Après la Pologne, la série des On Tour continue. Et cette fois-ci La Grinta a vécu le match amical Japon-Ghana mardi depuis un bar de Tokyo. Rencontre avec des Japonais dans un pub de Roppongi, quartier cosmopolite de la capitale nippone, connu notamment pour ses bars et cafés. Malgré la traditionnelle timidité locale, les tokyoites ont accepté de livrer leur vision du football. Prêt pour vous plonger dans l’atmosphère japonaise ? Alors banzai !
Surprenant soit-il, ce match -pourtant amical- s’est joué à guichets fermés au Yokohama Stadium (stade de la finale de la Coupe du monde 2002). La billetterie était close dix jours avant la rencontre puisque toutes les places ont été prises d’assaut. Impossible de se procurer des billets ! Le Yokohama Stadium n’est pas le stade de France. En effet, les supporters japonais se déplacent en masse pour supporter leur équipe nationale. D’ailleurs, le sukka (soccer en japonais) connait un véritable engouement au point de rivaliser avec le baseball, jusqu’ici sport le plus populaire de l’archipel nippon. Nous nous résignons alors à regarder le match dans un pub. Pas besoin de chercher bien loin, il suffit d’observer les affiches à l’entrée des bars pour constater qu’ils le diffusent tous en exclusivité. Les serveurs portent chacun un maillot du Japon avec le noms des grandes figures de l’équipe nationale : Honda, Kagawa, Nagatomo, Hasebe… Protocole japonais oblige, les locaux vous accueillent avec beaucoup de politesse et insistent sur le fait que vous êtes toujours le bienvenue. L’atmosphère du bar est assez classique, bières, apéritifs, et écrans de télévision à chaque coins du pub. Mais à la différence de pubs anglais par exemple, ceux du Japon sont autant fréquentés par des hommes que que par des jeunes femmes qui aiment se réunir entre copines pour discuter autour d’un verre. On est donc loin du pub « so british » pris d’assaut par de solides gaillards aux chants puissants en passe de se prendre une belle cuite. Shuntaro, un jeune japonais accompagné de ses amis, est venu spécialement dans ce pub pour regarder le match. Heureux hasard, « Shun » a fait une année d’étude à HEC en France. Il maîtrise mieux l’anglais que ses compatriotes et dispose d’une petite base de français. Nous rentrons toute suite dans le vif du sujet en évoquant ce Japon-Ghana qui est un véritable test pour les deux sélections. Le Japon déjà qualifié pour le Mondial brésilien souhaite se mesurer face à l’une des valeurs sûres africaines. Le Ghana, quant à lui, espère aussi valider son billet pour Rio. Le petit groupe concède que le Ghana est une équipe très physique et difficile à jouer. Il cite des joueurs tels que Essien ou Kevin Prince Boateng. Malheureusement, ces joueurs n’ont pas été retenus pour ce match amical. Les Japonais ne connaissent pas vraiment le football africain, si ce n’est la citation du Nigeria ou du Cameroun et de joueurs tels que Samuel Eto’o ou Didier Drogba. N’attendez pas d’eux qu’ils vous parlent de l’Algérie ou de l’Egypte. Mais dès lors que l’on aborde la question du Japon, Shuntaro et ses amis se montrent bien plus bavards. Ils sont d’ailleurs surpris de notre connaissance d’anciens joueurs tels que le légendaire Kazu, Nakata ou bien Shunsuke Nakamura. Une fille rejoint le groupe, c’est Liza, qui porte le maillot de la sélection. Au premier abord, on aurait pu croire à une de ces Japonaises qui se déplacent dans les stades pour voir la belle gueule de Atsuto Uchida, défenseur du Schalke 04. Mais il n’en était rien. Mademoiselle parlait vraiment football et tactique, n’en déplaise à Bernard Lacombe.
« L’idéal remplaçant de Zaccheroni ? Mourinho ! »
Fier de l’équipe nationale, Shuntaro trouve le Japon de plus en plus fort. « On peut dire aujourd’hui que notre équipe est largement meilleure que lors de la Coupe du monde 2010 ». Pourtant, il adresse des piques à l’égard d’Alberto Zaccheroni, sélectionneur du Japon. « Zac est trop conservateur sur certains points et cela m’agace, comme le fait de ne faire aucun changement et de faire débuter toujours les mêmes joueurs », plaide-t-il. Un camarade renchérit sa crainte vis-à-vis de ce conservatisme tactique : « Si la sélection japonaise se confine dans ces carcans tactiques et qu’elle n’imagine pas de solution B quand elle doit faire face aux blessures ou aux absences des joueurs titulaires, on ne pourra pas aller bien loin ». Dans sa logique, « Shun » pense même qu’Alberto Zaccheroni s’en ira après le Mondial et souhaite un remplaçant plus innovant qui sait prendre des risques. Son successeur idéal ? le groupe répond en cœur : « Eh bien Mourinho ! ». Cette réponse a suscité un fou rire de parts et d’autres. « On sait que c’est impossible mais on aime bien Mourinho, sa manière spéciale de voir les choses », nous dit-il. Côté joueurs, ils ont une préférence unanime pour Keisuke Honda ou Shinji Kagawa. Au Japon, les deux idoles du pays alimentent d’ailleurs un débat. Il s’agit du positionnement de ces deux joueurs. Kagawa est un meneur de jeu au même titre que le blond peroxydé. Deux numéros 10 et surtout deux titulaires indiscutables qui doivent cohabiter ensemble. Honda est préféré en tant que numéro 10 et Kagawa mis sur le côté gauche. Le Mancunien subit un traitement similaire en club puisqu’il a joué dans le traditionnel 4-4-2 de Sir Alex Ferguson en tant qu’ailier. Un massacre pour Jurgen Klopp, son ancien coach au Borussia Dortmund, agacé de voir son ex-joueur évoluer à un poste où il ne peut montrer pleinement ses qualités. David Moyes semble s’en moquer éperdument puisqu’il a décidé, lui, de ne pas le faire jouer du tout.
