Tout le monde le connait à Cosenza (Italie). Lui, c’est Padre Fedele Bisceglia, un supporter pas tout à fait comme les autres. Et pour cause, ce dernier est un frère franciscain… ultra ! Radié par l’Eglise catholique pour son mode de vie, sa proximité avec les ultras et une sombre histoire de viol présumé en 2006, Padre Fedele a fait son grand retour en tribunes le week-end dernier.
Saint François d’Assise a un autre héritier fan de football, en plus du pape François. Moins renommé, certes, mais sans doute encore plus passionné. Et à bientôt 77 ans, l’amour que porte Padre Fedele Bisceglia pour le club de Cosenza – dont il a un temps été président en 2004 – est toujours intact. Depuis des années, ce frère franciscain est l’attraction de la curva où il est très populaire. Il faut dire qu’avec sa tenue traditionnelle, difficile de passer inaperçu. Surtout lorsqu’il harangue lui-même le virage en s’époumonant, gagnant ainsi le surnom de « frère ultra ». Cet improbable mariage entre un homme d’Eglise et les héritiers d’un mouvement indépendant aux origines rebelles s’est aussi noué en dehors du stade.
« J’ai fondé au refuge franciscain un lieu d’accueil pour les ultras, expliquait-il. J’ai combiné la solidarité au sport. Cosenza est la seule ville au monde où les ultras ont pu conjuguer, avec votre humble serviteur, l’amour du ballon et l’amour pour le pauvre ». Le religieux consacre également de son temps aux Roms et autres nécessiteux, lui qui a toujours été orphelin. Il souhaitait aussi dénoncer l’Istituto Papa Giovanni XXIII en 2005, géré par la Curie de Cosenza et coupables « d’atrocités » et « de détournement d’argent public », qui abritait patients et malades mentaux (dont une dizaine ont disparu) jusqu’à sa fermeture et la condamnation de son directeur. À en croire le Père Bicesglia, ce sont toutes ces raisons qui ont poussé l’Eglise à étouffer ce prêcheur devenu gênant.
La descente aux enfers
Son cauchemar commence en 2006. Une sœur religieuse affirme avoir été violée par Padre Fedele alors qu’elle venait lui apporter un plat de pâtes à la sauce tomate dans sa chambre du cloître franciscain. Des allégations que l’homme de foi n’aura de cesse de rejeter, criant au complot destiné à l’empêcher de continuer ses engagements. La presse s’empare de l’affaire, son image est salie. Une femme de nationalité roumaine se manifeste quelques jours après prétendant aussi avoir été abusée sexuellement. Excepté les personnes qui l’ont côtoyé dont les ultras de Cosenza qui multiplient les messages de soutien (contribuant un peu plus à leur impopularité), l’opinion publique croit à un nouveau scandale émanant d’un religieux. Les mauvaises blagues se succèdent : « Fedele alla figa » (Fidèle à la ch…).
Après avoir été incarcéré pendant quelques mois, Il est assigné à résidence le 26 octobre 2006 avec son secrétaire Antonio Gaudo. Le frère est excommunié l’année suivante. La sentence n’a pourtant rien avoir avec cette affaire de viol présumé puisque le procès est encore en attente de jugement. Non, c’est sa conduite jugée « excessive » qui est sanctionnée par l’Ordine dei Frati minori, excédé de le voir une énième fois au stade avec une écharpe autour du cou et entouré des supporters rossoblù. Le plus dur arrive cependant de la justice ordinaire qui lui inflige une peine de neuf ans et trois mois pour violences sexuelles en première instance le 6 juillet 2011.
Le long combat pour prouver son innocence
« Honte à vous tous ! Magistrats, sœurs et prêtres, parce qu’un innocent a été condamné ! », s’écrie Bisceglia lors de l’annonce du verdict. La condamnation s’appuie seulement sur le témoignage de la sœur religieuse dans un procès où comme souvent la pression médiatique a pesé lourd. Une sœur « possédée, elle aussi victime d’un complot » selon l’accusé qui a demandé à la rencontrer en vain après le prétendu viol. Épuisé par les procédures et les lourdes charges à son encontre, Padre Fedele décide de convoquer les médias devant le tribunal peu avant la juridiction du premier degré.
Il reconstitue la scène décrite par l’accusation. Ce jour-là, le frère franciscain était vêtu d’une tunique blanche, la seule qu’il possède d’après ses dires. Lors du passage à l’acte, la sœur jure que celle-ci a été maculée de sauce tomate provenant du plat de pâtes. Or, Bisceglia partait le lendemain pour une mission humanitaire en Afrique avec ce même habit blanc sans la moindre tâche. « Comment aurais-je fait pour la laver et la sécher en une nuit de février ? », s’exclame-t-il. Tout en dénonçant des incohérences dans le récit de la jeune femme (la chambre évoquée n’était pas la sienne) et rappelant que le procureur était un des amis proches de l’hypothétique victime. La Cour d’appel abonde néanmoins dans le même sens et justifie sa décision par une attitude « lascive envers différentes femmes » en décembre 2012.
Le retour parmi les siens
Mais en fin de semaine dernière, coup de théâtre, la Cour de Cassation annule le jugement. Le procès est à refaire, de même pour son secrétaire Antonio Gaudio. Le vent avait déjà commencé à tourner la veille lorsque le juge et le procureur ont été mis en examen pour abus de pouvoir. « Je serai content lorsqu’elle (la sœur accusatrice, ndlr) se repentira, ainsi que les autres sœurs et ceux qui m’ont jeté de la boue », a réagi Bisceglia. Et de demander sa réhabilitation sacerdotale parce qu’il est « né pour être frère franciscain ».
L’autre camp de se dit « consterné » par cette décision. En tout cas, Padre Fedele a retrouvé le week-end même sa curva comme s’il ne l’avait jamais quittée malgré l’agitation générée par son retour en tribunes. Comme à son habitude, il a chanté, harangué, vibré en dépit de la défaite (1-2) de Cosenza face à la Lupa Roma. Toutefois son match le plus important se jouera en dehors des terrains, car la vérité est encore lointaine. Et peut-être ressortir « blanchi » des tribunaux.