15 novembre 2012, il est 23 heures. Après cinq ans d’une lutte sans merci, l’Assemblée législative de Buenos Aires annonce son approbation pour la « Ley de restitucion historica » (Loi de restitution historique). San Lorenzo pourra retrouver son terrain de football sur l’Avenida de la Plata où aujourd’hui se trouve… un supermarché Carrefour. La Terre Sainte, comme l’appelle les supporteurs du club, fut perdue 31 ans auparavant au profit de la junte militaire. Récit d’une fabuleuse croisade menée par les « hinchas » de San Lorenzo qui les emmena face au groupe français de grande distribution Carrefour en passant par l’ambassade de France, jusqu’aux secrets les plus sombres de la dictature militaire argentine de la fin des années 1970.
C’est en 1979, alors que l’Argentine connait la plus sombre page de son histoire au niveau politique, que le maire de Buenos Aires Osvaldo Cacciatore ordonne la saisie du terrain où se trouve le Gasometro depuis 1916. Bien sûr sous l’impulsion de hauts responsables de la junte militaire qui avaient fait ce choix sous prétexte d’ouvrir des rues de part et d’autre dans le quartier du Boedo. Du côté de San Lorenzo, on prétend que cette opération aurait avant tout servi à disloquer l’association sportive (San Lorenzo étant un club omnisports), « considérée comme dangereuse par la dictature », qui cherche alors à tuer toute contestation possible. Alors au vu des crimes abominables liés à la dictature, la saisie d’un terrain de football est un fait mineure certes. Mais dans un pays où ce sport est bien plus qu’un simple jeu et s’apparente à une religion, c’est perçu différemment. D’autant plus que le Viejo Gasometro (nom de l’ancien stade de San Lorenzo) n’est pas surnommé « Terre Sainte » pour rien. Il a vu son hôte dominer le football local à la fin des années 1960 et au début des années 1970 (quatre titres de champion entre 1968 et 1974), l’époque dorée du club. Sans compter les sept titres conquis de 1923 à 1959. Pire, imaginez le sentiment qui a habité les cœurs des fans de San Lorenzo quand ils ont vu leur club descendre pour la première fois de son histoire seulement deux ans après la saisie de leur enceinte en 1981… Depuis 32 ans maintenant, le Viejo Gasómetro n’est plus. Il a cédé sa place depuis longtemps au Nuevo Gasómetro, situé dans les « vichas » (bidonvilles) malfamés de Bajo Flores, en périphérie de Buenos Aires.
« Carrefour est complice de la dictature«
Le projet de rénovation urbaine reste finalement noyé dans la paperasse et c’est la chaîne de grande distribution Carrefour qui hérite du terrain dans les années 1980 à l’issue d’une juteuse affaire financière pour la dictature militaire. Après des années de silence, les supporteurs d’ « El Ciclon » (surnom du club) commencent à s’agiter face à ce qu’ils considèrent comme une injustice. Leur combat commence en 2007, une sous-commission de supporteurs de San Lorenzo est créée (celle-ci est dépendante du comité de football du club) et réclame une « Loi de Restitution Historique » qui vise à récupérer le terrain occupé par l’entreprise française dans le quartier du Boedo en vue de la reconstruction du « nouveau ex-Gasometro ». Le projet de restitution de la « Terre Sainte » a été présenté à l’Assemblée législative de Buenos Aires en novembre 2010 et comprend la planification urbaine du site, qui devrait, en plus du retour du stade, comprendre la construction d’un centre commercial, une école et une bibliothèque. Aucune suite n’est donnée par les autorités argentines mais il en faut bien plus pour décourager les meilleurs supporteurs du pays, voire du monde. Tout d’abord ce sont plus de 7.000 manifestants qui débarquent en Mars 2011 devant l’ambassade de France pour que les autorités françaises mettent la pression sur le groupe de grande distribution afin d’abandonner ce terrain au club. Certains supporteurs de San Lorenzo n’hésitent pas à accuser « Carrefour [d’être] complice de la dictature militaire ». Le stade aurait été cédé à la dictature « au moyen d’extorsions et de menaces envers les dirigeants de l’institution, le brigadier-maire Cacciatore obligeant le club à céder sa propriété à bas prix », indique la lettre adressée à l’ambassadeur de France, Jean-Pierre Asvazadourian. La lettre écrite par la sous-commission de supporteurs ne s’arrête pas là et dénonce un arrangement favorable à Carrefour. « Deux entreprises fantômes liées à la dictature achetèrent la propriété, puis celles-ci la vendirent à la firme Carrefour. Un mois après que San Lorenzo abandonna son siège, les ordonnances furent levées, escroquant honteusement notre club et permettant à Carrefour d’en bénéficier directement », poursuivent les responsables de la sous-commission, qui précisent « avoir invité l’entreprise INC S.A. [Carrefour] afin de lui proposer un projet ayant pour but de partager l’espace de l’avenue La Plata entre les intéressés. Jusqu’à présent, INC S.A. n’a donné aucune réponse à cette proposition ». Ensuite, le 12 avril 2011, ce sont 20.000 « cuervos » (corbeaux, les fans de San Lorenzo) qui manifestent devant l’assemblée législative pour montrer leur détermination. Nouvel échec, les autorités restent sourdes. Pas pour longtemps. Le 05 juillet de la même année, nouveau coup de force de la part de la « hinchada » de San Lorenzo, qui cette fois, mobilise 40.000 personnes, soit le double, une nouvelle fois devant l’assemblée législative de Buenos Aires.
