L’histoire de la Triestina, club de la ville de Trieste au nord-est de l’Italie dans la région du Frioul-Vénétie Julienne, fut l’objet d’un des cas les plus concrets d’interventionnisme politique dans la sphère sportive d’après-guerre. C’est ainsi qu’à l’issue de la saison 1946-1947, le club se voit sauver de la relégation par le sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil italien, Giulio Andreotti.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le territoire de Trieste, annexé à la péninsule italienne des suites du premier conflit mondial, se retrouve occupé par les forces alliées libératrices de l’occupant allemand. Une situation qui perdurera jusqu’en 1947 où, le Conseil de sécurité des Nations Unies instaure finalement un État neutre, le Territoire libre de Trieste. Seulement dans les faits, le Territoire est en réalité occupé d’une part par les forces américaines et britanniques, d’autre part par l’armée yougoslave du régime de Tito, divisant ainsi la province en deux contrées distinctes. Si l’Italie tenta à plusieurs reprises de faire rattacher le Territoire de Trieste à ses frontières, ce ne fut qu’en 1977 que cette situation prit fin, avec la division du territoire jamais réellement unifié et autonome entre l’Italie et la Yougoslavie.
La Triestina, club de la ville de Trieste
La Triestina, club fondé en 1918 de la fusion de la Ponziana et du Trieste Football Club, faisait partie de cette zone A. C’est ainsi qu’au cours de la saison 1946-1947, les Rossoalabardati (« les rouges armés d’une hallebarde », du fait du blason du club) décident en Assemblée générale de participer à la reprise de la Serie A programmée cette année-là. Parallèlement, des suites d’une scission avec un autre club local, l’Amatori Ponziana décide elle de son rattachement au championnat yougoslave.
Mais le début de saison des deux équipes est catastrophique. Les Alliés interdisent que l’une ou l’autre des équipes évoluent à domicile dans le stade de la ville de Trieste. L’Amatori Ponziana, comptant dans ses rangs quelques talentueux joueurs slaves de l’époque, se voit contraint d’effectuer de longs voyages en Yougoslavie lors de ses matchs à domicile. Une situation finalement arrangée après une modification de calendrier, et la levée de l’interdiction de jouer à domicile décidée par les forces alliées en décembre de la même année. La Triestina quant à elle se voit dans l’obligation d’intervertir l’ordre de ses matchs en début de saison, si bien qu’elle perdit cette année-là l’ensemble des rencontres jouées à l’extérieur. Au terme d’un championnat catastrophique, les Rossoalabardati terminent dernier du championnat de Serie A, et sont donc contraints à la relégation. Du moins en théorie.
La Triestina repêchée
Au mois de juillet de l’année 1947, plusieurs députés s’inquiètent de voir le club du Territoire libre de Trieste relégué en seconde division. Dans une missive adressée au président du Conseil italien, ceux-ci s’interrogent sur le bien-fondé du risque de rupture d’un des rares liens unissant encore la ville de Trieste à l’Italie. Giulio Andreotti, alors sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil italien hérite du document estampillé urgent. Le 30 juillet, dans une note rédigée de sa main, il annonce ainsi que la FIGC, la fédération italienne de football, seul organe habilité à modifier les règlements, a voté à Pérouse la veille et à l’unanimité le maintien de la Triestina en Serie A.
Deux raisons sont invoquées. D’abord, « les difficultés indépendantes de sa volonté, rencontrées par la Triestina au cours de la saison écoulée ». Puis, « la valeur morale et symbolique des joueurs pour le pays ». Par cette décision, l’État italien souhaitait en réalité matérialiser l’appartenance à la nation de la province de Trieste. Par ailleurs, il est aussi indiqué dans cette même note que les deux autres équipes reléguées mais mieux classées que la Triestina, Venise et Brescia ont renoncé à faire valoir leurs droits. Mieux encore, dans les jours qui suivent, une augmentation des fonds secrets versés à la ville de Trieste est dédicée afin de garantir son développement, notamment d’un point de vue sportif.
La lutte pour le Scudetto
Si bien qu’au cours de l’été, le club du président Léo Brunner renforce grandement l’ossature de l’équipe existante via l’achat de plusieurs joueurs. Les rencontres à domicile se jouent depuis le mois de janvier de l’année 1947 au Stadio Comunale de la ville de Trieste. Lorsque les hasards du calendrier prévoient un match de l’Amatori Ponziana et de la Triestina le même jour, un tirage au sort décide de l’équipe qui jouera la première. À la suite d’une saison fabuleuse, marquée par les succès contre la Juventus, l’AC Milan ou la Roma, la Triestina achève le championnat en seconde position avec 49 points, à l’instar des Bianconeri et des Rossoneri, derrière l’intouchable « Grande Torino » et ses 65 points. Le meilleur classement à ce jour de l’histoire alabardata.
Si au début des années 1950, les aides financières versées par l’Italie à la Triestina s’intensifient et deviennent même officielles, le tout s’arrête brusquement lorsqu’en 1955, la gestion de la zone A, alors administrée par les Etats-Unis et l’Empire britannique, est confiée à l’Italie. Il n’existait alors plus de raison pour le gouvernement, de continuer à verser des sommes d’argent visant à entretenir le sentiment d’appartenance à la nation italienne des habitants de Trieste. Le football alors aux prémices de sa massification, draine déjà plusieurs milliers de passionnés à travers le pays. Dans le cas de la Triestina, le sport aura représenté un outil privilégié de la force politique, en vue du maintien d’une certaine identité italienne dans un territoire devenu autonome, mais toujours convoité. Une situation qui s’étouffa dès lors que ces intérêts politiques disparurent.
La Triestina fut reléguée en Serie B en 1957.