Atlético Tucumán s’est qualifié mardi au troisième tour de la Copa Libertadores face à El Nacional de Quito au terme d’une journée de folie : un avion qui ne décolle pas, un ambassadeur qui intervient, une équipe qui joue avec le maillot de la sélection argentine… La Grinta revient sur cette journée historique.
Un avion qui ne décolle pas, des supporters floués
Après avoir fait match nul 2-2 lors du match aller, Atlético se devait de gagner à Quito (Équateur). Les jours précédents la rencontre se passent de la meilleure des manières : un exode de supporters decano venus en nombre de Tucumán, Córdoba ou Buenos Aires, un banderazo (rassemblement de supporters avant le match) en plein centre-ville de Quito et une délégation accompagnée d’une centaine de supporters qui ont fait le déplacement dans le même avion jusqu’à Guayaquil. Pourquoi Guayaquil, une ville qui se situe à une heure d’avion de Quito, le lieu de la rencontre? Pour pouvoir éviter au mieux les effets néfastes de l’altitude. Ce mardi 7 février, les joueurs doivent embarquer direction Quito à 15 heures sachant que le match se joue à 19 heures. Certains signes montrent déjà que cette journée n’allait pas se passer comme prévu : on apprend qu’environ 60 supporters du decano sont bloqués à l’aéroport de Santa Rosa à environ 500 km de Quito à cause d’une agence de voyages peu scrupuleuse.
Parmi les supporters floués, on compte même des photographes officiels du club. L’équipe embarque malgré tout mais au moment de décoller, le commandant de bord annonce finalement que l’avion n’est pas habilité à décoller. Stupéfaction dans la délégation du Decano. « Il y a quelque chose qui ne va pas, on a tous les papiers en règle nous, ça ne m’étonnerait pas que ce soit une question d’argent. On doit payer 10.000 dollars US mais que se passe-t-il si quelqu’un paye 15.000 dollars US pour qu’on ne décolle pas ? C’est louche tout ça ! » Les accusations graves de la part du commandant de bord seront reprises par Pablo Lavallen, l’entraîneur : « On nous a bloqué à l’aéroport pour que l’on ne joue pas ce match ».
Complot ou pas, le fait est que les joueurs se retrouvent pendant deux heures dans cet avion avec une chaleur insupportable et une climatisation qui marche à moitié. À cet instant, les rumeurs fusent: les militaires auraient bloqué l’avion pour permettre au club d’El Nacional de gagner sur tapis vert. Une rumeur plausible lorsque l’on sait que le club équatorien est en partie financé par l’armée et que le président n’est autre que le général Tito Manjarrez. D’autres rumeurs évoquent l’un des aéroports les plus corrompus d’Amérique Latine. Le président tucumano prend les choses en main et en urgence, il faut aller à Quito coûte que coûte. Presque par miracle, les joueurs et le staff prennent place dans un vol de LATAM qui décolle à 18 heures avec 3 heures de retard. Les supporters qui accompagnaient la délégation, dirigeants et président himself restent sur le carreau et verront eux aussi le match à la télé. À ce moment précis, on ne sait même pas qui a pu monter dans l’avion. Certains journalistes annoncent que seuls les titulaires ont pris place. Il n’en est rien. L’atterrissage est prévu à 19 h 15, l’heure à laquelle le match est censé débuter.
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Intervention de l’ambassadeur, bus à 130 km/h
19h00, personne ne peut prédire si le match va se jouer ou non. Interrogé par la chaine FOX Sports qui diffuse la Copa Libertadores, un représentant de la CONMEBOL nous rappelle le règlement: l’équipe doit se présenter au plus tard 45 minutes après l’horaire initial du coup d’envoi. Autrement dit, l’équipe d’Atlético Tucumán doit être sur le terrain prête à jouer à 20 heures. 19 h 02, les joueurs atterrissent à Quito mais doivent encore parcourir en bus les dizaines de kilomètres qui séparent l’aéroport du stade. Les péripéties d’Atletico deviennent alors une cause nationale, les réseaux sociaux s’enflamment, « Atlético Tucumán » devient tendance mondiale sur Twitter. FOX Sports affiche un compte à rebours à l’écran, arriveront-ils à l’heure ou pas ? Le scénario est digne des meilleurs films de suspense. Comment imaginer Atlético Tucumán éliminé sans même avoir joué pour sa première participation à la Copa Libertadores ? Si le Decano n’arrive pas avant 20 heures, El Nacional peut revendiquer la victoire sur tapis vert ou alors attendre l’équipe adverse. La Conmebol n’a alors plus son mot à dire.