La Plaza de Mayo, témoin incontesté de l’histoire Argentine
Cette histoire commence à faire du bruit et à déranger jusqu’au sommet de l’Etat. Les supporteurs de la sous-commission le savent, ils ont appuyés à un endroit qui fait très mal et compte bien continuer. L’année suivante, le 08 mars 2012 précisément, un appel est lancé envers des « socios » de toutes tendances pour rejoindre la place forte du pays où se trouve le palais présidentiel, La Plaza de Mayo (Place de Mai). Obtenant une large diffusion de leur message dans les médias nationaux, le résultat dépasse toutes les espérances. « 110.000 corazones azulgranas ! » (cœurs bleu et grenat) s’exclamaient, non sans émotion, Adolfo Res et Daniel Peso responsables de la sous-commission. Accompagnés de nombreuses personnalités, comme Carlos Abdo (président du club à l’époque) ou encore Pablo Migliore (gardien de but de l’équipe de 2009 à 2013), les fans de San Lorenzo ont frappé fort. Très fort et tout cela, sans jamais aucune violence, ce qui est tout à leur honneur dans un pays où violence et football sont deux mots qui s’associent bien trop souvent. « Sur la Plaza de Mayo, il y a environ 110 000 personnes qui ont répondu à l’appel, qui exigent un retour à Avenida La Plata. Et ce, en plus d’être un projet populaire, est un projet fondé contre les crimes de la dictature militaire. Les autorités ne peuvent pas arrêter cela et ne pas voir cette réalité » s’était enthousiasmé Adolfo Res devant une foule en délire. Et de confirmer une promesse d’audience avec le chef de l’Assemblée législative de Buenos Aires, M. Macri.
Cette rencontre aura bel et bien lieu et aboutira à une Assemblée exceptionnelle convoquée le 15 novembre 2012 par Macri en personne. L’Assemblée législative de Buenos Aires doit voter le projet de « Loi de restitution historique », remis par la sous-commission de supporteurs de San Lorenzo. L’approbation de la loi est votée à 100% par ses 49 votants accompagnée d’une explosion de joie par les fans qui avaient fait le déplacement jusqu’à l’intérieur même de l’Assemblée ! Après 5 ans d’un combat sans relâche, ils l’ont fait. Ce n’est plus un rêve mais une réalité, San Lorenzo retrouvera son quartier d’origine, le Boedo, pour le plus grand bonheur des hommes, femmes et enfants qui pourront réécrire l’histoire sur une terre à qui le club doit son glorieux passé. Le week-end suivant, San Lorenzo reçoit l’Atletico Rafaela lors du « Torneo Inicial 2012 » (tournoi d’ouverture 2012) et l’euphorie n’est toujours pas retombée. Les joueurs sont accueillis avec un magnifique tifo sur toute la « Platea Sur » (tribune latérale sud) où l’on peut lire « Volvimos » (nous revenons). Tout cela dans une ambiance à vous donner des frissons. Pour la petite anecdote, San Lorenzo l’emportera 1-0 ce jour-là.
Objectif 2016
Après la restitution de la terre de l’Avenida La Plata en faveur de San Lorenzo, la chaîne de supermarché Carrefour a dévoilé sa position à travers un communiqué. Dans ce document, le géant français se dit « extrêmement surpris par le traitement précoce et l’approbation expresse de la loi sur la restitution historique » et réaffirme que « le terrain a été acquis en toute bonne foi en 1985, dans le plein respect des droits » niant aussi les charges associées à l’entreprise sous la dictature militaire. L’objectif du nouveau président de San Lorenzo, Matthias Lammens, est « d’être à Avenida de la Plata en 2016″. Une chose tout à fait envisageable. Et pour cause, le 14 mai 2013 après six mois de négociations, le club de San Lorenzo et Carrefour sont parvenus à un accord pour que le stade revienne à son emplacement initial en incluant le supermarché dans le centre commercial que la loi de restitution prévoit dans le nouvel aménagement urbain. Dès lors, il ne reste plus qu’à trouver les 94 millions de pesos pour financer le projet. Le club de San Lorenzo ne manque pas d’idées et propose aux fans et aux partenaires d’acheter07 mètre carré par mètre carré (2.500 pesos l’unité). Tout le monde serait donc propriétaire, une idée originale présentée dans ce spot publicitaire très émouvant du club où l’on peut voir le président Matthias Lammens, le vice-président Marcelo Tinelli et même le pape François. En dépit des embûches, nul doute que cela aboutira et que le rêve de revenir au Boedo deviendra réalité.
La Vuelta depende de todos, la vuelta depende de vos, la vuelta es ahora!