madrid en Coupe d’Europe avec une victoire 2-1 en Roumanie. Le génial Nicolae Dobrin, superbe n°10, est alors à l’apogée de sa carrière. À la mi-temps, l’Arges mène d’ailleurs 1-0 et pourtant Ramnicu Valcea renverse la rencontre et finit par l’emporter 2-1. Un fantastique exploit.
De son côté, Constructorul Galati file aussi en demi-finale après un nul 1-1 contre Bacau (équipe de D1), la règle à l’époque stipulant qu’un nul entre deux équipes de divisions différentes débouchait sur la qualification de l’équipe de division inférieure. En demi-finale, Ramnicu Valcea passe aux pénos contre le Metalul Bucarest alors que le Constructorul Galati doit affronter le Steaua Bucarest. Le site Internet du Steaua décrit ce match comme « l’élimination la plus honteuse de l’histoire du club. » Constructorul tient en effet le Steaua Bucarest et grâce à un 2-2 glané de haute lutte se qualifie pour la finale, à cause de la règle déjà expliquée.
La finale des « sans-souliers »
Le match du 1er juillet 1973 reste dans l’histoire du football roumain comme la Finala Descultilor, en VF la finale des sans-souliers. Nulle finale de Coupe de Roumanie n’a alors mis aux prises deux équipes qui n’évoluent pas en première division. Teo Ciobanu, joueur du Chimia, se rappelle de ce match : « Nous connaissions tous l’importance d’une victoire pour les habitants de Valcea. On s’amusait avant le match mais cela ne durait jamais longtemps, on ne parlait que de cette finale. Quand je suis rentré sur le terrain, j’étais choqué, il y avait 60 000 personnes dans les tribunes. J’ai cru perdre pied. Mais nous étions meilleurs, cela s’est vu dès le début. Nous avons marqué rapidement, et aurions pu en mettre d’autres. Mais les joueurs de Galati ont égalisé en deuxième période. On a eu un peu de chance après leur égalisation, ils ont eu deux autres occasions nettes mais cela s’est terminé sur un match nul. À l’époque, il n’y avait pas de but en or, but en argent ou tirs au but. En cas d’égalité, le match se rejouait dans les 24 heures (ndlr : 48 heures en réalité). Il n’y a pas eu de problème sur le second match, on leur a mis 3-0 sans leur laisser une chance. Nous étions meilleurs, je vous l’avais dit… » Pour ce 3-0, la doublette Iordache-Gojgaru fait des étincelles et ce dernier met deux buts, concluant son superbe exercice en coupe qui l’aura vu marquer à quasiment chaque match.
La célébration est à la hauteur de l’exploit pour les joueurs du Chimia : « Nous sommes partis à Ramnicu Valcea le lendemain matin, on en pouvait plus d’attendre, nous voulions montrer le trophée aux Valceans. Quand nous sommes arrivés à Ramnicu Valcea, on en croyait pas nos yeux. Toute la ville était dans la rue, comme pour le Réveillon, comme pour une manifestation pour Ceaucescu ! Nous sommes descendus du bus, les gens nous donnaient des fleurs, nous embrassaient. Même aujourd’hui, cela me fait pleurer, 32 ans après les faits. Je vais te dire quelque-chose, c’était normal que les gens nous aimaient. Où que nous étions en ville, si l’on rencontrait des supporters, on s’arrêtait pour parler avec eux. Avec tout le monde. Quel footballeur fait cela de nos jours ? »
Un petit tour en Coupe d’Europe et quelques destins brillants
La saison suivante, Ramnicu Valcea découvre logiquement la Coupe d’Europe. Un seul petit tour contre les Irlandais de Glentoran Belfast. Un 2-2 à domicile, « bien différent s’il n’avait pas plu » selon Ciobanu puis une défaite 2-0 en Irlande, en touchant deux fois la barre. Mais surtout l’occasion de voyager, de prendre l’avion pour la première fois pour la plupart des joueurs et de voir autre chose que la Roumanie à une époque où les frontières étaient réellement fermées.
Cependant la saison 1973-1974 est surtout celle de la montée en première division pour Chimia Ramnicu Valcea qui restera à ce niveau un an seulement. Gheorghe Gojgaru, si prépondérant dans la quête de la Coupe, quitte Valcea pour le Dinamo Bucarest à l’hiver 1973 : « On a fini vice-champion avec le Dinamo. J’avais 24 ans et j’étais en équipe olympique. Mais les médecins ont décelé un problème cardiaque. À cause de cela, le Dinamo m’a envoyé en D2, au Dinamo Slatina. J’ai compris qu’ils ne comptaient plus sur moi. Mais regardez, j’ai 60 ans et j’ai joué à un bon niveau jusqu’à 38 ans. Et encore aujourd’hui, je fais des sprints sur 16 mètres avec les plus jeunes. »
De son côté, Costica Donose finit son service militaire et retourne à l’Universitatea Craiova à l’été 1974. Il deviendra là-bas le Pelé de Craiova et fera partie de la plus belle génération de ce club mythique. Il remporta deux titres de champion de Roumanie, quatre autres Coupes de Roumanie et fut un fer de lance de la fabuleuse campagne européenne de 1983 terminée en demi-finale de Coupe UEFA. D’autres sont restés à Valcea comme Teo Ciobanu, devenu un redoutable pêcheur ou encore son compère de défense Constantin Pintilie, aujourd’hui président du club de football de Ramnicu Valcea, qui évolue en deuxième division. Un retour à l’anonymat partagé avec Constructorul Galati, dont personne n’a plus entendu parler.
Et comment conclure sans parler de Dumitru Dragomir ? Le jeune dirigeant visionnaire devint le président du Ramnicu Valcea puis d’autres clubs comme le Victoria Bucarest. En 1996, il fut élu président de la Ligue de football roumain et le resta pendant quasiment vingt ans, avec son lot de polémiques. Se rappelant comment tout cela avait commencé, Dragomir déclara il y a quelques mois : « C’est le destin… Si je ne m’étais pas blessé sérieusement, je ne serais jamais devenu président. Ni au Chimia, ni à la Ligue ! ». Et la finale des « sans-souliers » n’aurait sans doute jamais eu lieu.