« Même si le Japon a gagné, la France dispose de meilleurs joueurs et reste plus forte que le Japon »
Lorsque nous leur avons dit que nous venions de France, ils furent impressionnés. Inutile de vous dire que les Japonais sont fascinés par la France et les Français. D’ailleurs Shuntaro a assisté au match des Bleus contre le Japon au Stade de France du 12 octobre dernier. Alors que cette victoire aurait pu l’enflammer, il n’en est rien: « Même si le Japon a gagné, la France reste plus forte et a plus de meilleurs joueurs ». Étonnante cette vision extérieure alors que le niveau de l’équipe de France a été fortement remis en cause dans l’Hexagone contre la Biélorussie.
Dans une bonne ambiance, le match commence à 19 h 20 heure locale (12 h 20 en France). Shuntaro pronostique un 3-1 pour le Japon. Dès les premières minutes, son pays est ultra dominateur et se joue de la défense ghanéenne. Honda, véritable machine à distiller des passes dans le dos des défenseurs, réussit à créer le danger à plusieurs reprises. Les Nippons sont très offensifs à l’image de l’infatigable défenseur de l’Inter Milan, Yuto Nagatomo, qui n’hésite pas à monter haut pour provoquer et centrer. Les Blacks Stars ne touchent que très peu de ballons et subissent le pressing japonais. Mais malgré cette domination, c’est un Ghana très opportuniste qui ouvre le score des la 23 ème minute de jeu par l’intermédiaire de Waris. Déception dans le bar mais tout le monde continue de regarder le match avec enthousiasme car le Japon a largement les capacités de revenir au score et même de gagner. Pourtant Honda rate quelque instants plus tard l’immanquable. Sur une contre-attaque de l’avant-centre Kitikani, ce dernier sert Honda seul face au but mais la tête blonde propulse le ballon au dessus des cages. Une séquence pour le bêtisier de Téléfoot. Pas de quoi décourager les Samurai Blue. Le pays du soleil levant revient motivé à bloc après toutes ces occasions manquées. Kagawa qui fut discret en 1ère mi-temps s’infiltre dans la défense ghanéenne en partant de son côté gauche puis repique dans l’axe avant de décrocher un tir du droit. Égalisation du Japon que ne dénigrerait pas Arjen Robben. Le pub exulte. Les Japonais annoncent un but de Honda, ils le sentent bien. Le Ghana est dépassé, Honda et Kagawa combinent aussi bien que le duo Olive Atton et Ben Becker et se jouent des Africains. Honda encore une fois, a failli marquer sur un retourné acrobatique. C’est alors que Yasuhito Endo tape un coup-franc excentré à gauche et trouve la tête de… (on vous le donne en mille), Honda ! Deux buts de la tête en deux matchs pour celui va rejoindre gratuitement l’AC Milan en janvier. Le pub est ivre de joie, un groupe d’européens fans du Japon lancent en coeur des « Honda, Honda » tout de suite repris par les Japonais qui n’ont pas cette manière de glorifier un joueur après son but. Cerise sur le gâteau, le joueur du CSKA Moscou sert Endo, monsieur 134 sélections (joueur le plus capé de l’histoire du Japon) qui n’a plus qu’à ouvrir son pied pour marquer le but du 3-1. Shuntaro avec un large sourire, rappelle son pronostic. « 3-1, vous avez vu ! On vous l’avait dit ».
Pour l’occasion, les barmans avaient préparé des cocktails Samurai bleu aux couleurs de l’équipe nationale. En France, alors que tout le monde plie bagages lors des traditionnelles interviews d’après matchs, les Japonais eux écoutent ce que les joueurs ont à dire. Endo, Kagawa et Honda sont interrogés et applaudis chacun leur tour. Dans l’euphorie, les Asiatiques attablés se prennent à rêver d’un quart de finale de Coupe du monde. Tout en sachant que ce sera difficile. Le bar se vide petit à petit de ses fans de football, laissant la vie déjà bien animée de Tokyo reprendre ses droits.
Par Mehdi Messai à Tokyo