Toujours aux micros des journalistes de FOX Sports, l’entraîneur et le président d’El Nacional sont formels : ils n’attendront pas Atlético Tucumán une minute de plus et suivront à la lettre le règlement de la CONMEBOL. Une attitude des plus anti-sportives quand on connaît la manière avec laquelle ils ont été reçus une semaine plus tôt à Tucumán. L’esprit de solidarité post Chapecoense a vite disparu. Présent dans le bus des joueurs pendant le trajet entre l’aéroport et le stade, l’ambassadeur argentin Luis Juez négocie à sa façon pour que le match se joue de toute manière : « On ne va pas arriver à 20 heures mais ne cassez pas les couilles (sic) avec le règlement ! Dîtes-leur que cela devient une cause nationale, le match doit se jouer, j’en fais la demande au nom du peuple argentin. On est sur la route à 130 km/h, dites-leur qu’ils n’aient pas peur de jouer. Je vais appeler personnellement le général machin-chouette pour que le match se joue. Ce n’est pas de la faute du club si l’avion n’avait pas les papiers en règle pour faire des vols internes ».
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Après d’âpres négociations, les Équatoriens acceptent de jouer le match malgré un retard de 10 minutes des Argentins. En effet, le bus des joueurs arrive à 20 h 09, cependant un autre problème se pose et pas des moindres. Dans la confusion du voyage entre Guayaquil et Quito, les maillots et crampons des joueurs sont restés dans le charter bloqué. Autrement dit, les joueurs n’ont rien à se mettre pour jouer. El Nacional met à disposition un jeu de maillots extérieur mais le salut des Tucumanos vient de la fédération, l’AFA ! En effet, l’équipe des moins de 20 ans se trouve en Équateur pour jouer le tournoi sud-américain. « Je voulais aller avec Ubeda et Batista au stade. Quand j’ai entendu sur FOX que le président d’El Nacional ne voulait pas attendre Atlético et gagner sur tapis vert, je suis devenu vert de rage et je me suis rendu directement au stade qui se situe à 5 rues de notre hôtel. J’avais parlé à l’ambassadeur. Quand ils sont arrivés, je leur ai mis à disposition les maillots et crampons des gamins. Je les ai d’abord vu avec ces maillots équatoriens et là j’ai dit : les gars, si vous allez jouer contre les Équatoriens alors faites-le avec les couleurs de la nation (celles également du Decano, ndlr), faîtes-le avec les couleurs de l’Argentine. » dira plus tard l’attaché de presse de la AFA. Les joueurs d’Atlético Tucumán débutent la rencontre sans échauffement et avec le maillot de l’Argentine sur les épaules. Mieux encore, avec les crampons des moins de 20 ans argentins, Bianchi dira même qu’il jouait avec des crampons trop petits. Malgré l’altitude, des heures passées bloqués dans un avion, une préparation pittoresque, l’histoire est belle puisqu’à la 65 ème minute sur un coup de tête de Zampedri, Atlético Tucumán arrache la qualification devant ses 2 500 supporters qui avaient fait le déplacement ! À des milliers de kilomètres de là, plus au sud, Maradona déclare en direct à la radio : « Aujourd’hui, on est tous tucumanos, allez Atlético ». La fin du match mêle colère et de joie.
On aura dans les prochains jours sûrement plus d’éléments pour expliquer ce qu’il s’est réellement passé et pourquoi ce vol n’a pas décollé. Les papiers de l’avion étaient-ils en règle ? À-t-on réellement comploté contre Atlético ? Une « mano negra » se cache-t-elle derrière tout ça ? L’amateurisme et la responsabilité des dirigeants du club argentin n’est pas à négliger. Fallait-il vraiment arriver à Quito le jour même ? Pourquoi n’ont-ils pas anticipé et voyagé la veille ? Beaucoup de questions restent sans réponse dans cette affaire mais une chose est sûre, Atlético vient sûrement d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de la Copa Libertadores.